Partager

Ces vers de La Fontaine restent d’une dramatique actualité en ces jours de globalisation-mondialisation : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
On semble l’avoir oublié, mais Goodluck Jonathan, lui, s’en souvient sûrement. C’était un certain 14 avril 2007, puis le 21 du même mois. Ces jours-là, les Nigérians avaient été appelés aux urnes, aux fins d’élire le successeur d’Obasanjo.

Le président sortant, en réalité président sorti (après avoir tout tenté pour se maintenir), organisa l’un des scrutins les plus scabreux de l’histoire électorale ouest-africaine, pour imposer au peuple nigérian le ticket de son choix à la magistrature suprême. A savoir le tandem Yarad’ua-Goodluck. Le chouchou de la communauté internationale et de la Fondation Carter qu’il avait jusque-là été, n’avait pas hésité à recourir à l’irruption flagrante, violente et meurtrière de l’armée nigériane dans le processus électoral.

Des images, édifiantes, en avaient été diffusées dans le monde entier. Elles restent vivaces dans l’esprit de tous, hormis peut-être chez ces amnésiques volontaires qui président de nos jours aux destinées de la communauté internationale. En tout cas qui orientent l’essentiel de ses prises de position.

Rappelons, en passant, qu’en amont, Obasanjo-Le-Grand-Démocrate avait déjà pris le soin d’écarter Atiku Abubacar, son dauphin naturel au sein du PDP tombé en disgrâce pour avoir mené la fronde contre sa tentative de modification constitutionnelle. Cela, de la manière que l’on sait, et que cet autre démocrate africain adoubé par la communauté internationale, Thabo Mbeki, essaiera plus tard, mais en vain, de rééditer contre Jacob Zuma.

La « communauté internationale », les dirigeants européens notamment, semblent avoir oublié ou tourné la page de cet épisode. Aussi convient-il de leur rappeler les termes de la résolution adoptée à Strasbourg par le Parlement européen le 24 mai 2007.

Dans ladite résolution, les députés européens s’étaient en effet accordés sur le fait que « les élections présidentielles et fédérales au Nigeria, en 2007, sont demeurées très en deçà des normes élémentaires internationales et régionales en matière d’élections démocratiques et ne sauraient être considérées comme crédibles, libres et équitables ».

En conséquence, ils avaient demandé aux autorités du Nigeria d’organiser de nouvelles élections, suite aux graves irrégularités constatées par les observateurs internationaux, lors des scrutins régional, législatif et présidentiel des 14 et 21 avril.

Rappelant qu’au moins 50 personnes avaient été tuées lors du scrutin nigérian, le texte invitait l’Union à ne pas poursuivre les relations avec le nouveau gouvernement nigérian « comme si de rien n’était » et demandait que l’aide apportée par l’Union européenne au Nigeria ne soit pas allouée aux structures fédérales ou étatiques tant que de nouvelles élections crédibles n’auront pas été organisées.

Franchement donc, Goodluck Jonathan, principal bénéficiaire de ce hold-up électoral du siècle, n’a de leçon de démocratie à donner à personne. Et puis, n’a-t-il pas mieux à faire, face aux pogroms en gestation à Jos ou Maiduguri, plutôt que de se constituer bras séculier, prêt au massacre d’une moitié du peuple ivoirien, même à l’appel des dirigeants irresponsables de l’autre moitié ?

On pourrait aisément expliquer le zèle du président nigérian et sa détermination à voler au secours de M. Ouattara, au point de vouloir porter la guerre sur le sol ivoirien. En vérité, les Forces armées des Forces nouvelles n’ont fait, le 28 novembre 2010, que rééditer dans le Septentrion ivoirien, le triste exploit de l’armée nigériane en 2007 au Nigeria.

