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Une phrase prononcée cette semaine comporte la tentation de remettre en selle les soupçons d’une velléité à briguer un troisième mandat en 2012. « Oui pour un troisième mandat d’ATT », la phrase qui importe aujourd’hui plus que celui qui l’a prononcée mérite que l’on s’y attarde un peu. Elle est de Foutanga Sissoko dit Babani, un député appartenant au groupe parlementaire des « Indépendants ».

Ce groupe apporte un soutien indéfectible au Président Amadou Toumani Touré, tout comme d’autres groupes politiques à l’instar de l’ADP le font. Mais à la différence que le groupe auquel appartient Babani Sissoko n’est pas organisé en parti politique et qu’il n’a pas d’existence en tant qu’appareil politique en dehors du généreux hémicycle.

Pourquoi ce propos vient-il de Babani Sissoko ?

Trois pistes sont à explorer pour identifier les déterminants qui en sont à la base. Car il importe de savoir si le député élu à Keniéba est (première piste) mu par son intérêt personnel, ou s’il le fait (deuxième piste) au nom et dans l’intérêt de son groupe à l’Assemblée nationale. Ou alors s’il est (troisième piste) purement et simplement manipulé par le pouvoir, à savoir ATT et son entourage immédiat.

Il serait aussi naïf d’écarter d’un revers de la main cette dernière hypothèse, que de le prendre pour de l’argent comptant. On la prendrait avec des pincettes si le support utilisé n’était pas un organe proche de Koulouba.

Le journal passe pour être la voix du palais présidentiel et d’aucune autre sphère. Du coup, il y a lieu de ne pas écarter la piste d’une main habile de Koulouba à travers le député indépendant Foutanga Babani Sissoko.

Dans ce cas, c’est la voie du futur combat qui a sonné et le coup d’envoi de la lutte mortelle pour le troisième mandat, ce qui a pu s’appeler « Tazartché » ou continuité au Niger et qui pourrait prendre le nom de « An yé wa » ou « An k’a taa » (En avant !) au Mali, s’il s’avérait que le Président était résolu pour un troisième mandat.

Mais les partis politiques qui sont à leur marque peuvent encore patienter dans l’attente d’une confirmation du mouvement « An k’a taa » pour le troisième mandat car ce coup de gueule de Babani peut être tout simplement (deuxième piste) un coup médiatique au seul profit du groupe indépendant qui exprime ainsi, à travers ce cri de cœur, son besoin d’un soutien ferme du Président sortant ATT, même au cas où celui-ci ne serait pas partant pour un troisième mandat.

Sans compter que Babani Sissoko peut être en flagrant délit de prêcher pour sa chapelle, au moment où on tend aussi vers la fin de cette législature et du coup c’est la chute d’une immunité parlementaire qui approche.

Faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par Dubaï, le député élu à Keniéba bénéficie de la largesse de l’Assemblée nationale qui le couvre de son immunité. Foutanga Babani Sissoko a été élu pendant que son champ d’action était forcement limité au Mali ne pouvant sortir du pays de crainte d’être écroué par Interpol comme un vulgaire type, pour détournement et blanchiment d’argent.

Un troisième mandat d’ATT pourrait encore accorder une certaine durée de vie aux indépendants qui pourraient ainsi échapper au rouleau compresseur des partis politiques. Cependant, faut-il pousser la crédulité jusqu’à penser qu’ATT se prépare à engager toutes ses forces dans une bataille féroce pour arracher un troisième mandat ?

Depuis le 19 Avril dernier, ATT a marqué comme au fer rouge de l’étiquette de l’exemple d’Afrique, la voie à suivre. Pareil à Alpha Oumar Konaré, il y a bientôt dix ans. « Le Président malien Amadou Toumani Touré ne briguera pas un troisième mandat », cette phrase a raisonné sur toutes les radios du monde comme un refrain. Ce, après la présentation du projet de reformes politiques, le 19 Avril 2010 par le Comité d’Appui aux Reformes Institutionnelles (CARI) présidé par l’ancien ministre Daba Diawara.

Pourtant, ATT n’a jamais caché son choix de quitter le pouvoir à la fin de son deuxième mandat, même si personne ne semble lui croire. Aussi, le CARI mis en place pour faire des propositions de reformes politiques a touché à presque tout sauf à l’article 30 de la constitution qui accorde au Président une limite de deux mandats de cinq ans.

