Partager

Le Premier ministre de la transition au Mali, le Dr Soumana Sacko a, dans une « mise au point » publiée dimanche à Bamako, vivement critiqué l’avant-projet de réforme constitutionnelle au Mali lui reprochant notamment d’aggraver les risques de « blocage » des institutions de la République.

Soumana Sacko réagissait à des propos prêtés au président du « Comité d’Appui aux Réformes Constitutionnelles » (CARI) affirmant que tous les anciens Premiers ministres ont été consultés pour l’élaboration de l’avant-projet.

« Je n’ai été consulté ni par M. Daba Diawara (NDLR : le président du CARI), ni par aucun membre » de cette structure, écrit le Dr. Soumana Sacko, qui fut Premier ministre sous la transition menée par le président Amadou Toumani Touré, du 26 mars 1991 au 8 juin 1992.

Selon Soumana Sacko, le projet de réforme au Mali, loin de répondre à un « besoin réel ressenti et exprimé », découle plutôt d’un processus « unilatéral » et « anti-démocratique », aux « vrais mobiles devenus subitement inavouables, quoique clairs ».

Dans son texte daté de Hararé, au Zimbabwe, l’ancien Premier ministre malien promet enfin au peuple malien de lui proposer, éventuellement, une alternative « crédible » aux réformes envisagées.

APA Bamako (Mali) 25 04 2010.

…………….

Mise au point :A propos de l’avant-projet de réforme constitutionnelle du Dr Soumana Sako

Dans une interview radiodiffusée dans la matinée de ce 23 avril 2010, Monsieur Daba Diawara, Président du Comité d’Appui aux Réformes Constitutionnelles (CARI), qui fut mon camarade, du Lycée Askia Mohamed, ministre dans mon gouvernement sous la Transition et pour qui j’ai par ailleurs beaucoup d’estime, affirme, entre autres, avoir consulté tous les anciens Premiers Ministres du Mali, laissant ainsi sous-entendre que ceux-ci seraient tous d’accord avec l’avant-projet de réforme constitutionnelle élaboré par le CARI.
A ce sujet, je tiens à faire la mise au point ci-après:

1. Je n’ai été consulté ni par Monsieur Daba Diawara, ni par aucun membre du CARI;

2. Fruit de la Révolution du 26 mars 1991, la Constitution de la IIIème République a été débattue et approuvée par la Conférence Nationale de juillet-août 1991 avant d’être adoptée par un référendum populaire le 12 janvier 1992. A l’opposé, il apparaît clairement que, loin de découler d’une quelconque volonté populaire, d’une quelconque évaluation objective et participative de la pratique institutionnelle et politique vécue de juin 1992 à 2008, date de la mise en branle de la réforme envisagée ou d’un besoin réel ressenti et exprimé par la classe politique, l’actuel projet de réforme est issu d’un processus unilatéral et anti-démocratique dont les vrais mobiles sont devenus aujourd’hui subitement inavouables quoique clairs comme de l’eau de roche aux yeux de tous et de chacun.

3. Compte tenu des décennies de luttes multiformes et de sacrifices de tous genres consentis par les forces de progrès, toute réforme constitutionnelle devrait s’inscrire dans le sens d’un approfondissement et d’un élargissement de la démocratie et de la participation populaire à la gestion et au contrôle des affaires publiques en vue de rechercher des solutions concrètes et durables aux problèmes concrets des Maliens et du Mali d’aujourd’hui et de demain.

Or, à l’inverse, l’avant-projet proposé par le CARI revient, à maints égards, à entériner les graves entorses à la Constitution intervenues au fil des ans, à bafouer les droits humains, à accentuer les dérives monarchistes et patrimoniales de la pratique institutionnelle, à saper la légitimité populaire comme seul fondement durable de tout régime républicain et à rendre encore plus onéreux et plus inefficace le fonctionnement de l’appareil d’État dans un pays classé 178ème sur 182 selon l’indice du développement humain du PNUD et où l’avancée du désert et de l’insécurité représentent le danger réel et grave que l’on sait;

4. L’actuel avant-projet de réforme ne répond pas aux causes réelles de la perte manifeste de confiance du Peuple malien dans les institutions de la République et dans la plupart les hommes et des femmes chargés de les animer, à savoir : la fraude électorale et l’achat des consciences, le détournement du suffrage universel vers des formes pernicieuses de suffrage censitaire encourageant l’obscurantisme et se nourrissant de la pauvreté et de l’analphabétisme de la grande majorité de nos concitoyens, la corruption, le népotisme et le clientélisme, le manque de transparence, l’impunité et l’irresponsabilité dans la gestion des affaires et des ressources publiques, l’avarie de la justice, le détournement des médias de l’État de leur rôle de service public ouvert à l’expression libre, équitable et plurielle de tous les courants d’opinion, la manipulation alimentaire d’une bonne partie de la presse privée par les services spéciaux et les puissances d’argent, l’instrumentalisation d’une frange importante de la société civile et d’un grand nombre de partis politiques comme groupements d’intérêt économique et officines de placement de cadres de moins en moins compétents et de moins en moins soucieux de l’intérêt général, l’affaiblissement de l’administration publique en raison de pratiques de recrutement, de nomination et de promotion non conformes aux critères d’égalité des citoyens devant le service public, de compétence professionnelle et d’intégrité, l’institutionnalisation d’une culture de la médiocrité et de la flagornerie qui n’a rien à envier aux pires moments de l’État-CMLN, la mise en danger de l’Ecole en tant que vecteur républicain de mobilité sociale, de formation moderne et d’éducation civique et morale, la paralysie de l’autorité de l’État ainsi que sa dérive vers une forme de Protectorat au service d’intérêts étrangers en lieu et place d’un instrument de souveraineté sur l’ensemble du territoire national et de promotion du progrès économique et culturel du Peuple et de la justice sociale.

5. Qui plus est, l’avant-projet de réforme constitutionnelle aggrave les risques de blocages des institutions et met dangereusement en cause leur durabilité ainsi que la sécurité même de la République.

6. En tant que l’un des acteurs de la Transition Démocratique et, partant, l’un des garants moraux des valeurs et des idéaux de Mars 1991, je me réserve le droit de revenir, le moment venu, plus en détail encore sur ces aspects graves des réformes élaborées par le CARI, voire, de proposer une alternative plus crédible au Peuple malien.

Fait à Hararé, le 23 avril 2010

Soumana Sako, Ancien Premier Ministre, Chef du Gouvernement de Transition de la République du Mali

Tel : (263) 11286082

L’Inter de Bamako du 26 Avril 2010.