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Après plus de 35 ans de bons et loyaux services à la nation, le vieux Cissoko a fait valoir l’année dernière ses droits à la retraite. Cadre de l’administration, il était très pris par son travail, entre deux avions, les rapports, les réunions… « Ma vie, c’était le travail, mon milieu, le bureau », témoigne-t-il.

« Mes querelles avec mon épouse, c’était que je n’étais jamais à la maison, ce que je lui concédais d’ailleurs. Mais, une fois à la retraite, ces querelles n’ont pas pris fin. Maintenant, ma femme s’énerve parce qu’elle veut faire le lit que je n’ai pas encore quitté, ou nettoyer le salon alors que je suis là. Elle se plaint du fait que je suis à présent continuellement collé à ses basques », dit-il.

Là est, selon notre interlocuteur, le côté joyeux de la chose. « Ce qui a failli me donner une apoplexie, c’est quand je me suis rendu compte que je ne connaissais même pas mes enfants. Depuis bientôt un an, j’observe mon épouse, mes enfants. Je me rends compte que j’ai perdu beaucoup de temps.

J’apprends à redécouvrir les miens, leurs défauts, leurs goûts et leurs aspirations. Chez moi, il y a une très grande complicité entre les enfants et leur mère, une complicité qui s’est faite sur mon dos. Je me sens de trop et souvent, ma présence semble indisposer. Je fais avec ».

Alexis Kalambry

APRES FONCTION

Le temps du stress

Pour nombre d’anciens fonctionnaires, le temps de la retraite est synonyme de stress. C’est pourquoi, ils préfèrent s’adonner à autres choses.

Vivre tranquillement en catimini après plusieurs années de durs labeurs n’est pas chosée aisée pour des fonctionnaires qui font valoir leurs droits à la retraite. Une autre vie, un autre temps qu’il faut gérer autrement pour avoir une retraite réussie.

C’est ce que Sibiri Goïta, ancien fonctionnaire de l’INPS a compris. Parti à la retraite en 1998 après 37 ans de service, il mène une vie paisible dans sa nouvelle villa à Garantiguibougou. Fonctionnaire hier, aujourd’hui M. Goïta est aujourd’hui commerçant car il gère un libre-service. « Je vous avoue que les premières années de repos n’ont pas été faciles.

J’étais comme un prisonnier à la maison. C’est pour ne pas sombrer dans le stress que j’ai ouvert cette boutique », témoigne-t-il. « Chaque soir, ajoute-t-il, quelques amis retraités me rejoignent ici pour faire du thé et jouer à la belote, c’est toute notre vie maintenant ».

Si Sibiri profite bien de sa retraite, son camarade d’âge Moussa Camara, ex-douanier, broie du noir. Incapable de payer souvent le prix du condiment, il passe le plus clair de son temps à la direction générale de la douane où il a travaillé jusqu’en 2000, année de sa retraite.
Selon un de ses anciens collègues, « le malheur de Camara est qu’il voulait continuer avec le même train de vie dans la famille après le travail.

Or, la retraite se prépare. La pension que nous percevons est insignifiante. Ce n’est vraiment pas une vie ».

Le mot est lâché. La vie de la retraite est une autre réalité, une autre expérience pour le fonctionnaire qui doit savoir se rendre utile, car, après le travail, la vie continue.

Sidiki Y. Dembélé

A TROIS ANS DE LA RETRAITE

M. Dena se prépare psychologiquement

Si l’approche de la retraite est souvent redoutée par des travailleurs, Ferdinand Dena, un enseignant à 3 ans de la retraite, attend, sans crainte, ce moment. Selon lui, la retraite mérite qu’on s’y prépare psychologiquement.

« La retraite est un repos mérité pour tout travailleur qui a servi honorablement et de façon loyale son pays. Loin de me faire peur, j’attends avec patience ce moment ». Ainsi parle M. Dena enseignant du fondamental catholique.

Il ne comprend pas pourquoi des travailleurs redoutent « cette étape qui est pourtant nécessaire à l’équilibre du corps humain ». La retraite comporte certains désavantages d’ordre purement financiers liés au fait que le retraité a pour seule source de revenu sa pension, explique M.
Dena.

Tout juste, M. Dena regrette-t-il qu’à cause du chômage et de la conjoncture économique difficile que ce soient les « Vieux » qui prennent en charge les jeunes alors qu’il est souhaitable que ce soient ces derniers qui s’occupent de leurs parents retraités.

Ainsi, il pense que l’on ne devrait pas s’en prendre à ceux qui s’accrochent malgré leur âge d’aller en retraite ou encore ceux qui travaillent sans cesse alors que le corps veut qu’ils se reposent.

