C’est encore elle qui inculque et entretient les vertus et les règles de bonne conduite dans la société par l’éducation de ses progénitures pour en faire des responsables de demain. Qu’en est-il aujourd’hui de ce rôle cardinal dévolu naturellement à la femme ? Face aux chocs exogènes, ce rôle tend-il à disparaître au Mali ? De quelle manière ? L’Aube tente de comprendre.
Il fut un temps où le mariage était l’illustration parfaite d’un amour partagé par deux êtres, pour la vie et pour la mort, pour le meilleur et pour le pire.
Bien entendu dans l’acceptation implicite par l’un et l’autre des conjoints, « des principes » sur lesquels, ils s’accordent pour donner un sens et une orientation à leur foyer. Considéré à juste titre comme gage de stabilité et d’équilibre des foyers, ce concept semble aujourd’hui désuet, dans un environnement essentiellement marqué par des mutations politiques, sociales et économiques intervenues à l’orée des années 90, dans nos sociétés africaines et dont les conséquences sur la vie des ménages, ont été et demeurent encore, particulièrement patibulaires dans bien des cas. Au nombre de ces conséquences figure la dislocation de nombreuses familles surtout en milieu urbain.
Ces dépenses de prestige
Il s’agit là, évidemment d’une dérive sociale à laquelle n’échappe pas notre pays. En effet, dans toutes les grandes villes du Mali ou presque, les ménages sont de plus en plus confrontés à des crises consécutives pour la plupart, aux divergences de vue, entre le mari et la femme sur la façon dont ils devraient ensemble, envisager l’avenir de leur ménage.
Dans ce contexte de conflit, l’un ou l’autre des conjoints, peut bien être à l’origine de la détérioration du climat de paix et de sérénité au sein de la famille. Mais à chaque fois qu’éclate un désaccord au sein du ménage qui aurait un lien avec la mauvaise gestion du patrimoine financier et matériel du couple, la culpabilité de l’épouse est très souvent mise en avant.
Point n’est besoin de chercher loin pourquoi elle a toujours tort. La femme soit incapable, en général, de résister à la tentation de dépenser de l’argent de façon très onéreuse, surtout quand c’est Monsieur qui doit régler la facture à sa place.
Hormis les fortunes qu’elles dépensent pour leurs garde-robes et les soins corporels, les femmes manquent rarement les cérémonies de mariage, de baptême et autres festivités pour dépenser toujours de l’argent et souvent inconsidérément. Cette propension des femmes à dépenser suscite parfois angoisse et désarroi chez les maris, quel que soit leur statut social.
A l’instar d’autres pays africains, au Mali l’on distingue principalement quatre groupes sociaux de femmes : les femmes rurales, les femmes ménagères, les femmes travailleuses (en milieu urbain et les femmes dites « leaders ».
A l’exception de celles de la première catégorie, les femmes maliennes, sous l’influence des chocs exogènes, semblent être désormais en rupture avec les vertus qui ont pour noms : modestie, pondération et sens de l’économie familiale. Le port d’habits de luxe, les dépenses exorbitantes effectuées lors des cérémonies familiales et autres festivités du genre sont autant de signes que ces vertus sont désormais aux calendes grecques. Une situation qui ne manque point de conséquences néfastes sur l’équilibre budgétaire des ménages et partant sur l’avenir de ceux-ci.
Détresse et désarroi
L’enquête que nous avons menée sur la situation dans le District de Bamako, a permis de découvrir le désarroi et la détresse vécus presque au quotidien au sein de nombreux foyers. Ainsi, sur la foi de plusieurs confidences recueillies auprès de couples mariés et d’autres personnes à titre privé, la vie en couple pour nombre d’hommes, est un véritable enfer. Raison souvent invoquée, le rythme insoutenable de dépenses imposé aux maris par leurs conjointes dans le seul but de satisfaire leurs goûts mondains. D’autres hommes (les plus hardis), face aux velléités dépensières de leurs épouses, opposent stoïquement une résistance farouche.
Au risque parfois d’exposer leurs mariages à l’éclatement. Mais, qu’est ce qui peut bien pousser les femmes célibataires et mariées à ne pas accepter de vivre selon les moyens à leur portée ou selon ceux de leurs maris ? Seraient-elles les victimes innocentes d’une société qui ne fait de place qu’à l’argent et au luxe et où, l’effet d’entraînement semble irréversible ?
Les avis recueillis auprès des personnes que nous avons interrogées, sont assez variés. Toutefois, selon la majorité, l’air du temps semble être à l’origine du comportement exagérément envieux de ces femmes qui veulent, à tout prix, paraître aussi joliment habillées que celles, capables de payer personnellement les frais de leurs caprices.
