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La paix au Nord, c’est aussi la paix au Sud. L’instabilité au Nord provoque celle du Sud immédiatement. Un accord ne peut être parfait. Il reste néanmoins un gage de paix.

Le Mali est un et indivisible. Cette expression qui a pris de la valeur depuis les années 90 rejoint une autre encore plus solennelle et plus ancienne:”Un peuple – un but – une foi“.

Nous sommes donc un peuple, un seul quelques soient nos différences de teint, de dialecte, d’origine, de croyance de tradition, de culture.

Un peuple selon le Robert est un ensemble d’hommes vivant en société habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions.

Nous sommes donc un seul peuple. Est donc malien le bambara, le peul, le sonrhai, le maure, le touareg et l’arabe.

Est malien le Khasso, le Kénédougou, le Kaarta, le Macina, le Songhoy, l’Azaouad. Est malien le sudiste, le nordiste.

Nous pouvons tous entrer dans cette appellation de maliens qui nous regroupe tous dans un seul moule ; mais pour moi : est malien celui qui se soucie du sort du Mali entier. Est malien celui qui veille à l’unité du Mali, celui qui se préoccupe du sort de tous les maliens.

Il n’est un secret pour personne que le Mali accuse dans sa partie septentrionale une désarticulation. Nous avons tous accusé l’écosystème : peu de pluies, chaleurs intenses désertification…

Nous avons accusé les colons français qui n’ont pas investi dans cette partie de notre pays à cause de la mobilité de ses habitants et leur mode de vie nomade.

Quarante ans sont passés et plusieurs gouvernements se sont succédés à la tête du pays. Le Nord est toujours pauvre. La décentralisation a apporté un plus, car, elle a permis aux populations de chaque région de contribuer à son développement et son épanouissement ; tant mieux.

Il n’en demeure pas moins que le Nord demeure toujours pauvre et enclavé. En Juin 1990, dans une réaction ultime, des jeunes du Nord (blancs et noirs) ont pris les armes pour se faire entendre.

Par des interprétations machiavéliques et des actions d’agression de populations civiles et de réactions violentes sur des populations blanches, cette cause a été orientée vers une sorte d’attaques répressions, et de conflit interethnique.

Cette manipulation a fait l’affaire d’individus et de groupements opportunistes plus soucieux de leur ascension personnelle que du sort de nos populations. Après plusieurs mois de conflit meurtrier, le bon sens a prévalu.

Nous avons négocié la paix et avons gagné au prix d’énormes sacrifices consentis par l’Etat, les MFUA, le Gandakoy, les amis du Mali et les Nations Unies. Des campagnes de sensibilisation des rencontres intercommunautaires, des missions dans les camps de refugiés, meetings, tables rondes, un large et ambitieux programme de développement du Nord ont achevé de cimenter et de renforcer la paix au Nord.

Finalement les armes ont été brûlées. La paix est revenue, nos réfugiés aussi ou ce qui en reste, car il ne faut pas oublier que des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts sur les routes de l’exil et dans les camps de réfugiés.

Il ne faut pas oublier les centaines de familles déplacées à l’intérieur du pays à cause de la peur, traumatisées et victimes innocentes. Au retour des réfugiés, un programme de réinsertion socioéconomique a été planifié et mis en œuvre au bénéfice de toutes les populations rapatriées y compris celles qui sont restées à l’intérieur du pays.

Un autre programme destiné aux frères de la rébellion a été élaboré et exécuté cahin-cahan (le fameux PAREM) dans le cadre de la démobilisation et l’intégration de combattants au sein des forces armées.

Quelque soit la gestion assez confuse je dirais, de ce programme, nous demeurons convaincus que des actions réelles de développement ont été engagées ; mais sont-elles suffisantes ou l’Etat s’est-il essoufflé ?

Il y a quelques mois, une réaction a secoué la région de Kidal. Les acteurs de cette agitation sont des fils du Mali officiers et sous officiers intégrés et donc ayant subi des transformations dans leur comportement, et ont appris la discipline militaire de l’armée régulière. Je ne juge pas leurs actes.

Cependant, au cours de cette courte période d’instabilité, le démon de la peur s’est réinstallé dans nos têtes et les nuits cauchemardesques nous ont rappelé ces tristes années de rébellion. Pourtant un accord a été trouvé avec les dissidents.

