Après neuf long mois d’études, l’heure est, en principe, au repos pour les élèves. En principe parce que cette période dite des « grandes vacances » n’est pas exploitée de la même manière par les scolaires. L’emploi du temps varie selon que l’on vive en campagne ou en ville. Et même en ville notamment à Bamako, la situation est différente selon qu’on soit d’une famille aisée, modeste ou carrément démunie.
Dans les villages, la question ne pose pas car la tradition est toujours de règle : les enfants accompagnent leurs parents au champ ou vont faire paître les animaux domestiques. « Ce n’est pas pour rien que contrairement à la plupart des autres pays, on avait fixé la rentrée des classes au 1er octobre. Les premiers responsables du Mali indépendant avaient estimé qu’étant donné que nous sommes dans un pays d’agriculture, il était utile et opportun de donner une si longue période de vacances pour permettre aux élèves d’aider leurs parents dans les travaux champêtres« , explique un enseignant aujourd’hui à la retraite.
L’ancien souligne que dans les villages, les parents étaient réfractaires au recrutement de leurs enfants à l’école à cause justement du manque de bras valides que cela occasionnait pour les activités agricoles. Les nombreuses associations de défense des droits des enfants créées entre-temps, appelleront cela « le travail des enfants« . Au Mali ici, on préfère le terme « socialisation de l’enfant » dès lors que celui-ci n’est pas affecté à une tâche dont l’exécution dépasse sa force physique et n’est pas faite contre rémunération en espèces sonnantes et trébuchantes. Et que ce temps de travail n’ait pas de répercussions négatives sur sa scolarité.
Ils sont du reste nombreux les cadres du pays qui sont passés par ce chemin. Mais en fait, ce qui nous intéresse aujourd’hui, est le cas spécifique de la capitale. Ici, les vacances ne se passent pas de la même façon pour tout le monde. Tandis que des élèves peuvent s’évader avec les nombreuses colonies de vacances organisées, d’autres se consacrent à des cours de vacances. A l’autre bout de l’éventail des possibilités, il y a ceux qui mettent à profit cette période de repos pour travailler.
TROP SAGE POUR SON ÂGE
Ceux-ci viennent généralement des quartiers périphériques. Actuellement, on les aperçoit « descendant » en ville, tôt le matin. Certains font du « moto-stop » pour rallier le centre-ville. D’autres marchent à pied pour s’y rendre. Mais tous viennent pour faire des petits boulots dans un centre où se concentrent les clients. Il y en a qui sont cireurs de chaussures. On en croise d’autres aux feux rouges qui nettoient les pare-brise des voitures ou vendent quelques articles à la sauvette. Certains font l’apprentissage d’un métier par exemple auprès de menuisiers, de soudeurs ou de mécaniciens. Il y en a aussi qui aident un parent commerçant à vendre dans sa boutique. Tous ont la même la motivation : profiter des vacances pour se faire un peu d’argent ou s’initier à un métier.
Le jeune B.K. fait partie de ces scolaires qui préfèrent faire fructifier leurs vacances. Une information utile : il n’est pas d’ethnie soninké. La précision est importante quand on sait qu’au début, ce sont essentiellement les jeunes scolaires soninkés qui « rentabilisaient » leurs vacances. Leurs cousins à plaisanterie ne manquaient d’ailleurs jamais l’occasion de leur demander s’ils étaient en train de « chercher l’argent du prix du billet d’avion » pour ensuite émigrer en France.
Revenons donc au jeune B.K. Élève à l’école fondamentale Maouloud Baby depuis deux ans, il se transforme en cireur de chaussures pendant les vacances. Il explique : « J’ai perdu mon père, mais ma mère est là. Je dois l’aider à prendre la famille en charge. En plus, cela m’évite de tomber dans des activités de vagabondage« . S’il reste discret sur ces recettes journalières, il assure qu’il tire son épingle du jeu malgré la rude concurrence en cette période. N’est-il pas gêné de pratiquer une telle activité en tant qu’élève ? « Pas du tout ! C’est un métier comme les autres. Je ne vois pas pourquoi je me gênerai. En tout cas j’ai plus de respect pour celui qui le pratique que pour l’autre qui passe son temps à demander de l’argent à ses parents ou aux autres« , répond le jeune homme, apparemment trop sage pour son âge.