On n’en voudra à personne d’évoquer qu’en Afrique, des Chefs d’États ont fait de fausses promesses à leur peuple, lorsque le moment venu, ils ont révisé la constitution pour rester au pouvoir. Alors l’incrédulité s’est installée partout, même si au Mali le cas précédent incite à l’optimisme.

La présentation au Président ATT du projet de reformes politiques, par le président du CARI, a achevé de convaincre les plus sceptiques sur l’option sans malice chez le Président.

Cette promesse réitérée de se retirer en 2012 lui a valu les félicitations de ses rivaux de 2002, à savoir l’ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) président du Rassemblement pour le Mali (RPM) et Soumaïla Cissé (actuellement président de la Commission de l’UEMOA), son challenger au deuxième tour de la présidentielle de 2002. C’est aller à contre-courant de la restauration des pouvoirs autoritaires en Afrique, pense Tiebilé Dramé, un autre candidat malheureux à la présidentielle.

A l’opposé cependant, un tout autre son de cloche est venu de l’ancien Premier ministre d’ATT sous la transition, Soumana Sacko, selon lequel, « l’actuel projet de réformes est issu d’un processus unilatéral et anti-démocratique dont les vrais mobiles sont devenus aujourd’hui subitement inavouables quoique clairs comme de l’eau de roche aux yeux de tous et de chacun ». Des propos qui mériteraient d’être plus explicités par l’ancien PM Soumana Sacko.

Par ailleurs, nous n’avons eu connaissance d’aucun message de félicitation provenant de ses pairs présidents africains, pour saluer la sagesse de sa décision de sortir du pouvoir en 2012. Pensent-ils qu’ATT pourrait à tout moment changer les règles du jeu ?

Le peuple africain est tellement habitué à des revirements de dernière minute : les exemples sont à compter non loin de chez nous. Mais, il ne s’agit que d’un jugement, ou même d’un préjugé quant à faire un rapprochement avec le Président malien. Celui-ci pense qu’il y a une vie après la présidence : consacrer un temps à ses petits enfants et aller prier à la mosquée à Mopti, la capitale de sa région d’origine.

Les images sont têtues : le Président Mamadou Tandja du Niger qui brandissait la paume de sa main « dès que mon mandat arrive à terme, au revoir ». Pris par un délire du pouvoir, il ne vit plus le trône que pour lui seul, jusqu’au jour où il se fait détromper.

Les Présidents camerounais Paul Biya et Tchadien Idriss Deby Itno pourraient peut-être penser qu’ils ne risquent rien car ils ont adapté la loi fondamentale à leur soif de rester au pouvoir. Eyadema père (Gnassingbé) n’a-t-il pas gagné son pari de mourir au pouvoir ?

Et le Sénégalais Me Wade qui a choisi de jouer la prolongation ? Tous avaient pourtant promis de rester fidèles à la constitution en jurant la main sur le cœur. Que dire des Présidents Ismaël Omar Guelleh de Djibouti et Blaise Compaoré du Burkina Faso qui en font au gré de leur humeur du moment ?

D’après un article paru sur le site koaci.com, « le projet de reformes du CARI prouve à suffisance que le Président Amadou Toumani Touré s’est hissé au dessus de la tentation et s’est mis à l’abri de toutes ces influences contagieuses. ATT doit servir d’exemple, et pour cela, il est acteur de son propre destin ». ATT a fait de son mieux pour convaincre ses compatriotes qu’il partira. Mais, il y a encore des sceptiques.

Les chantiers grandioses qu’il a ouverts et qui ne seront pas achevés avant juin 2012 peuvent-ils servir de prétexte pour rester ? Notamment le troisième pont et le nouvel échangeur multiple de Bamako, les projets d’autoroutes, de ponts, de logements sociaux, les nombreux projets de désenclavement intérieur et extérieur, ainsi que les projets de reformes politiques peuvent-ils plaider en faveur d’un troisième mandat ? Comme ce député mal inspiré, certains soutiennent qu’en cas de referendum constitutionnel, on serait dans la quatrième République et qu’en effet ATT pourrait se représenter.

Quatrième République ou pas, il n’y a qu’un seul Mali qui ne change pas. On peut compter les Républiques autant que possible, mais le Mali lui reste un. Et ATT y a bel et bien régné pendant deux mandats. Un mouvement « An k’a taa » ne rimerait qu’à un putsch. Le Tazartché du Président Tandja n’a duré que 56 jours. Le « An k’a taa » d’ATT durera combien d’heures ?

B. Daou

Le Républicain du 21 Mai 2010.