Il reste un accord même si son contenu peut laisser perplexe, peut donner à interprétation. Certains de ses articles ne seraient pas forcement applicables tout de suite, peuvent même être revus ou amendés. Cependant nous devons conserver l’essentiel de l’accord ; je veux dire par là l’impact en terme de sécurisation, de détente et de paix tout court.

Pour ma part, et ceci n’est qu’un point de vue personnel, je ne suis pas politicien. Je ne m’intéresse pas aux débats et échanges entre politiciens. Je me limite au résultat et aux conséquences bienheureuses pour les populations du nord dans leur globalité.

Je reste tout à fait persuadé que les soulèvements armés, que toutes les formes de rébellion ne sont pas le meilleur moyen de faire entendre sa voix dans un pays comme le Mali qui constitue une référence en terme de liberté individuelle et collective, de justice sociale, en terme de démocratie de liberté d’expression et d’entreprise.

Le peuple malien est resté fort

Rien ne pourra justifier la situation que notre pays a connue dans les années 90. Rien ne pourra justifier le rejet sur les routes de l’exode en plein mois de juin de populations fortement traumatisées, qui gardent encore sur elles les séquelles physiques et psychiques de violences, d’abus, de maladie et de dépaysement.

Rien ne pourra justifier à mes yeux de provoquer la mort et la désolation au sein de tribus, de villages ou de campement pour la seule raison d’exiger un droit pour les uns, ou de maîtriser un soulèvement quelconque pour les autres.

Rien ne pourra justifier la mort de milliers d’enfants morts de faim, de malnutrition, de choléra, de diarrhée, de méningite et de rougeole de coqueluche… Combien de familles éclatées ou disloquées par la faute de ces tristes années de rébellion ?

Combien d’hommes de femmes sont partis sur les routes de l’exil, et ne sont plus revenus ? Combien sont morts de fatigue, de mélancolie, de folie ? Je reste en même temps convaincu que la répression militaire, les agressions physiques et verbales, les actes de pillages, de répressions de démolition des biens d’autrui ne garantissent aucune forme de dénouement d’une crise.

Nous ne sommes pas le seul pays au monde qui a connu une rébellion. Les exemples sont nombreux : Le Cachemire indien, le Népal, le Sri Lanka, le Soudan, la Turquie avec les kurdes, et même la corse en France.

Aucun de ces soulèvements n’a cessé par une victoire totale d’un camp sur l’autre. Seul le dialogue a prévalu. Ne croyons pas un seul instant que les arguments militaires peuvent mater un soulèvement si minime soit-il.

Celui qui croit en ça ne connaît rien à l’histoire des peuples. “On ne peut massacrer un peuple, parce que les peuples ne meurent pas. l’homme passe, mais un peuple se renouvelle” (Alfred de Vigny).

Au cours de la rébellion, je travaillais dans une agence du système des Nations Unies. Je gérais un camp de plus de Soixante dix mille réfugiés maliens. J’ai assisté à des scènes que personne au Mali ne pourra un seul instant imaginer, des scènes que la décence m’empêche d’évoquer.

Je sais que des cadres maliens en sont conscients et ont même visité ces camps notamment des hommes du commissariat au Nord. Des journalistes aussi de la presse écrite et de l’audiovisuel.

Je demeure serein et suis convaincu que les responsables politiques de l’époque ont mesuré la gravité de la situation, eux qui ont lutté pour la paix et le développement à travers l’Afrique et le monde.

Au cours de cette dissidence de Kidal, le peuple malien est resté fort, patient et calme. Les autorités du pays ont pris le problème à bras le corps et ont géré la crise dans ses limites et sa dimension.

Au Nord, des dizaines de familles avaient déjà franchi les frontières du pays allant à tout hasard loin de la région et laissant derrière elles tous leurs biens, malgré toutes les garanties de sécurité qu’on leur a promises. Des hommes en armes ont disparu. Ils ont été retrouvés plusieurs jours après, mort et en décomposition.

Cependant l’attitude et la fermeté des autorités a empêché l’escalade des violences, et dissuadé les nostalgiques des journées de mai et de juin 1994 de passer à l’action.

