Le débat sur l’agriculture intervient alors que l’Afrique est frappée de plein fouet par trois crises successives qui l’ont davantage fragilisée.
Cinquante ans après les indépendances africaines, l’avènement de la démocratie, les changements de politiques économiques, la mondialisation de l’économie et les nouvelles technologies de l’information et la biotechnologie constituent des atouts pour la relance de la production agricole en Afrique si l’agriculture devient une priorité budgétaire pour les Etats et les bailleurs de fonds.
Mais les politiques de répartition des revenus et les politiques actuelles de lutte contre la pauvreté qui mettent l’accent sur les secteurs sociaux, l’environnement et les droits politiques des pauvres et des femmes, la mauvaise gestion du terroir et une démographie galopante risquent de doter les pays de services sociaux et de capacité de revendications sociales sans pour autant créer la base économique capable de les financer.
D’où là pertinence du traditionnel Forum de Bamako qui s’est ouvert hier au Centre International de conférences de Bamako sous la présidence de Modibo Sidibé, Premier ministre et président de la fondation Forum de Bamako laquelle reprend dans son agenda toutes ces grandes questions structurelles qui préoccupent le continent noir un demi-siècle après que celui-ci ait recouvré sa souveraineté.
Le facteur humain.
L’Afrique de nos rêves n’est-elle pas un mythe, s’est interrogé Abdoullah Coulibaly, le vice-président de la fondation et maitre d’œuvre du forum, dans son adresse à l’assemblée. Non, s’est-il empressé de répondre en jugeant qu’au regard des avancées technologiques de l’humanité, il est possible de bannir d’Afrique voire du monde, la faim dès lors que les causes de la famine sont imputables au facteur naturel et aux agissements des hommes.
Le premier facteur a trait aux cataclysmes naturels comme les inondations, les glissements de terrain, les séismes alors que le second groupe pointe du doigt les guerres fratricides, la déforestation débridée, le boycott économique organisé, etc.
Les défenseurs de la pensée unique mettent, eux, en avant la forte démographie dans les pays d’Afrique subsaharienne pour expliquer le retard du développement agricole de cette région du monde. Mais au lieu d’être un handicap, le facteur humain apparaît plutôt comme une chance pour l’Afrique. En effet, le financement du terroir paysan dépendra d’une croissance accrue des revenus agricoles qui constituent la principale source de taxation. Certes, la vitesse de croissance de la population est bien plus grande en Afrique subsaharienne que dans n’importe quelle autre région du monde.
Mais dans le même temps, dans beaucoup de pays et de régions d’Afrique subsaharienne, la pression se fait forte pour passer des systèmes traditionnels à faibles intrants vers des systèmes plus productifs. Ces efforts, ont tour à tour souligné les différents intervenants, doivent être soutenus par la puissance publique et une plus grande implication de la jeunesse.
Ce n’est que de cette manière que l’envie de s’exiler qui habite la jeunesse africaine laissera la place à celle de s’établir sur place, ont estimé en substance le représentant de la Fondation Syngenta, Marco Peroni, le conseiller culturel et d’action culturelle de l’ambassade de France, Thierry Vielle, le représentant résident du PAM au Mali, Mme Alice Martin Dahirou.
Le vice-président de la BOAD, notre compatriote Bassari Touré, et Adam Maïga journaliste à Africable et voix de la jeunesse malienne au Forum de Bamako, ont abondé dans le même sens tout en stigmatisant l’égoïsme de certains acteurs politiques.
Comme l’a si bien énoncé l’ambassadeur du Danemark au Mali, reprenant les propos du Premier ministre de son pays, la clef du développement du continent africain est entre les mains de la jeunesse africaine. Pour eux, le thème de cette rencontre sonne comme un hymne à la terre.
Choix politique.