Mais comment pourrait-on accepter que Goodluck Jonathan, lui-même imposé au peuple nigérian, et mieux (ou pire), comment se faire à l’idée que l’armée nigériane, après avoir ainsi étouffé la libre expression de son peuple, puissent s’ériger aujourd’hui en zorros légitimants, ainsi qu’en référents démocratiques ? En outre, comment ladite communauté internationale peut-elle occulter le fait que, partout où elle a été appelée en mission de maintien de la paix, cette armée s’est plutôt illustrée par des casseroles de toutes sortes, notamment par des violations répétées des droits humains de civils, et par le viol ?

La fin, qui consiste à « déloger Gbagbo pour asseoir Ouattara par tous les moyens », justifierait-elle cette brutale amnésie collective ? En tout état de cause, il importe que ladite communauté prenne garde. Elle sera tenue comme principal responsable de toutes exactions que l’armée nigériane, totalement aux antipodes d’une véritable armée républicaine, pourrait être amenée à perpétrer en République de Côte d’Ivoire.

Autre situation, autre incohérence de la communauté internationale : le Mali de 2002. Cette année-là, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), ancien Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, quoique favori dans les sondages comme dans l’imaginaire populaire, fut éliminé dès le 1er tour de la présidentielle, avec seulement 4000 voix environ de moins que celui qui sera, au 2e tour, le challenger du président élu. Mais il aura fallu, pour aboutir à un tel résultat, que la Cour constitutionnelle annule plus de 500 000 des deux millions environ de suffrages exprimés.

Qui plus est, plusieurs urnes de Bamako furent portées disparues, et mentionnées comme tel dans l’arrêt de ladite juridiction, alors même qu’IBK avait fait un véritable tabac dans la capitale. Cela s’est fait, au vu et au su de la « communauté internationale », ainsi que de ses innombrables soi-disant observateurs. Parmi ces derniers, du reste, certains avaient même pris un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur en flagrant délit de tripatouillage des enveloppes destinées à la Cour constitutionnelle !

Alors, la question est : Pourquoi s’était-elle tue, elle qui, dans le cas ivoirien, semble si pointilleux quant au respect des suffrages populaires ? IBK, quant à lui, en considération des lois et les règlements de la République du Mali, avait opté de se soumettre à la décision de la Cour constitutionnelle, seule juridiction habilitée à proclamer les résultats présidentiels dans ce pays. Dura lex sed lex, avait-il dit devant 50 000 personnes, réunies en meeting au stade du 26-Mars et prêtes à tout pour que leur victoire leur soit reconnue. Mais on le voit bien, il ne semble pas faire école en Côte d’Ivoire.

Des émules, il en fera par contre en Guinée. Comme l’atteste Cellou Dalein Diallo dans le n°2606 du magazine parisien Jeune Afrique :
 » Je me suis conformé à la décision de la Cour suprême… Néanmoins, je ne comprends pas que la Cour suprême ait refusé d’examiner mes réclamations, pourtant appuyées de preuves irréfutables… Elle a subi des pressions pour aller vite…

Quand j’ai voulu le report du scrutin après les événements survenus en Haute-Guinée, j’ai reçu des appels du Quai d’Orsay, de l’Union européenne… Ils ont exprimé leur impatience… La communauté internationale a été plus soucieuse de la rapidité du scrutin que de sa crédibilité ».

A la question, « donc vous contestez la légitimité d’Alpha Condé ? » Il répondra : « Il est un président légal. Je conteste les résultats, mais je suis légaliste ». Dont acte.

Et que dire de ce qui se passe, aujourd’hui et sous nos yeux, en Biélorussie, avec ses 600 opposants condamnés à des peines de prison et l’arrestation de plusieurs anciens candidats à la présidentielle du dimanche 19 décembre 2010 ?

La communauté internationale prendra-elle des sanctions contre Loukachenko ? Il est permis d’en douter. On peut également s’autoriser à parier que tout se passera pour elle « comme si de rien n’était », concernant, outre ce pays, l’Egypte, le Sri Lanka, la Thaïlande, la Libye, l’Iran. Comme quoi, ces vers de La Fontaine restent d’une dramatique actualité en ces jours de globalisation-mondialisation : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

El hadj Sékou Amadou Bamba

(samadoubamba@gmail.com)

30 Décembre 2010.