L’action de la diplomatie légendaire du Mali a tué le mouvement dans l’œuf. Les populations sonrais et les élus locaux du Nord ne sont pas restés inactifs et ont multiplié les contacts avec les groupes des dissidents et calmé les esprits. La paix est donc revenue une seconde fois. Ouf !

Des appels au meurtre

Les régions du Nord sont des régions fragiles et infestées de toutes sortes d’opportunistes et de courants tendancieux. C’est pourquoi l’Etat doit être fort et ferme.

L’Etat est seul habilité à gérer toutes les formes de crises et leur trouver la solution qu’il jugera la meilleure. Nos dirigeants sont des hommes et des femmes responsables. Ils n’en sont pas à leurs débuts.

Au cours de cette courte période, j’ai lu avec effarement des écrits souvent guerriers et très provocateurs qui m’ont donné froid dans le dos. Ce n’était ni plus ni moins que des appels au meurtre, au massacre, à la guerre civile et à la destruction des rebelles dissidents.

Heureusement que les autorités du pays ont su raison garder. Je suis parfaitement conscient de l’amour que nous gardons pour notre pays et son unité. Cependant nos propos doivent traduire notre souci de conserver à notre pays toute son unité.

Nous devons rester dans les limites du jugement proportionné, et de l’interprétation mesurée des évènements. L’outrance, l’excès, l’abus donnent quelquefois une dimension immodérée à une action.

Nous pouvons déclencher une opération militaire afin de mater un soulèvement armé. Dès que cette opération est lancée nous ne contrôlons plus le fil conducteur des évènements qui s’en suivront ou qui en découleront.

Aucun stratège militaire au monde ne peut prévoir avec précision la fin d’une guerre si minime soit-elle, ou ses conséquences. Il existe aussi dans notre cas des éléments extérieurs qui échappent à notre contrôle (les medias extérieurs) et des groupes qui ne veulent pas que du bien pour le Mali.

Cependant aucun analyste sérieux ne s’inquiéterait de cette crise car il suffit de la placer dans son contexte géo politique, et dans sa dimension régionale pour se rendre compte qu’elle ne déboucherait sur rien.

Les intérêts de pays et les risques de déstabilisation de toute la sous région, même de ceux qui pouvaient être à l’origine de cette crise ne permettent pas une partition du pays. Les conséquences seraient trop grandes et très graves. Il n’y avait selon moi aucune raison de s’alarmer.

La seule inquiétude demeure les risques de traumatismes pour les populations de la région et la disparition des acquis. Au Mali, nous avons été à l’école de la démocratie, de la liberté d’expression, celle du renouveau démocratique.

La transition sous ATT a jeté les bases d’une démocratie réelle qui, quelques années plus tard, lui permit de revenir à la magistrature suprême. Nous avions appris l’amour du travail, la patience, la fermeté, le courage et la maîtrise de soi.

Nous avions appris de Monsieur Alpha Oumar Konaré que la force brutale n’est pas toujours la solution la plus appropriée pour prévenir et gérer les conflits.

Aujourd’hui nous avons un accord entre les mains. Il vaut ce qu’il vaut. Il prête déjà à interprétation, mais il nous a ramené la paix et c’est l’essentiel.

Débattons autour de son contenu et exploitons-le au bénéfice de tous. La paix au Nord, c’est aussi la paix au Sud.

L’instabilité au Nord provoque celle du Sud immédiatement. Un accord ne peut être parfait. Il reste néanmoins un gage de paix.

Tous les fils du Mali aiment et chérissent le Mali. Qu’ils soient du Nord ou du Sud. Ils en sont fiers et préfèrent trimer ici au Mali, plutôt que de garder des douches publiques, un poulailler ou une boulangerie dans un pays voisin.

Je demeure convaincu qu’en dépit de la contestation, des réactions légitimes ou non le Mali demeurera un et indivisible.

Il n’y aura pas deux poids deux mesures. Nous ne l’accepterons jamais. Alors si l’Etat tente de corriger des erreurs du passé (retard économique, famine et mauvaise gestion) commise par des responsables politiques et des administrateurs civils maliens, l’on ne doit pas se figer à la conception d’un accord, à ses imperfections, mais à son impact sur les populations du Nord qui restent après tout une frange de la population du Pays.

En toute démocratie. Que la paix soit avec vous Amen !

Mohamed Ould Sidi Mohamed (Moydidi) Nouakchott – Mauritanie

08 août 2006.