Le ministre de l’Environnement et de l’Assainissement, Tiémoko Sangaré, revient de Nagoya (Japon) où il a participé à la 10e conférence des parties à la Convention sur la biodiversité. Président de la Conférence des ministres africains de l’Environnement (CMAE), il a accepté d’aborder avec nous le Protocole de Nagoya et ses implications pour le Mali et d’autres sujets comme la campagne de reboisement du cinquantenaire, la lutte contre les changements climatiques et les gaz à effet de serre à travers la diminution drastique de l’âge des véhicules importés au Mali, l’interdiction des sachets plastiques et du bois dans les boulangeries… Entretien.
Les Echos : Quelle est, selon vous, la conduite que chacun devra tenir pour atténuer les effets des changements climatiques et faire de l’adversité une opportunité ?
Tiémoko Sangaré : Il faut que les gens aient le bon réflexe. Il est temps que les Maliens aient le réflexe citoyen. On a parlé tout à l’heure de l’assainissement. Est-ce qu’il est possible que nos villes soient propres, que les efforts d’assainissement aient des résultats ? Les petits gestes sans lesquels il ne peut y avoir de propreté ne sont pas acceptés par des citoyens. L’appel que je lance est que chacun change de comportement.
Quand on vit dans une cité, il y a des règles élémentaires qu’il suffit d’observer pour que le cadre de vie soit assaini. Que personne ne pense que ce qui se passe dans sa rue à côté de lui ne le regarde pas. En dehors des considérations pécuniaires, chacun peut se rendre utile. C’est un thème que nous allons vulgariser dans les jours à venir au cours de la campagne que nous allons mener.
S’agissant de changements climatiques, il faut encore éviter des gestes nuisibles dans les centres urbains et ruraux.
Que les gens évitent les feux de brousse et s’organisent dans les villages en brigade pour lutter contre la dégradation de leur environnement dont les effets seront difficiles à rattraper dans le futur. Les gaz à effet de serre sont causés par nous-mêmes. Nous sommes en train de réfléchir à des mesures visant par exemple à diminuer de façon drastique l’âge des véhicules usagers que nous importons dans notre pays.
Les Echos : Vous avez été récemment l’un des porte-parole de l’Afrique à la Conférence internationale sur la biodiversité à Nagoya au Japon. Que faut-il comprendre par diversité biologique et en quoi peut-elle intéresser les Maliens ?
T. S. : Par biodiversité, il faut entendre la variabilité des organismes vivants, y compris les écosystèmes dans lesquels ils vivent, la variabilité entre les espèces, la variabilité des espèces entre elles. Globalement, c’est cela la définition. Mais, de façon prosaïque, dans le contexte malien, il faut comprendre par diversité biologique, l’ensemble des êtres vivants qui nous entourent. Des études ont montré que l’accélération de la disparition des espèces est fondamentalement imputable à l’action de l’être humain. C’est pourquoi, en 1992, au Sommet de la Terre de Rio, parmi les conventions adoptées, il y a une qui était axée sur la préservation de la biodiversité.
Ce sommet a adopté trois grandes conventions que sont : la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la Convention sur la lutte contre la désertification et la Convention sur la diversité biologique. Effectivement, il y a quelque dix jours, s’est tenue, à Nagoya au Japon, la 10e réunion de la conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique.
Les Echos : Pouvez-vous nous parler du Protocole de Nagoya et ses implications pour le Mali ?
T. S. : La 10e conférence des parties à la Convention sur la biodiversité avait à son programme un certain nombre de documents à adopter. L’objectif de la conférence se décline en 3 points. Le premier point est que la conférence vise la conservation de la biodiversité, donc des ressources génétiques. Le 2e objectif est que la convention vise à assurer l’utilisation rationnelle des ressources génétiques. Le 3e objectif vise à faire en sorte qu’il y ait un accès et un partage équitable des ressources.
Les deux premiers objectifs ont commencé à être mis en œuvre depuis l’entrée en vigueur de la Convention. Le 3e objectif n’avait jusque-là connu aucun début de mise en œuvre ; à savoir : l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. Il était prévu, pour la conférence, que la communauté internationale parvienne à adopter un protocole visant la mise en œuvre du 3e point des objectifs de la Convention.