La retraite, conclut-il, exige une préparation psychologique pour affronter « une nouvelle vie » dans un environnement socio-économique différent.

Denis Koné

RETRAITE

Des textes clairs

Si le code de travail ne définit pas expressément la retraite, pour Oumar Sanogo, inspecteur de travail, elle peut se définir comme la position d’un travailleur qui, après avoir accompli une vie professionnelle normale, cesse définitivement son activité au sein de l’entreprise qui l’emploie.

Selon M. Sanogo, c’est la loi n°03-037 du 30 décembre 2003, adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 29 novembre 2003 et promulguée par le président de la République, qui statue sur la retraite des travailleurs soumis au code du travail. A l’en croire, les fonctionnaires, les magistrats et membres des forces armées ont leurs propres statuts.

M. Sanogo a précisé que c’est l’article 60 de la loi n°92-020 du 23 septembre 1992 portant code de travail qui a été modifié. « Cette loi fixait l’âge de retraite à 55 ans », dit-il avant de citer le nouvel article qui stipule que « l’âge de la retraite est fixé à 58 ans.

Les relations de travail pourront néanmoins se poursuivre d’accord partie pendant une période qui ne pourra excéder l’âge de 60 ans du travailleur ». Le même article poursuit que les travailleurs ayant atteint l’âge de 55 ans peuvent cependant demander la liquidation de leur pension de retraite.

« Le départ à la retraite à partir de 55 ans à l’initiative du travailleur ne constitue pas une démission », précise l’article 60.

Pour M. Sanogo, le travailleur admit à la retraite jouit de la pension de retraite. « L’employeur du travailleur, au moment de son activité professionnelle, cotisait pour lui à l’INPS le travailleur lui-même en faisait de même.

Donc, quand il atteint l’âge de la retraite, il constitue son dossier qu’il introduit à l’INPS », explique l’inspecteur du travail pour qui, actuellement le travailleur qui a fait 13 ans d’activité et 10 ans de cotisation peut bénéficier d’une pension de retraite.

Idrissa Sako

QU’EN DIRE ?

Du confort à la mendicité

La retraite ! Comme toute étape de la vie, elle se prépare avec soin, sagesse et abnégation. C’est donc durant la vie active qu’elle doit être prévue et entretenue comme un arbre qu’on plante avec l’espoir de s’asseoir sous son ombre un jour prochain.

Un détail important et précieux qui, malheureusement, échappe, à beaucoup de gens. Surtout ceux qui ont la chance de connaître la réussite sociale et professionnelle.

Rares sont ceux d’entre eux qui optent pour la sagesse, l’humilité et la modération en ayant conscience que la vie est la somme de plusieurs matinées et que celle-ci n’est pas seulement faite que de printemps.

Alors, ils se retrouvent dépouillés de tout à l’automne de leur vie. Des cas de ce genre affleurent dans notre environnement. Combien de cadres ou même de subalternes ont fait la pluie et le beau temps dans leurs services, leurs quartiers ou leur pays et qui ne sont plus capables aujourd’hui de prendre la « Sotrama » pour leurs courses ?

Et pourtant, peu auparavant, ils avaient le monde à leurs pieds. On leur faisait nourrir l’illusion que rien ne pouvait leur résister, que la vie leur appartenait. Ils y ont cru et ont fait la dolce vita. Des villas, des voitures de luxe, des voyages de rêves ont été offerts aux nombreuses « 2e bureaux » grassement entretenues à la sueur du contribuable.

A côté, les parents végétaient, les frères et sœurs étaient quotidiennement humiliés par les locataires, d’autres fils du pays plus méritants qu’eux étaient relégués aux oubliettes à leur profit.

Ils se sont pliés à tous les caprices de leur progéniture sans jamais se préoccuper de leur éducation, de leur avenir car les « fils à Papa » s’éduquent seuls dans les night-clubs, les bars, les maisons closes… Ces petits princes et princesses ont tout eu de leurs parents sauf l’essentiel: le sens de la responsabilité dans tous les sens du terme.

A peine si certains ne se croyaient immortels. Le réveil est alors brutal ! La retraite sonne à la porte pour leur faire découvrir que nous avons toujours vécu sur le néant, dans des nuages stériles de pluie.

Alors commence la course contre la montre. On frappe à toutes les portes pour demander de l’aide afin de pouvoir jouer les prolongations.

