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L’esclavage existe bel et bien au Mali. Il est pratiqué dans plusieurs contrées du pays. Récemment, il y a même eu mort d’homme et le maître qui a commis ce crime reste toujours impuni. Communément appelée Bellas, la communauté noire tamacheq continue de subir les séquelles de l’esclavage sous plusieurs formes. C’est cette grande révélation que l’association Temedet a faite à Tombouctou, au cours d’un forum, tenu au Centre Ahmed Baba, du 7 au 8 avril dernier. Elle entend changer la donne à travers ses actions et en interpellant les candidats à l’élection présidentielle afin qu’ils se prononcent sur le phénomène de l’esclavage au Mali.

La communauté noire tamacheq communément appelée par les Sonrhaïs Bellas réunie au sein de l’association Temedet ( fraternité en tamacheq) s’est retrouvée à Tombouctou, le lendemain de la fête de Maouloud, célébrée avec enthousiasme le 6 avril.

Les Bellas sont venus de Kidal, Ménaka, Gao, Bourem, Rharous, Sikasso, Mopti, Ségou, Bamako et bien sûr Tombouctou pour débattre du phénomène de l’esclavage qui a longue vie au Mali. C’était dans la salle de conférence Ahmed Baba de Tombouctou.

En présence d’une forte communauté tamacheq noire du Niger (une trentaine dont vingt femmes) et du Burkina Faso. Il y avait également le président de SOS esclavage Mauritanie, Boubacar Ould Massaoud. Les autorités communales et administratives de Tombouctou ont également rehaussé l’éclat de cette cérémonie par leur présence.

Dès l’ouverture de ce forum, le président de Temedet, Mohamed Ag Akeratane, a donné le ton en des termes plutôt conciliants: « nous aborderons la problématique de l’esclavage au Mali, non pas pour nous lamenter et culpabiliser les autres, mais pour aider les consciences à accepter que cette page de l’histoire de l’humanité soit finalement tournée pour tous. Il sera utile au cours de ce forum de parler de la justice afin qu’elle soit rendue pour tous et qu’elle condamne les différentes formes de stigmatisations et de discriminations passives et actives qui persistent au sein de plusieurs communautés de notre pays « .

S’adressant aux candidats à l’élection présidentielle, le président de Temedet a laissé entendre que son organisation ne demande pas aux candidats de faire des promesses ou même d’insinuer des engagements, mais « d’éclaircir leur position par rapport à la participation de tous les fils et de toutes les filles de la nation à la consolidation de la paix, au développement partagé et à une justice luttant contre l’esclavage et ses séquelles et les autres formes d’oppression. Nous sommes conscients de notre contribution à la nation car aucune œuvre de construction n’existe au Mali où les noirs Tamacheqs et haratines ne participent. Ce sont des communautés de bâtisseurs méconnues« .

En outre, l’orateur a dénoncé avec vigueur la conception, l’exécution et l’évaluation des programmes de développement sans l’implication des communautés noires tamacheqs pourtant présentes sur tous les terrains de développement.

« Ce qui nous gêne, c’est le système de tutorat et de soumission subi par nos communautés qui continuent grâce à la complicité des agents adeptes de la facilité et de la simplification des rapports sociaux facilitant leur séjour au nord. Ce qui nous gêne ce sont les frustrations et les injustices accumulées par des générations successives qui n’en veulent plus. Ce que nous regrettons c’est que les financements obtenus par la nation n’ont pas contribué à améliorer les conditions de vie des populations noires tamacheqs et haratines » a déclaré avec force conviction Mohamed Ag Akeratane, le président de Temedet, par ailleurs chef de cabinet du ministère de la culture.

Par les actions de cette association, Ag Akeratane et ses camarades entendent mettre fin à cet engrenage de misère qui devient une constante ou un attribut de la communauté noire tamacheq.

Temedet est résolument engagé à rompre avec des « logiques qui ont fait la preuve de leur nocivité et de leur inutilité…Nous voulons pour cela bouleverser la donne, avec l’ambition de rendre majoritaire une opinion qui soutient que tous les Maliens doivent être regardés de la même manière. Le repère doit rester la dignité humaine et le travail ! Nos valeurs sont celles de l’égalité, de la solidarité et de la liberté ».

Par ailleurs, Ag Akeratane a rendu hommage à Bouctou (la fondatrice de Tombouctou) et à travers elle à toutes les femmes. Avant de proposer la fin des inégalités scolaires dont les victimes sont, entre autres, les enfants de la communauté noire tamacheq.

Durant deux jours, des débats intenses ont porté sur des thèmes riches et variés comme le compte rendu du forum de Kidal (Koina Ag Ahmadou), l’apport de la communauté noire Kel Tamacheq dans le développement du Mali et le renforcement de la démocratie(Aldjouma Yattara et Mohamed Ag Akeratane) l’expérience de Timidria (Ibrahim Ag Idbaltanatt), la pauvreté au Mali, rôle et place de Bouctou dans l’histoire de Tombouctou (Alhousseini Traoré, Salem Ould Elhadj), l’expérience de SOS esclave Mauritanie( Boubacar Ould Massaoud), historique des Kel Tamacheqs noirs( Abdoulaye Maco).

Au cours des débats, certains ont dénoncé l’esclavage qui continue de sévir dans le Mali démocratique sous toutes ses formes. Ce qui fera dire au Pasteur Nock que « notre communauté est éternellement exploitée. Depuis très longtemps, on a pratiqué l’esclavage sur nous. Nous réclamons réparation. Nos enfants réclameront réparation. Nous demandons justice et la redistribution des terres car nous avons le droit de cultiver sur le fleuve Niger « .

D’autres ont affirmé qu’ils ne demandent pas de chasser les étoiles ni de boire la mer mais de reconnaître « que nous sommes leurs frères, d’accepter de vivre avec nous dans la paix, la justice et le développement« .

Au finish, les participants ont dit non à l’esclavage qui existe bel et bien au Mali. Aussi, souhaitent-ils que l’Etat malien aille au delà des textes universels qui condamnent l’esclavage en le définissant de façon spécifique à travers une loi, en le criminalisant, en prévoyant des sanctions et amendes dans le code pénal du Mali.

Chahana TAKIOU

Envoyé spécial à Tombouctou

11 avril 2007.