La Convention, signée et ratifiée par 193 Etats et le protocole sur l’accès et le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, était en négociation depuis 8 ans. En plus du protocole, il y a le Plan stratégique 2011-2020, qui devait prendre le relais du 1er plan adopté en 2002 et qui s’achevait en 2010 et il y a le Mécanisme de financement des activités de la convention. En plus de ces 3 textes, il y avait une autre disposition très importante pour les Africains. Il s’agit de la Plate-forme intergouvernementale politique et scientifique sur la biodiversité et les services éco systémiques. Ces 4 documents, adoptés à Nagoya, nous tenaient à cœur.
Les négociations ont été très ardues autour du groupe Afrique qui a joué le rôle moteur à Nagoya en se présentant en front uni. Le Protocole de Nagoya implique des engagements financiers importants de la part de certains pays, dont particulièrement les pays du groupe Europe. L’Afrique est très intéressée par ce Protocole parce qu’elle sera la première bénéficiaire de sa mise en œuvre.
L’Afrique est dépositaire de 40 % de la biodiversité et tout protocole qui réglemente l’utilisation des ressources de la biodiversité sera en sa faveur. Nagoya a, pour une fois, été un succès de la communauté internationale. Le Mali, qui assure la présidence de la Conférence des ministres africains de l’environnement (CMAE), a joué le rôle de coordonnateur de cette dynamique. La conférence de Nagoya a été une consécration pour notre pays.
Les Echos : Justement quelle impulsion comptez-vous donner à la Conférence des ministres africains de l’Environnement (CMAE) ?
T. S. : Il faut que nous arrivions à renforcer l’unité de l’Afrique. Au niveau de la CMAE, nous avons entrepris de faire une concertation avec l’ensemble des ministres chaque fois que la voix de l’Afrique doit être entendue. Notre démarche est que l’ensemble des ministres se concertent et s’accordent sur une position qui est la position africaine. Pour ce faire, j’ai pris beaucoup de contacts avec mes homologues depuis la conférence de Bamako. Je pense que le succès de Nagoya est quelque part le résultat de ces efforts-là. Je veux que l’Afrique continue de se présenter en tant qu’entité face à certains partenaires. Ça devient beaucoup plus crédible quant c’est la voix de l’Afrique qui se fait entendre au lieu que les pays viennent individuellement.
La dynamique que je voudrais imprimer est que même par rapport aux négociations de financements, les ministres africains de l’Environnement puissent se présenter en bloc. Pour des problématiques concernant une région de l’Afrique, que les ministres de cette région puissent se mettre ensemble face aux partenaires ! Cela facilitera l’accès aux ressources suffisantes pour mener à bien leurs activités. Les défis environnementaux sont immenses, ne pas agir aujourd’hui nous conduira à l’inefficacité.
Les Echos : Vous avez ouvert ou amplifié des chantiers comme le reboisement pendant l’hivernage. En êtes-vous satisfait de l’opération de cette année ? Si oui pourquoi ? Y aura-t-il un suivi propre à assurer la pérennité des arbres plantés ?
T. S. : Pour l’heure, je n’ai pas encore le rapport définitif de la dernière campagne qui sera disponible certainement dans une semaine. Mais, d’ores et déjà, je peux vous dire que je suis satisfait par la mobilisation populaire. C’est moins les résultats en termes d’hectares plantés que la mobilisation des Maliens pour rentrer dans la dynamique. Cela me permet d’espérer un bon taux d’exécution.
Pour le suivi, je disais en boutade que cette campagne de plantation d’arbres n’est pas de la fanfaronnade : se lever un beau matin pour planter un pied d’arbre qu’on ne va plus retrouver deux mois plus tard. Notre campagne va se prolonger à travers l’entretien des arbres. Le rapport que nous attendons sera accompagné d’un schéma de suivi. Ce sera à la charge de la direction nationale des eaux et forêts.