Mais, on n’y échappe pas en réalité car, avec la longévité, la retraire est inexorable. C’est même une bénédiction pour ceux qui ont eu la sagesse de préparer cette étape cruciale de la vie afin de n’être une charge pour personne. Quoi de plus agréable que de se reposer après des longues et pénibles années de bons et loyaux services rendus à la nation ?
Mais, la retraite est une fatalité pour ceux qui n’ont pas eu la lucidité, ni la sérénité, ni la sagesse de s’y préparer. Pris de vitesse, ils ont encore le complexe de vouloir maintenir leur niveau de vie suicidaire. Les voitures, les vergers, les maisons… sont vendus un à un pour sauvegarder l’illusion que rien n’a changé.
Et pourtant, les épouses partent une à une, les maîtresses rompent sans demander leur reste, les enfants s’éloignent de ce vieil homme devenu un véritable sac à problèmes. D’anciens collègues de travail et des amis assez prévenants sont harcelés pour avoir le prix des condiments ou le transport pour aller mendier. Et ils sont traités de méchants ou d’ingrats lorsqu’ils ne sont pas en mesure de satisfaire le service demandé. Ils ne sont pourtant que le point de chute, sinon nos amis retraités ont trébuché très loin.

Dans ce vide, dans cette solitude, on aperçoit alors la vie sous d’autres couleurs. On comprend alors que la succession des saisons ne doit rien au hasard parce qu’elle reflète le cycle de la vie d’un homme. C’est un repère de sagesse.

Mais, le mal est déjà fait. Fréquenter les humbles, vivre comme eux, passer une grande partie de la journée dans la mosquée ou dans d’autres lieux de culte n’y change rien. A la limite, ce changement d’attitude amène les gens à vous prendre en sympathie.

Cela a au moins le mérite de nous faire comprendre tout le sens de l’adage selon lequel, si tu abordes la vie au rythme du galop de l’étalon, tu la finiras à la cadence du caméléon.

Alphaly

CAISSE DES RETRAITES DU MALI

Plus de 31850 clients, 15 milliards de déficit

La retraite au Mali est gérée par deux institutions de sécurité sociale.
D’une part, l’INPS (Institut national de prévoyance sociale) et d’autre part, la Caisse des retraites du Mali (CRM). A ce jour, les affiliés à la CRM sont estimés à 31 856 et le déficit lié notamment au nombre croissant des retraités se chiffre à plus de 10 milliards de F CFA.

L’INPS et la Caisse des retraites sont les deux institutions de sécurité sociale qui ont en charge la gestion des retraites au Mali. La première s’occupe des travailleurs qui relèvent du code du travail et la seconde des fonctionnaires civils, militaires et les anciens parlementaires.

Etablissement public à caractère administratif (EPA), la CRM est un organisme de sécurité sociale chargée de la gestion de la dette viagère de l’Etat vis-à-vis de ses anciens travailleurs. Dotée de l’autonomie de gestion au même titre que l’INPS, la CRM a été créée en 1961 et érigée en EPA en 1993. Elle reçoit, des fonctionnaires en activité, une cotisation mensuelle.

Une fois en cessation d’activités, ces fonctionnaires bénéficient de la pension à leur retraite. Mais les cotisations prélevées représentant 4 % du salaire ne sont pas stockées. Les actifs actuels servent à payer les retraités d’aujourd’hui. A la CRM, cela s’appelle « solidarité intergénérationnelle ou régime de la répartition ».

La CRM compte aujourd’hui en son sein 31 856 anciens serviteurs pour 41 000 cotisants. Pour être membre de la Caisse deux conditions s’imposent, avoir été fonctionnaire et avoir cotisé. Il existe plusieurs types de pensions : les pensions d’ancienneté, proportionnelle, de réversion, de majoration pour famille nombreuse, temporaire d’orphelins, d’invalidité temporaire, définitive, d’ascendant. La plus récente des pensions est celle des retraites parlementaires, consacrée par la loi 95-071 du 25 août 95.

Le nombre d’années pour prétendre à la pension proportionnelle est de 15 ans minimum de cotisation. Au-dessous des 15 ans, c’est le remboursement.

Quant à la pension d’ancienneté, elle s’obtient à partir de 27 ans chez les civils et 25 ans chez les militaires.
Jusqu’en mars 2004, le paiement de la pension était trimestriel.

C’est à cette date qu’il a été mensualisé. Dès lors, tous ceux qui ont une pension supérieure ou égale à 50 000 F CFA ont été virés au niveau des institutions bancaires auprès de qui ils jouissent de crédits bancaires par le truchement de la mensualisation.

Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la foret. Selon Moussa Talan Kéita, DGA de la CRM, et Mamadou Kaya, chef du service liquidation des pensions, la Caisse connaît aujourd’hui un déficit de l’ordre de 15 milliards de F CFA.

L’explication en est que le volume du cotisant est faible. Pour que le régime soit équilibré, il faut, disent-ils, 151 000 cotisants. Or, le nombre actuel est évalué à 41 000. En clair, selon eux, pour 100 retraités, il faut 500 cotisants pour éviter tout dérapage à l’avenir.

