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ll y a trois ans ou un peu plus, lors d’une cérémonie officielle à Sikasso, sous le regard des autorités régionales, un homme a été porté dans le hamac, comme cela était pratiqué au 19ème siècle dans les colonies d’Afrique Noire. En janvier dernier à Ségou, au cours des manifestations du Festival sur le Niger, le monument de Louis Archinard a été dévoilé au public. Un monument qui, selon le Gouverneur de Ségou, a été ramené et réinstallé pour donner à l’histoire sa réalité. Nul ne doit effacer une page de l’histoire d’un pays. L’histoire doit rester ce qu’elle a été et non ce que l’on voudrait qu’elle fût, a déclaré M. le Gouverneur. Juste, dira-t-on. Mais pas n’importe comment.

Il a fallu de peu pour que le monument ne soit pas réinstallé là où il était implanté avant l’indépendance. Ironie de l’histoire, ou méconnaissance de l’histoire de la colonisation?

Les actes ainsi posés à Sikasso et à Ségou, sans doute avec l’aval des autorités nationales, sont-ils le prélude à la remise en cause des actes de souveraineté de la jeune République du Mali des années 60 ?

La question mérite d’être posée et doit avoir une réponse nationale, en expliquant aux populations, particulièrement à la jeunesse, les raisons qui ont prévalu en 1961 à rebaptiser des places, rues et édifices publics, déboulonner certains monuments dont celui de Faidherbe à Bamako et d’Archinard à Ségou.

C’est le moment où des rescapés des atrocités du régime colonial, ou des témoins et acteurs de certains hauts faits de l’histoire du Mali moderne sont encore en vie et qui peuvent témoigner. Dans les années 40 et 50, aux jeunes écoliers des Cours Moyens (5ème année de l’Ecole Fondamentale) d’Afrique Noire, l’histoire était enseignée suivant le livre « Histoire de l’Afrique occidentale Française« , le seul manuel de l’époque écrit et publié pour la cause.

Dans ce livre, la colonisation et ses œuvres à travers l’Afrique étaient décrites en épopée et expliquées avec zèle, comme une action émancipatrice et civilisatrice des Africains. Il a fallu, après les indépendances, d’autres sources et l’écriture de l’histoire de l’Afrique par des Africains (souhait et espérance ardents de Patrice Lumumba: « L’Afrique un jour écrira sa propre histoire ») pour que le vrai visage de la colonisation soit connu.

Pour s’en convaincre et ne jamais ressusciter avec zèle dans les anciennes colonies le rôle prétendument et absolument positif de ces émissaires de l’Administration coloniale, un bref rappel historique à partir de la seconde moitié du 19ème siècle est nécessaire: le développement des industries en Europe et l’envahissement de ses marchés par des produits agricoles en provenance des Etats-Unis et de la Russie poussèrent l’Europe à la recherche de marchés et de nouvelles sources d’approvisionnement de ses industries.

Le continent africain, regorgeant de terres fertiles, de ressources naturelles et de bras valides fit l’objet de toutes les convoitises, jusqu’à son partage entre les puissances coloniales par la Conférence de Berlin.

Au Soudan français (Mali) jusqu’à l’indépendance des sociétés telle: la Compagnie du Niger Français, la Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA), les Huileries Savonneries de l’Ouest Africain (HSCOA) etc ont existé.

Au tout premier plan donc, l’une des raisons de la colonisation était économique. Dans « Histoire de l’Afrique Noire. D’hier à demain » du Professeur Joseph Ki Zerbo (paix à son âme) dans le chapitre « Invasion du continent et la résistance » sont décrits tous les actes posés par ces émissaires. Ils ont livré des guerres sans répit contre les résistants en usant de tous les moyens.

Archinard, nommé commandant militaire en 1888, lança à Ségou des canonnières. Il réduisit Amadou, considéré comme un « indisciplinable » après lui avoir tenu plusieurs fausses promesses… Il procéda selon la pratique consacrée « diviser pour régner » à dresser des chefs indigènes les uns contre les autres. Mission bien réussie pour Archinard qui valut un monument en sa mémoire à Ségou. Mais quelle mission! Et pour quel but?

Une mission, aujourd’hui reconnue par tous les historiens progressistes du monde comme une mission d’invasion, conduite par des missionnaires, des marchands et des militaires d’où l’appellation des 3 M désignant les trois groupes qui ont constitué le contingent de la mission.

C’est encore à Archinard que les crânes de Kémè Bourama (Frère de Samory) et d’autres ont été remis, après la défaite des troupes de Samory à Sikasso. Qu’en a-t-il fait? Mystère ! Heureusement enfin, que l’Afrique, notre continent, sort petit à petit la tête de l’eau; Afrique à laquelle dans un passé récent aucun rôle historique n’était reconnu.

Ces statues dont celle de Faidherbe qui, après un séjour dans la cour de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) route de Koulouba, où l’on pouvait la constater dans les années 1961-1962, furent transférées à Dakar sur la demande de la France, selon certaines sources ne doivent en aucune manière être réimplantées, quelles que soient les raisons même économiques que certains pourraient aujourd’hui évoquer. L’histoire est l’âme du peuple!

La colonisation a causé plus de mal que de bien aux peuples colonisés. Le Mali ne fait pas exception à la règle.

Pour marquer ces épisodes douloureux de l’histoire de notre pays, entre autres, la manière dont les impôts étaient recouvrés à Sikasso dans les années 40, ces statues déboulonnées ne peuvent avoir meilleure place au Mali que dans un musée: le musée de la colonisation.

Les ministères de l’Education Nationale, ceux de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme peuvent mener des réflexions constructives nécessaires, à cette fin. Pour ériger ce musée, je pense que les compétences nationales et les bonnes volontés ne manqueront pas.

Sékou KEITA

L’Idépendant du 07 Février 2009