Le Premier ministre Modibo Sidibé relèvera que le contexte du cinquantenaire donne une résonance encore plus forte à ce questionnement auquel se trouvent confrontés l’ensemble des dirigeants des pays du continent. On ne compte plus les foras, conférences et sommets qui, au cours de ces dernières années ont mobilisé leaders politiques, chercheurs, responsables d’organismes de coopération et d’intégration pour débattre des stratégies susceptibles d’apporter aux Africains les réponses adéquates à cette question fondamentale : Comment faire pour que l’Afrique puise nourrir une population en pleine expansion ?
Ce débat, a constaté Modibo Sidibé, intervient alors que l’Afrique est frappée de plein fouet par trois crises successives qui l’ont davantage fragilisée : La crise énergétique, la crise alimentaire consécutive à la flambée des prix des produits agricoles et la crise économique et financière. Cette dernière a aggravé la crise alimentaire.
La barre du milliard de personnes affamées a été franchie, environ un sixième de la population mondiale souffre de la faim et est sous-alimenté. L’Afrique demeure le continent le plus touché par la disette et la malnutrition. Plus de 200 millions d’Africains ont faim alors qu’il y a 50 ans l’Afrique était exportateur net de vivres.
Aujourd’hui, le continent importe un tiers de ses céréales. Au Mali, a relevé Modibo Sidibé, la crise aura apporté la confirmation de la pertinence du choix du choix politique opéré dans le cadre du PDES de faire de l’agriculture le vecteur du développement socioéconomique de notre pays. La loi d’orientation agricole est venue fixer les orientations politiques. Pour faire face aux aléas conjoncturels, un système national de sécurité alimentaire a été renforcé.
Le développement accéléré du potentiel agricole aménageable estimé à 2,2 millions d’hectares enregistre aujourd’hui 325 000 hectares aménagés soit 15 % dont 148 000 hectares en maîtrise totale de l’eau.
Avec le programme gouvernemental en cours et les aménagements programmés pour un avenir proche, les aménagements au Mali seront de 810 500 hectares sur son potentiel de 2,2 millions d’hectares soit 37 % dont 360 000 hectares en maîtrise totale.
Les directives du président de la République sont claires : 10 % des terres aménagées sont dévolues aux jeunes et aux femmes qui sont aussi éligibles au reste. Modibo Sidibé préconisera à ce propos de libérer les producteurs, de les responsabiliser et de les accompagner pour que l’Afrique puisse libérer sa capacité de se nourrir. Comment ? Le Forum de Bamako va s’efforcer d’esquisser des réponses au cours de ses quatre jours de réflexion.
Bakary Coulibaly
L’Essor du 17 Février 2010
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Forum de Bamako: « l’Afrique peut nourrir ses propres enfants »
« L’Afrique peut nourrir ses propres enfants », a lancé mardi le Premier ministre malien Modibo Sidibé à l’ouverture de la 10e édition du « Forum de Bamako » dont le thème central est le défi alimentaire, a constaté l’AFP.
Des universitaires africains, européens, américains, asiatiques ainsi que des décideurs publics et des spécialistes des questions de développement participent jusqu’à samedi à ce colloque sur le thème: « l’Afrique 50 ans après: la faim sur le continent africain ».
« Il n’y a pas de fatalité, l’Afrique peut nourrir ses propres enfants (…) Le capital humain est sans contexte le plus important du développement agricole », a déclaré dans son dicours d’ouverture M. Sidibé.
La représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) au Mali, Alice Martin-Daihirou a rappelé que « 90% des enfants malnutris vivent en Asie et en Afrique. (…) En 2050, il y a aura 9,1 milliards de personnes dans le monde et il va falloir augmenter de 70% la production agricole actuelle », a ajouté Mme Martin-Daihirou, au nom de l’organisme d’aide alimentaire de l’ ONU.
« La révolution verte, exige une solidarité (…) Nos dirigeants, nos élites doivent réagir », a déclaré de son côté M. Abdoulah Coulibaly, vice-président du « Forum de Bamako ».
BAMAKO (AFP) – mardi 16 février 2010 – 18h23