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Le Reflet : Yéli Fuzo, quel est le motif de votre retour au bercail ?

Yéli : Depuis 2003, je n’étais plus revenu au pays. Je suis aujourd’hui revenu pour voir comment ma structure de production, Invasion Records, marche. Et j’ai été heureux de constater que les choses ne bougent pas mal à ce niveau. J’ai également profité de l’occasion pour rencontrer beaucoup d’artistes afin d’élargir nos horizons de production en dégageant des opportunités de partenariat au niveau national.

-Nous savons que vous étiez parti aux Etats-Unis pour des études. Où en êtes-vous actuellement ?

Yéli : Dieu merci, j’ai maintenant terminé mes études. J’ai aujourd’hui mon diplôme en management d’entreprises. J’avais l’intention de les pousser plus loin, mais j’ai de nouveaux projets en tête. Je veux d’abord les réaliser. J’aurais toute la latitude de faire d’autres études après.

-Apparemment vos ambitions artistiques ont influencé votre choix dans les études ?

Yéli : Plus ou moins ! Vous savez, ma Maman est très active dans le business depuis au moins trente ans. J’ai donc été baigné dans ce milieu depuis ma tendre enfance. J’ai surtout préféré cette filière parce qu’elle offre beaucoup plus d’opportunités dans la vie. Je n’ai donc pas été seulement guidé par mes ambitions, je voulais aussi me donner les meilleures chances de réussite dans la vie. Et il n’y a pas que le showbiz dans la vie. Il faut avoir plusieurs cordes à son arc pour éviter des surprises désagréables.

-Maintenant que vous avez votre diplôme. Comment va s’effectuer votre retour sur la scène ?

Yéli : Je vais d’abord commencer par pousser mon dernier album, Je rap donc je suis, sorti en 2003. Ce produit n’a pas bénéficié de la promotion nécessaire à son succès parce que j’étais absent du pays. Peu de mélomanes l’ont réellement découvert pour pouvoir l’apprécier. En dehors de la promotion de cet album, je réserve une grande surprise à mes fans pour les vacances.

-Le rap est un genre musical venu des Etats-Unis. Avez-vous eu des contacts dans le milieu rappologique américain pendant votre séjour ?

Yéli : C’est dans le milieu underground que j’ai eu beaucoup de contacts. Je n’ai pas assez approché ce qu’on peut appeler l’élite, c’est-à-dire les stars. Par contre, j’ai fait des rencontres intéressantes en France où j’ai passé un mois sur le chemin du retour. Je n’en dirais pas plus pour le moment, mais j’ai eu des échanges qui peuvent être fructueux à l’avenir.

-Qu’est-ce qui distingue le rap malien de celui des Etats-Unis ?

Yéli : Il est évident que les rappeurs américains ont leur manière de voir les choses, d’analyser les problèmes de leur société et nous nous avons la nôtre. Nous avons notre propre analyse de nos difficultés quotidiennes et des préoccupations de la nation. Aux USA par exemple, le rap incite à la rébellion contre un système politique, contre un modèle de société dans lequel une grande majorité ne se retrouve pas. Au Mali, nous avons opté pour la sensibilisation. Nous exhortons par exemple les jeunes à avoir un comportement responsable dans la vie.

-Et au niveau de la rythmique, du beat ?

Yéli : A ce niveau, nous sommes le plus souvent contraints d’imiter les Américains. Mais, il faut toujours essayer d’imposer son style avec une savante dose d’originalité. C’est ce que nous avions toujours fait de mieux au Mali. Les précurseurs du rap au Mali comme Fanga Fing, Les Escrocs, Tata Pound… ont d’abord cherché à trouver leur voie, à imposer leur style avec le maximum d’efforts d’originalité. La richesse et la variété de notre culture nous ont beaucoup aidé dans cette tâche.

-En tant que l’un de ces précurseurs car membre fondateur de Fanga Fing, quel regard jetez-vous aujourd’hui sur le mouvement presque une décennie après ?