Jugées d’inconséquentes par une certaine opinion, ces femmes, ayant tendance à vivre au delà de leurs moyens propres ou de ceux de leurs maris, sont tout simplement des êtres pathétiques. Parce que, complexés.
Plusieurs autres personnes ont fustigé avec véhémence les grandioses cérémonies organisées par les riches, au cours desquelles, tombent des pluies de billets de banque. A croire que l’on n’est pas dans un pays où la majorité des citoyens manquent du minimum vital.
Les proches de la petite bourgeoisie nationale, ne serait-ce que par décence, devraient se garder d’exhiber publiquement leur situation financière reluisante. N’oublions pas que dans un pays voisin, de tels comportements ont conduit par le passé à des révoltes populaires. Par conséquent, l’interdiction des cérémonies “pompeuses“ ne serait pas une mauvaise chose dans la mesure où elle contribuera à la consolidation de la paix sociale et à l’atténuation de la convoitise aveugle de bon nombre de femmes et d’hommes sans revenus réels. Les cérémonies de mariage et de baptême qui se font avec gasconnade sont d’autant plus critiquables qu’elles suscitent de réelles frustrations conduisant à la déstabilisation de bien des ménages pour des raisons bien connues.
Témoignages accablants
Les confidences recueillies sont suffisamment éloquentes. La confidence de A. Thiam, bijoutier à Bozola est assez pathétique. Avec une émotion mal dissimulée, il nous révèle : « Avec mon ex-femme, j’ai souffert le martyr durant trois ans. Pendant la première année de mariage, j’ai cru pouvoir satisfaire à ses caprices. Chaque jour, elle me présentait des boubous en bazin de grande valeur qu’elle me demandait de lui acheter. C’est vrai que très volontiers, je me prêtais à ce jeu. Issue d’une famille très pauvre, je me disais alors qu’elle mériterait d’avoir quelques habits de valeur tout en restant modeste et moins exigeante. Mais avec le temps, j’ai appris à mes dépens qu’elle était non seulement prétentieuse, mais profondément complexée aussi. Au cours de la deuxième année de mariage, les déboires avec elle empiraient. Elle avait le goût des habits de luxe. Avec ou sans mon argent, elle se payait des habits très chers. Et quand je lui posais des questions sur la provenance de ces tenues, je reçois sur ma tête ses foudres et elle menaçait en plus de me quitter si je continue à l’emmerder. Mon grand amour pour elle annihilait chez moi toute force de résistance. Pire, elle en était arrivée quelques fois, à rentrer tard, la nuit, à la maison conjugale. Et à chaque fois, elle avançait le même argument : “ j’étais chez ma copine“.
Malgré que je l’aime, sa présence chez moi, était finalement devenue un véritable supplice pour moi. Je dois vous avouer qu’après tant de tortures morales subies, je suis dégoûté du mariage. Et la morale que je retiens du cas de mon ex-épouse, c’est qu’il ne faut jamais refuser sa classe sociale. Le pigeon ne sera jamais qu’un pigeon et l’aigle demeurer toujours l’aigle « .
S. Koné, habitant de Badalabougou-Sema-Gexco, est un cadre de l’administration publique, marié depuis 10 ans et père de 3 enfants. Est-il heureux dans son foyer ? Non, répond-il : « Après 10 ans de mariage, entre ma femme et moi, l’entente n’y est toujours pas. Malgré tous les efforts que j’ai déployés en ce sens je ne parviens toujours pas à la faire changer dans le sens de l’intérêt bien compris de notre foyer et de l’avenir de nos trois enfants. La maison dans laquelle nous habitons ne nous appartient pas. Nous sommes en location. A deux, nous aurions pu nous construire une maison depuis longtemps. Nous sommes salariés, ma femme et moi. Mais jamais elle n’a voulu envisager une pareille possibilité. Le seul plaisir de ma femme consiste à s’acheter des habits très chers et d’aller se pavaner sur les lieux de cérémonies, en compagnie d’autres femmes partageant avec elle, les mêmes goûts baroques. Quant à moi, je suis seul à supporter toutes les charges de la maison, y compris les frais de scolarité des enfants et les fournitures. Dieu seul sait, si je pourrai continuer plus loin avec cette femme là. L’amour d’un homme pour une femme ne peut lui permettre de tout accepter. Il y a des limites à tout », conclut S. Koné.
Des cas modèles
D.S, est titulaire d’un BTS en Comptabilité et dirige un atelier de couture et tricotage (Médine). Quant à celle là, elle s’insurge contre les femmes qui au lieu d’assumer le rôle qui leur est dévolu au sein du foyer à savoir la gestion cohérente et efficiente des ressources matérielles, financières et morales, s’adonnent plutôt aux gaspillages de toutes sortes au détriment non seulement de leurs propres intérêts, mais aussi ceux de leurs maris.