Tous ceux qui se sont investis dans la campagne bénéficieront d’un suivi des agents des eaux et forêts. La campagne de cette année est l’activité précurseur d’un vaste programme ; à savoir : le programme quinquennal de reboisement. Les leçons que nous avons tirées de la présente campagne seront mises à profit pour peaufiner la campagne prochaine qui sera le point de départ du programme quinquennal de reboisement.
Les Echos : Vous avez lancé l’idée de lier les événements comme les mariages et baptêmes au reboisement. Comment cela doit-il être opérationnalisé ? En période sèche, comment les couples et les parents de nouveau-nés vont-ils planter des arbres ?
T. K. : L’opérationnalisation de ces idées dépend de trois types d’acteurs. Le premier type, c’est les populations. Le deuxième type, les autorités communales et le troisième, la presse. Pour ce qui est de vos appréhensions pour la réussite de l’opération en saison sèche, cette réponse se trouve au niveau de la direction nationale des eaux et forêts. Nous avions des compatriotes qui ont mis au point des méthodes révolutionnaires en matière de reboisement. Il s’agit de la méthode Plasa (Planter des arbres sans arrosage).
En s’appropriant cette méthode, on peut faire en sorte que pendant la saison sèche l’opération soit couronnée de succès dans beaucoup d’endroits du pays. La direction nationale des eaux et forêts mettra en place un dispositif visant la vulgarisation à grande échelle de la méthode Plasa.
Pour ce qui est des arbres des mariés, il faudrait que les maires prennent un certain nombre de dispositifs. Il faut qu’il y ait des espaces où les nouveaux mariés peuvent planter.
Le deuxième point est de s’assurer de la disponibilité des plants auprès des eaux et forêts. Au troisième point, les parents de nouveau-nés doivent planter l’arbre de leurs enfants. La direction des eaux et forêts est en train de travailler pour bien structurer cette approche. Il y a forcément des réglages à faire, car c’est une idée que nous avons juste lancée comme ballon d’essai de la campagne de reboisement du cinquantenaire. La réaction de la population nous a encouragés.
Les Echos : Votre département a décidé d’aller en guerre contre les sachets plastiques. A quand l’application de cette mesure ?
T. S. : Avant de poser la question sur son application, il faut demander quand la mesure sera prise. Le projet de loi a été élaboré et a fait l’objet de beaucoup d’échanges y compris au niveau du Haut conseil des collectivités territoriales où nous avons fait l’objet de beaucoup d’auditions. La disposition a été introduite dans le circuit de l’adoption en conseil des ministres. Nous avons jugé utile de terminer avec tous les circuits de concertation afin que tout le monde s’y retrouve lors de son adoption par l’Assemblée nationale. En tout état de cause, la dynamique est intacte, il faut qu’on aille à cette décision d’interdiction des sachets plastiques qui cause plus de dégâts aujourd’hui et le feront davantage à l’avenir.
Il faut prendre les taureaux par les cornes et arrêter ce danger de pollution par les sachets plastiques. Certains jugent que nous ferons du tort à des opérateurs économiques et des utilisateurs en interdisant les sachets plastiques. Les sachets contre lesquels nous partons en guerre ne sont pas fabriqués au Mali mais importés. Leur interdiction ne portera préjudice à aucune activité économique majeure au Mali.
La DNCNP est en train de sensibiliser des commerçants sur l’importation de sachets biodégradables. Le vide sera comblé par des produits alternatifs ou avec de bonnes pratiques que nous avions dans notre pays. Personne ne peut me dire que nos ménagères ne pouvaient rien faire sans les sachets plastiques au Mali. Or, les sachets nous causent beaucoup de nuisance.
Les Echos : Vous êtes en pourparlers avec les boulangers pour abandonner l’utilisation du bois. Pensez-vous que cela est faisable quand on sait que les consommateurs sont confrontés à une pénurie répétitive de gaz butane ?
T. S. : L’interdiction du bois par les boulangers ne pose pas de problème en tant que tel du point de vue réglementaire. Toutes les boulangeries qui se sont installées doivent a priori fonctionner avec d’autres sources d’énergie que les combustibles ligneux. Certainement qu’en faisant un calcul entre le coût de l’électricité ou du gas-oil et celui du bois, les boulangers ont toute suite fait le choix du bois. Leurs machines ne sont pas conçues pour fonctionner au bois, ils ont dû opérer des modifications pour les y adapter. La dégradation du couvert végétal est devenue cruciale dans notre pays. Il faut diminuer dans toute la mesure du possible la consommation des combustibles ligneux.