Autre explication à ce problème financier : c’est la diminution du nombre des cotisants et l’augmentation de celui des retraités en l’absence d’une politique de recrutement massif.

Il y a aussi de l’avis de MM. Kéita et de Kaya, le paiement des pensions qui ne sont pas soumises à une cotisation comme la pension d’invalidité militaire, les majorations pour famille nombreuse… Convaincus que le régime par répartition est menacé, les dirigeants de la CRM ont pris le devant.

Des reformes, notamment la relecture des textes, la mise en place d’un régime complémentaire pour soutenir le régime existant et le lancement de l’appel d’offres pour la désignation d’un consultant spécialiste des retraites qui mènera des réflexions pour rendre fiable le régime ont été entreprises.

Mohamed Daou

MAMADOU BILA TRAORE

Une retraite heureuse

Dans notre société, la retraite est généralement synonyme de tristesse et de misère. Cependant, d’aucuns parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Mamadou Bila Traoré, un sexagénaire, à la retraite depuis 8 ans, est de ceux-là.

« L’homme est le boulanger de sa vie ». Cette citation de Jacques Roumain sied parfaitement à Mamadou Bila Traoré, bientôt 70 ans, qui est l’un des rares retraités maliens qui force l’admiration de la jeune génération. M.
Traoré vit une retraite presque dorée et n’a pratiquement rien à envier à un jeune fonctionnaire en activité.

En lui demandant les secrets de sa retraite bien réussie, Mamadou Bila Traoré n’a qu’un seul mot aux lèvres : « la sobriété ». A l’en croire, en début de carrière, il s’était imposé un train de vie qui faisait fi de toute extravagance. Il aurait été aidé en cela par ses origines modestes et une épouse soumise.

Né d’un père garde colonial sans grand moyen et d’une mère ménagère, M. Traoré est l’unique frère de son aînée. Son premier réflexe a été de construire une maison dans les années 70 après 20 ans de durs labeurs pour sortir ses parents des affres de la location. Cette étape franchie, M.
Traoré se consacra à se perfectionner pour son ascension administrative.

Il a commencé sa carrière dans l’administration dans les années 50 en tant que comptable de niveau comparable au CAP. A la force du poignet, il a petit à petit gravi tous les paliers de la fonction publique. De simple comptable, il s’est retrouvé contrôleur des finances par voie de formation et de concours. Il allait obtenir le prestigieux titre d’inspecteur des finances à 6 ans de la retraite.

M. Traoré attribue aussi sa réussite à son épouse (paix à son âme) qui l’a bien compris dans sa vie d’homme humble. « Mon épouse, dont je regrette la disparition, ne m’a jamais imposé quoi que ce soit. Elle veillait scrupuleusement sur nos biens et s’investissait à modérer nos dépenses », explique-t-il.

Aubaines

D’autres facteurs de sa réussite : il a eu la chance de tomber sur de bons postes. Il fit par exemple une sortie sur Dakar où il a servi pendant 6 ans en qualité d’agent comptable à l’ambassade du Mali. De retour au bercail, il roula sa bosse à l’IER puis à l’hôpital du Point G avant d’être recruté comme agent comptable d’un organisme sous-régional de la place.

Dans la famille Traoré, toutes les dépenses sont soigneusement calculées.
Les sept enfants, dont un garçon, sont déjà habitués à cette vie spartiate. Depuis des lustres, la provision annuelle de céréales et d’autres denrées de première nécessité (sucre, lait) sont achetées et stockées. La gestion ne fait jamais défaut car il n’y a jamais de rupture avant terme.

En plus de la maison construite pour ses parents, dans laquelle lui-même et ses quelques filles qui ne sont pas encore mariées vivent, Mamadou B. Traoré s’est bâti 3 autres demeures à Bamako. Il est en outre propriétaire de terrains non bâtis.

Les prix de location des maisons bâties lui permettent d’arrondir ses fins de trimestre.
Mamadou B. Traoré a cependant des regrets. L’un est d’avoir obtenu en 1986 un prêt bancaire pour l’achat d’une 404 bâchée neuve à 4 millions de F CFA qu’il a été obligé de revendre sans pour autant récupérer son argent.

C’est pendant sa retraire qu’il a honoré sa dette.
« Cet argent m’aurait permis à l’époque de construire au moins une autre maison, qui demeure le meilleur investissement », juge-t-il.

Il regrette aussi d’avoir acheté dans les années 90 un moulin pour soutenir les frais de transport des enfants. Le projet a capoté par la faute de mauvais exploitants.

Abdrahamane Dicko

1er juillet 2005