Selon Mme D.S, la valeur d’une femme se mesure à son degré d’engagement au côté de son mari et de ses enfants en tant que soutien moral et gardienne des patrimoines familiaux. Au tour de moi, dit-elle, il y a un tas de femmes qui s’achètent en moyenne par mois, un boubou en bazin multicolore, d’une valeur de près de 150 000 FCFA. Somme qui pourrait à mon avis servir à financer ici, à Bamako, les études d’un ou deux enfants dans les meilleures écoles privées de la place. De moins en moins, mes amies me fréquentent.
Elles me font le reproche de ne pas m’habiller chèrement comme elles le font. Mais pour ma part, poursuit D.S, je n’entends nullement me laisse influencer par leurs remarques, remarques que je trouve au demeurant stupides et totalement déplacées. S’habiller sobrement à Bamako, est interprété comme un signe de pauvreté par certaines personnes. C’est vrai, je pourrai m’habiller chèrement autant que mes amies le demandent. Mais, moi je compte rester moi-même. De toute façon, je n’aime pas les artifices. Mon ménage est ma priorité.
Mon travail ensuite. À noter que Mme D.S est couturière et tricoteuse travaillant exclusivement sur des matériaux locaux. De Norvège aux USA en passant la France, l’Allemagne et le Canada, elle effectue plusieurs fois dans l’année, des voyages de travail sur invitation de ses partenaires étrangers à participer à des Expo internationales où elle vend honorablement à chaque fois, l’image du Mali. Il ne peut se constituer dans aucun foyer une économie familiale sans l’implication correcte et responsable de la mère de famille auprès du père de famille, soutient, D.S.
F.S, est cadre du Trésor public. Pour elle, le forcing de certaines femmes à s’habiller cher, frise parfois le ridicule, car la plus part d’entre elles n’ont même pas un fixe mensuel de 50 000 FCFA. « Elles achètent tout à crédit. Comment comprendre que cette catégorie de femmes puisse s’offrir des habits qui coûtent au bas mot 70 000 FCFA ? Il convient de se demander comment font-elles pour régler les dettes contractées ? J’irai même plus loin en vous disant que mêmes les femmes qui n’ont pas un salaire s’habillent à crédit. Ne soyez pas surpris d’entendre un jour que telle femme s’est rendue coupable d’aventure extra conjugale. Trop d’ambitions expose, nous les femmes, à bien des situations inconvenables », témoigne t-elle..
S. Sacko est un jeune diplôme. Il parle, sans trembler : « Mon grand père m’a dit un jour que s’il m’arrivait de me marier un jour, de choisir une fille qui soit capable de se contenter de ce que je peux lui offrir. Et de ne jamais forcer quoique ce soit pour satisfaire à une exigence de ma future femme. Sinon c’est la prison assurée, disait-il. De nos jours, j’ai bien peur de ne pas trouver une fille à marier correspondant au profil que m’a conseillé mon Papi.
Nous vivons désormais dans la société de haute consommation où difficilement, un mari subvient à tous les besoins matériels de sa femme. Faute de pouvoir lui donner « tout », elle va sûrement chercher le manquant ailleurs. On imagine la suite ! A quoi ça sert donc de se marier si c’est pour partager ta femme avec d’autres hommes. Notre société a perdu ses repères. Plus rien n’a de valeur sinon que l’argent.
Nos grands parents nous ont appris que la femme était le pilier central du foyer. Mais aujourd’hui, dans une large proportion, les femmes sont à l’origine des divorces consommés au sein des ménages. Et, dans beaucoup de cas de divorce, c’est « l’insuffisance de moyens matériels » du mari qui en est la cause principale.
La situation est suffisamment grave pour que réagissent très rapidement les pouvoirs publics, les associations et mouvements féminines en initiant des campagnes de sensibilisation notamment auprès des femmes, sur les facteurs de déstabilisation des nos ménages. Les associations féminines du Mali ne tarissent pas de discours et de slogans en faveur de l’émancipation et de la promotion de la femme malienne.
En revanche, ces associations sont muettes sur les dérives sociales telles les cérémonies de mariage et de baptême célébrées avec pompe. Partagée entre les coutumes, les réalités économiques et les phénomènes de mode, notre société devrait se remettre en cause pour rompre avec des habitudes qui menacent dangereusement l’équilibre des foyers et de renouer avec nos vertus de sagesse, de probité morale et de pondération.
ALPHA KABA DIAKITE
L’Aube du 30 Octobre 2008