Je suis satisfait de nos discussions avec les boulangers qui se sont montrés conscients de la situation. Ils ont exprimé des doléances en affirmant qu’ils sont prêts à revenir aux sources d’énergie avec l’appui de l’Etat en ce sens qu’ils ont pour la plupart transformé leurs machines au système de bois. Pour le gaz, c’est vrai il y a beaucoup à faire pour que les énergies de substitution soient vulgarisées même si la question n’est pas directement traitée au département de l’Environnement. On m’a signalé il y a quelques semaines, le risque d’une pénurie de bois et de charbon à Bamako.
L’interprétation faite par beaucoup de gens est que cette situation découle des mesures prises par le ministère de l’Environnement pour mettre de l’ordre dans l’exploitation, la gestion des ressources forestières. Nous avons fait en sorte que l’exploitation forestière soit suivie de plantation d’arbres, ce qui n’est pas le cas chez beaucoup. Le couvert végétal a atteint un seuil critique. Environ 80 % des besoins énergétiques des populations maliennes sont satisfaits par les combustibles ligneux. Si cela continue, la situation sera très difficile dans quelques années à cause des effets des changements climatiques. Les solutions consistent à arrêter la coupe abusive du bois, les feux de brousse et reboiser.
Les Echos : Vous avez débarrassé Bamako des montagnes d’ordures, notamment aux abords du cimetière de Lafiabougou. Pensez-vous que cela a créé une saine émulation entre les communes du Mali en général et celles de Bamako en particulier ?
T. S. : Je n’ai pas encore l’évaluation de l’impact de cette opération ponctuelle menée dans le cadre du cinquantenaire. Mais, c’est le lieu pour moi de rendre hommage aux propriétaires de camions bennes de Bamako. Nous les avons sollicités en demandant leur implication pour enlever les tas d’ordures. Ils ont répondu à notre appel en faisant le travail au demi-tarif parce que nous n’avions pas les moyens financiers. Cela devra avoir un impact sur les différentes communes dont beaucoup sont en train de s’équiper en matériels lourds d’assainissement.
Je pense que dans les mois à venir sur les six communes du district, il y aura trois ou quatre qui s’équiperont en matériels adéquats pour enlever leurs ordures. A l’intérieur du pays, je n’ai pas d’échos particuliers. Mais l’enlèvement des ordures à Bamako a inspiré plus d’un. Après la campagne spéciale reboisement, nous allons organiser une campagne spéciale assainissement du Mali.
Les Echos : Pourquoi une Agence environnement/développement durable ?
T. S. : Nous avons mis en place cette Agence parce que les questions environnementales étaient gérées jusque-là par des structures inappropriées aussi bien du point de vue de leurs statuts que de leur organisation. Le Mali est impliqué dans toutes les questions qui gèrent l’environnement. Dans le cadre de ces conventions, il y a des structures qui sont reconnues du point de vue de leur statut au niveau local comme pouvant être des interlocutrices valables. S’il n’y a pas à l’interne des structures répondant à ces statuts nous allons nous retrouver dans des difficultés.
Alors nous avons décidé de créer l’Agence environnement/développement durable pour l’opérationnalisation de toutes nos politiques en matière environnementale et le Conseil national de l’environnement pour que les questions environnementales sortent des murs du ministère de l’Environnement, qu’elles aillent au-delà des pouvoirs publics pour rassembler les acteurs afin que toutes les décisions prises soient des décisions partagées. L’Agence est en train de s’installer. Elle va être un service phare qui va impulser une nouvelle dynamique aux activités environnementales dans notre pays, qui sont des questions transversales. Notre préoccupation est comment faire pour le verdissement de l’ensemble des activités dans notre pays.
Propos recueillis par
Abdoul M. Thiam et
Abdrahamane Dicko
08 Novembre 2010.