« Après les indépendances politiques, l’Afrique doit engager la lutte pour l’indépendance économique »
La Ligue internationale des journalistes pour l’Afrique (Lijaf) lance une série de manifestations en cette année de commémoration du cinquantenaire des indépendances de 17 pays africains. De passage à Bamako, son président exécutif, le journaliste camerounais Valentin Mbougueng, également rédacteur en chef de la revue internationale Afrique Asie, a dévoilé à L’Aube, le programme des activités prévues tout au long de l’année 2010.
L’Aube : L’année 2010 est celle du cinquantenaire des indépendances de nombreux pays d’Afrique. Comment la Lijaf prépare-t-elle cet événement ?
Valentin Mbougueng : La Lijaf, qui est la première organisation de journalistes africains et/ou africanistes dédiée à la défense des causes africaines, ne pouvait pas rester insensible aux 50 ans d’indépendances de plus d’un tiers des pays du continent (17 au total). Non seulement parce que commémorer le recouvrement de la liberté est toujours un moment intense, mais aussi en raison de ce que l’événement dont il s’agit aujourd’hui revêt une importance capitale.
Pour nous, à la Lijaf, il ne s’agit pas seulement d’un moment de réjouissances, mais surtout d’un temps de recueillement en souvenir de nos héros morts sous les balles du colonisateur, d’un temps d’introspection pour faire un bilan sans complaisance des cinq décennies écoulées, et prendre des résolutions pour l’avenir.
Quelles actions la Lijaf compte-t-elle entreprendre ?
Nous envisageons une série d’activités s’ordonnant autour du constat et de la résolution suivants : nos indépendances ont été largement confisquées et inachevées, il est du devoir des générations actuelles de les parachever.
La Lijaf se déploiera à travers trois activités phares : des séminaires et colloques divers pour restituer le combat contre le colonialisme en Afrique dans sa perspective historique et rendre hommage aux martyrs des différents combats menés pour l’indépendance. Nous sommes d’autant plus décidés à contribuer à ce travail de revalorisation des héros africains des indépendances qu’un certain courant très en vogue dans diverses anciennes puissances coloniales européennes tend à présenter les indépendances africaines comme un geste de magnanimité de l’ancien colon.
Nous entendons aussi faire un bilan critique autant qu’une évaluation sereine des cinquante dernières années, pour montrer, là aussi, que contrairement aux schémas de pensée dominants, il n’y a pas eu que des échecs en Afrique, si retentissants qu’ils aient été par endroits. Il y a aussi eu des succees-Stories et il nous appartient à nous Africains de les faire connaître du plus grand nombre, afin que les uns s’inspirent des réussites des autres pour avancer.
Si nous ne faisons pas ce travail qui nous permettra de sauvegarder une bonne partie de nos ressources qui alimentent une coopération technique étrangère budgétivore mais largement inapte à provoquer le développement de nos pays, nous pouvons être certains que ce ne sont pas les anciennes puissances coloniales qui viendront le faire à notre place.
Le troisième volet de nos actions est double : il comporte un audit généralisé des cinquante années d’indépendances pour déterminer qui a fait quoi, où sont passées les matières premières africaines, qui a assassiné les leaders nationalistes africains, où est passé l’argent de l’Afrique, qui a profité des fonds d’aide au développement, etc. Nous lançons un appel à témoins afin que la lumière soit faite sur ces séquences de notre histoire.
Cet audit sera nécessaire en ce qu’il permettra de mettre un terme à l’impunité et aux violations des droits des peuples africains, mais aussi parce que ses résultats nous éclaireront dans la recherche de voies nouvelles plus appropriées pour favoriser l’émergence de notre continent.
C’est un vaste programme?
Oui, en effet. C’est pourquoi nous comptons sur la mobilisation de tous les journalistes africains, de tous les « patriotes » africains, dirigeants politiques comme militants de la société civile et opérateurs économiques. C’est l’avenir de tout un continent qui est en jeu. Les cinq décennies écoulées ont bien montré ce que valent les indépendances politiques sans l’indépendance économique.
Avec toutes les ressources dont regorge notre continent, naturelles mais aussi humaines, nous disposons en cette année 2010 des moyens nécessaires pour orienter notre continent dans la voie de la souveraineté économique. Nos aînés se sont battus pour la souveraineté politique. Notre génération doit engager le processus de libération économique de l’Afrique.
Car, tant que nos politiques économiques dépendront du FMI et de la Banque mondiale, deux institutions aux mains des pays riches dont plusieurs ex-puissances coloniales, tant que nos politiques monétaires, du moins pour ce qui est de la zone Cfa sera élaborée par le Trésor français, tant que les multinationales de tous genres continueront à faire la pluie et le beau temps en Afrique, tant que des bases militaires étrangères continueront à exister sur nos terres, notre indépendance politique conquise en 1960, parfois dans le sang et les larmes, restera une simple illusion. Nous n’avons pas le droit de trahir le combat de nos pères.
Propos recueillis par C. H. Sylla
01 Avril 2010.