Yéli : Au risque d’écorcher certaines personnes, je suis assez déçu par le rap malien. En revenant au pays en 2003, je m’attendais à une certaine évolution, à une certaine maturité du mouvement. Tel n’est pas encore le cas. Certes, des talents comme King Lassy Massassy, Amkoullel et des groupes comme le Tata Pound émergent du lot. Mais, les autres font du surplace comme s’ils étaient scotchés à la case départ. Les textes sont pauvres et les messages n’accrochent personnes parce qu’ils frisent le plagiat. Le public à l’impression que tous les rappeurs disent la même chose. Il n’y a plus d’originalité. C’est ce qui faisait la force des précurseurs du rap malien.

-Comment peut-on alors rectifier la cadence ?

Yéli : Le problème est connu, donc facile à résoudre. Il faut qu’on arrête de se suivre. Certains ne font que suivrent les styles d’autres comme un formule magique. Nous sommes aujourd’hui rattrapés voire dépassés par les Burkinabé qui sont pourtant entrés dans la cadence bien après nous. Mais, ils créent, innovent… Cette créativité et cette audace d’entreprendre leur permettent d’évoluer et de percer sur la scène continentale. C’est ce qui nous manque cruellement au Mali.

-Cette stagnation n’est-elle pas aussi en partie imputable à la piraterie et à la mévente qui s’en suit ?

Yéli : C’est possible. Mais, il ne faut pas en faire un prétexte pour cacher nos propres lacunes. La piraterie est incontestablement le goulot d’étranglement de la musique voire de la culture malienne. Mais, je pense qu’avec des produits de qualité, on peut toujours s’en sortir malgré la piraterie. Le Tata Pound parvient toujours à vendre au moins 20 000 exemplaires à chaque sortie. Cela est dû à la qualité incontestable de leurs œuvres. Ils sont convaincants au niveau de la création et pertinents dans les messages véhiculés. Il ne faut plus avoir peur de reconnaître que la plupart des albums de rap ne valent rien de nos jours.

-Que faut-il faire alors pour convaincre les fans ?

Yéli : Il faut réinstaurer la concurrence entre les poses afin de susciter une saine émulation. Au niveau d’Invasion Records, nous allons relancer notre traditionnel concours de rap en plaçant cette fois ci la barre très haut au niveau de la qualité et des récompenses. Nous allons donner 1 million de F CFA et un contrat de production au premier. Du jamais vu au Mali ou même dans la sous-région. Je pense qu’avec un tel challenge, les poses et les talents vont mettre les bouchées doubles pour offrir au jury et au public des produits à la hauteur des attentes.

-D’autres projets à l’horizon, Yéli ?

Yéli : Aujourd’hui, mon plus grand souci c’est de mieux structurer Invasion Record et surtout de compléter la chaîne par une structure de management artistique. Cela doit nous permettre de mieux séduire les rappeurs qui ont de l’ambition et qui brillent par leur originalité et par leur sérieux au travail.

-Les jeunes filles branchées de la capitale sont inquiètes parce qu’il se dit que l’homme fort du régime est revenu au pays avec une belle Américaine dans ses valises. Qu’en est-il réellement ?

Yéli : (Rires) Qu’elles se rassurent ! Elles ont toujours leur chance parce que je suis toujours célibataire.

-Le Mot de la fin, Yéli Fuzo ?

Yéli : Mon souhait est que les rappeurs se réveillent de leur torpeur ! Le Mouvement est sur le point de mourir faute d’initiatives originales. Il est temps que nous nous remettons en question afin de mieux progresser. Nous devons accepter de travailler. Il ne sert à rien d’être nombreux à faire du rap si nous devons continuer à offrir des produits médiocres à nos fans. Il faut que ça bouge désormais dans le bon sens.

Propos recueillis par
Moussa Bolly

23 juin 2005