DES HORAIRES SOUVENT IMPOSSIBLES
M.D. qui habite avec ses parents à Sabalibougou, travaille chez son oncle, un réparateur de motos. L’oncle préfère répondre à sa place à nos questions. « C’est moi qui ai décidé de l’amener avec moi pendant ces vacances. Nous sommes d’origine paysanne, mais nous n’avons pas de champ ici à Bamako. Il vaut donc mieux l’amener ici que de le laisser dans le quartier à ne rien faire. Il apprend au moins un métier. On ne sait jamais. Moi qui vous parle j’ai été à l’école, mais j’ai été renvoyé quand j’étais au premier cycle. Je ne serai jamais riche avec ce métier, mais ça vaut mieux que rien. Je ne lui demande aucun effort qui dépasse ses capacités physiques« , assure-t-il, en demandant si par hasard dans notre service, il n’y aurait pas pour lui un travail plus « garanti« . Comme chauffeur par exemple, car il a son permis de conduire.
I.D. est étudiant dans une école professionnelle de la place. Depuis deux ans, il consacre ses vacances à assurer la comptabilité dans un bar-restaurant de la place. Il a bien apprécié l’expérience. « En fait moi-même je fréquentais le coin. Un jour, le propriétaire de l’établissement était confronté à un problème. Son gérant était tombé malade et celui qui pouvait assurer son intérim avait voyagé pour des raisons de famille. Je n’ai pas hésité à lui proposer mes services et il a accepté. J’ai passé le reste de mes vacances à travailler chez lui. C’est vrai que c’était dur avec des horaires de travail souvent impossibles, mais ça s’est bien passé. A la fin, lui-même était content et on a convenu que désormais, je viendrai travailler pendant les vacances« . Le patron lui aurait même promis qu’à Dieu ne plaise, s’il ne trouvait pas de boulot à sa sortie, il pourrait dans un premier temps travailler dans le bar-restaurant comme comptable.
Il n’y a pas que les garçons qui pratiquent les petits métiers pour meubler leurs vacances. Des filles le font aussi. Elles choisissent souvent le petit commerce, la restauration ou les salons de coiffure. Chacune a ses raisons : besoin d’aider une mère qui tient une gargote, envie d’apprendre quelque chose de pratique, occasion de se faire un peu d’argent pour préparer sa garde-robe dans la perspective de la rentrée des classes.
Maïmouna fréquente l’école fondamentale de Sokorodji en Commune VI. D’habitude, elle passe ses vacances chez des parents à Sénou. Mais contrairement aux autres années où elle aide sa tante à vendre des jus de fruits, elle a décidé de faire la vendeuse ambulante d’arachide. La jeune fille qui considère que la période est très propice à cette activité, assure qu’elle a vu juste. Même si elle se plaint des nombreuses avances que lui font les hommes à longueur des journées.
UNE VIEILLE TRADITION
Adiaratou qui vient d’avoir le DEF, a préféré faire comme d’habitude. Elle aide sa grande sœur dans un salon de coiffure à Sogoninko. « En principe je dois aller au lycée l’année prochaine. En plus d’aider ma soeur, cela me permet d’obtenir beaucoup de secrets pour être belle…« , explique-t-elle, avec un sourire ironique.
Qu’en pensent les adultes ? « Par les temps qui courent, les enfants dérivent rapidement. Qu’ils pratiquent de telles activités pendant les vacances scolaires, est à mon sens une très bonne chose. Car non seulement cela leur évite de s’adonner à certaines activités répréhensibles, mais ça leur permet aussi de s’initier à un métier. De nos jours, il est important d’avoir plusieurs cordes à son arc« , estime Djibril Alkida, un enseignant.
C’est la même position que défend Alkéye Touré, sociologue et originaire de la Région de Tombouctou. Celui-ci explique que la pratique est très ancienne dans cette partie du pays où depuis fort longtemps, les enfants, parallèlement à leurs études (à l’école publique ou coranique), apprennent tous un petit métier. Histoire d’avoir toujours un moyen supplémentaire de gagner sa vie. « L’éducation des enfants ne saurait se limiter au seul cadre de l’école. En fait, qu’ils fréquentent l’école ou pas, les parents ont obligation de veiller sur l’éducation des enfants. Et cela inclut l’apprentissage d’un métier« , conclut le sociologue.
L’Essor
07 août 2007.