L’Indépendant : Excellence, vous vous apprêtez à regagner le Canada, après avoir passé au Mali quatre ans en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Quels sont les sentiments que vous éprouvez à la veille de votre départ ?
S.E. Louise Ouimet : C’est toujours de la tristesse de quitter un pays qu’on aime beaucoup. C’est la deuxième fois que je quitte le Mali parce que j’y étais de 1989 à 1993 en qualité de conseiller et directrice adjointe de programme de coopération.
Au Mali, j’ai rencontré des gens merveilleux et très chaleureux. C’est donc avec un pincement au cœur que je quitte le Mali. Mais d’un autre côté, je pense que quatre ans, c’est suffisant pour faire ses preuves. Après quatre ans, on court le risque de perdre son objectivité et il est important de renouveler le personnel qui travaille au sein d’une ambassade de façon régulière.
L’Indép. : Pouvez-vous nous faire un bilan succinct de la Coopération canado-malienne?
S.E. Louise Ouimet : Ces dernières années, la Coopération canadienne a enregistré des changements à tous points de vue. Nous avons toujours un cadre de programmation décennale 2000-2010, mais il a été substantiellement transformé, pas en terme de secteur, ni de domaines d’intervention, mais en terme de ressources financières disponibles et de façon de travailler.
Pratiquement, l’aide a plus que doublé. Nous sommes passés de 16 millions de dollars (environ 8 milliards de FCFA) par an en terme d’aide bilatérale à 37 millions de dollars, un montant qui représente nos réalisations au titre de l’année 2004. Je puis vous confier que ce taux s’élèvera à 50 millions de dollars (soit environ 25 milliards de FCFA) pour la nouvelle année budgétaire canadienne, à cheval sur 2005 et 2006
L’aide s’est aussi beaucoup transformée dans la façon de faire. Nous sommes passés de l’aide projets (nous avons encore quelques projets) à l’aide programmes, l’appui financier direct et maintenant nous envisageons l’appui budgétaire.
Nous pouvons dresser aussi un bilan dans le domaine de l’éducation. Dans ce domaine, à mon avis, le bilan est très positif. Le taux brut de scolarisation a augmenté de façon phénoménale atteignant les 70%, ces dernières années. Nous, nous travaillons plus au niveau de la qualité. Nous avons formé les enseignants, les contractuels qui sont recrutés à longueur d’année par l’Etat et les collectivités. Nous sommes en train de mettre en place une bonne politique de formation de ces enseignants, une politique de manuels scolaires. Nous avons réussi à faire distribuer plusieurs milliers de manuels scolaires, à bâtir une industrie du livre au Mali.
Du côté de la gouvernance et du processus électoral, socle de toute démocratie, notre accompagnement n’a pas fait défaut. Grâce à la coopération canadienne la Délégation Générale aux Elections est beaucoup plus performante qu’elle ne l’était auparavant. Il y a bien d’autres domaines que je pourrais citer.
S’agissant, par exemple, de la santé qui est un domaine plus récent de la coopération canado-malienne, les résultats commencent à se faire sentir.
L’Indép. : Quels sont, justement, les domaines où la coopération canado-malienne a enregistré le plus de succès?
S.E. Louise Ouimet : Je pense que nous avons enregistré beaucoup de succès partout où nous travaillons, à l’image des secteurs de l’éducation, de la santé, du développement rural, de l’agriculture, de la micro finance.
Un autre succès dont je n’ai pas parlé c’est la mise en place du Fonds de Garantie Hypothécaire au Mali qui a permis un meilleur accès à la propriété par les femmes. C’est une première dans la sous région qui a inspiré d’autres pays qui sont en train de copier cette initiative….
L’Indép. : Avez-vous néanmoins quelques petits regrets à exprimer ?
S.E. Louise Ouimet : En fait de regret, moi je suis toujours très ambitieuse. Je pense que mes regrets, c’est plutôt du côté de la Justice et de la promotion des droits des femmes. Je sais que c’est en cours de route, mais je pense qu’on aurait pu faire mieux pour redynamiser le PRODEJ.
Evidemment, pour les femmes, tant que le code de la famille ne sera pas adopté elles n’auront pas une base suffisamment forte pour avoir un minimum de droit au sein de la famille
A l’instar de l’AGOA des Etats-Unis, le Canada a pris une initiative en faveur des pays d’Afrique au Sud du Sahara. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Dès janvier 2002, les pays les moins avancés ont accès au marché canadien sans frais de douane et sans aucune autre contrainte.
Force est de reconnaître que jusque-là, l’initiative n’a pas encore porté fruit à cause essentiellement du fait que le secteur privé malien est très timide. Il ne cherche pas à exporter suffisamment….
L’Indép. : Avez-vous des conseils à prodiguer à nos hommes d’affaires?
S.E. Louise Ouimet : C’est de leur dire de se monter plus dynamiques et étudier l’opportunité du marché canadien.
Nous souhaitons depuis deux ans que sous la responsabilité de l’ambassade du Mali au Canada des journées économiques maliennes soient organisées au Canada pour mieux faire connaître aux Canadiens les potentialités de l’économie malienne et encourager, au passage, les investissements canadiens au Mali.
L’un des gros problèmes au Mali c’est qu’on favorise beaucoup le commerce au détriment de l’industrie locale. En un mot, on décourage l’industrie locale.
L’Indép. : Que pensez-vous de la récente initiative des pays du G8 relative à l’annulation de la dette des pays d’Afrique subsaharienne ?
S.E. Louise Ouimet : Moi je pense que c’est une excellente initiative en ce sens que cela va donner aux budgets des pays africains des sommes substantielles qui leur permettront de faire une meilleure allocation des ressources en faveur de la réduction de la pauvreté.
Ces dettes ont été contractées, je pense, au moment où les pays africains étaient surtout dirigés par des dictateurs. Ces sommes revenaient beaucoup dans nos pays par le biais des biens et services. Il était donc temps qu’on en arrive à cette solution ?
L’Indép. : Et celle relative au doublement de l’aide d’ici à l’horizon 2015 ?
S.E. Louise Ouimet : Nous avions déjà nous-mêmes adopté cette mesure-là en 2002 et nous l’avons dans le budget de 2005. L’aide a doublé par rapport à notre année de référence qui chevauche sur 2003 et 2004.
Je pense que c’est important, mais pas suffisant. J’estime que la qualité de l’aide est beaucoup plus importante.
La qualité de l’aide du côté des bailleurs de fonds, mais aussi du côté des pays africains. C’est une arme à double tranchant. Je pense que si les pays africains, le Mali en particulier, ne font pas davantage pour lutter contre la corruption, ce flux financier va tarir rapidement, parce que nos citoyens ne pourront pas accepter qu’on coupe dans les programmes de santé au Canada pour servir une poignée de décideurs des pays du Sud. Il faut donc mettre l’accent, de plus en plus, sur la façon de gérer les budgets nationaux. Il y a un frémissement dans ce sens au Mali, où cette année tous les départements ont fait leur budget programme. C’est une excellente chose.
A suivre dans notre édition de demain.
Entretien réalisé par Yaya SIDIBE
19 juillet 2005