Nous livrons en exclusivité la dernière partie de l’interview que l’Ambassadeur du Canada au Mali, S.E. Louise Ouimet, en fin de mission, a bien voulu nous accorder. Avec le franc-parler qu’on lui connaît, cette figure attachante du microscome diplomatique bamakois jette un regard lucide sur les perspectives de la coopération canado-malienne, la scène politique malienne et se dit confiante en l’avenir de notre pays, malgré les multiples pesanteurs.
Que pensez-vous de la récente initiative des pays du G8 relative au doublement de l’aide au développement d’ici à l’horizon 2015 ?
Nous avions déjà nous-mêmes adopté cette mesure-là en 2002 et nous l’avons intégrée dans le budget de 2005. L’aide a doublé par rapport à notre année de référence qui chevauche sur 2003 et 2004. Je pense que c’est important, mais pas suffisant. J’estime que la qualité de l’aide est beaucoup plus importante.
La qualité de l’aide du côté des bailleurs de fonds, mais aussi du côté des pays africains. C’est une arme à double tranchant.
Je pense que si les pays africains, le Mali en particulier, ne font pas davantage pour lutter contre la corruption, ce flux financier va tarir rapidement, parce que nos citoyens ne pourront pas accepter qu’on coupe dans les programmes de santé au Canada pour servir une poignée de décideurs des pays du Sud.
Il faut donc mettre l’accent, de plus en plus, sur la façon de gérer les budgets nationaux. Il y a un frémissement dans ce sens au Mali, où cette année tous les départements ont fait leur budget-programme. C’est une excellente chose.
Il y a aussi le Programme de développement institutionnel (PDI) pour remettre à plat toute la fonction publique centrale. Elle joue son rôle et appuie mieux la décentralisation. A l’intérieur du PDI il y a un plan particulier pour l’amélioration et la modernisation des finances publiques.
Ce sont là des grands chantiers mis en place pour améliorer la gouvernance sur le plan financier. Nous allons suivre de près et appuyer cette dynamique, parce c’est une condition très essentielle pour poursuivre nos financements importants au Mali.
Quels sont les avantages de la formule budget-programme ?
Le budget-programme permet à un ministère de mieux penser l’allocation des ressources dont il a besoin, avec des objectifs bien ciblés. Par ailleurs, au moment du bilan, la formule permet de mieux analyser les résultats obtenus en fonction des orientations…
Peut-elle constituer un moyen de lutte contre la corruption ?
Elle permet, certes, une meilleure lisibilité de l’exécution budgétaire, mais ce n’est pas suffisant pour lutter contre la corruption. L’un des moyens de lutter contre la corruption réside dans la mise en place de la mercuriale des prix. A travers tout cela, c’est une véritable culture de gestion qu’il faut mettre en place dans toute la pyramide de la fonction publique. Ce n’est pas encore le cas que je sache.
Qu’en est-il du Vérificateur Général, une formule qui s’inspire de l’expérience canadienne?
Je crois que le Vérificateur Général peut être d’un apport appréciable dans la lutte contre la corruption. Il est déjà à pied d’œuvre. Peut-être qu’on verra en lui quelqu’un qui est là uniquement à taper sur le doigt des gens, signaler toutes les défaillances. Forcément, il va se faire beaucoup d’ennemis. Mais avec le temps, on le comprendra et on l’acceptera, car son rôle est aussi et avant tout un rôle pédagogique.
Il s’agit de mieux aider les différentes structures publiques à avoir une meilleure gestion., les conscientiser sur le besoin des résultats qu’ils doivent continuer à obtenir, soumises qu’elles sont à des audits de performances.. La démarche a aussi un effet dissuasif quand on sait qu’on peut être vérifié de façon externe et totalement indépendante, l’on est enclin à faire violence sur soi-même.
Qu’entendez-vous par la qualité de l’aide au niveau des donateurs ?
La qualité de l’aide au niveau des donateurs signifie qu’on laisse le pays bénéficiaire prendre davantage le leadership. Cela signifie également qu’on bâtisse un instrument commun, parce que les pays bénéficiaires ne savent plus où donner de la tête avec la multiplicité des façons de faire des partenaires.
Tout cela pose le besoin d’une certaine harmonisation. Qu’on libère les cadres maliens de ces multiples exigences ! L’une des meilleures façons de faire, c’est à travers l’appui budgétaire. Mais ce n’est pas la seule. Nous avons commencé à établir au Mali un cadre partenarial pour aller dans l’appui budgétaire.
Quelles ont les perspectives de la coopération canado-malienne ?
S’agissant des perspectives, nous ambitionnons d’amener plus de synergie, conformément au nouvel énoncé de notre politique internationale, à tous nos différents programmes : de diplomatie, de politique et de sécurité humaine, de politique commerciale. Il s’agit de faire en sorte que nos liens commerciaux s’amplifient, mais aussi de contribuer davantage à lutter contre la pauvreté qui est notre raison d’être au Mali. Toujours en terme de perspective, nous ambitionnons d’aller, vers l’horizon 2006, à l’aide budgétaire sectorielle.
Votre mot de la fin…
C’est certain que le Mali, après mon départ, va toujours être très présent dans mon cœur. Si je tiens compte des étapes précédentes, ce sont 10 ans que j’ai consacrés à votre pays sur une carrière de plus de 30 ans, c’est très exaltant.
Je suis contente de pouvoir retourner au Canada où un poste intéressant d’analyste politique pour les programmes multilatéraux m’attend. Le travail d’ambassadeur tel que je l’ai exercé ces quatre dernières années est passionnant. Donc le retour malgré que je l’ai voulu sera un peu difficile.
Avez-vous des messages à l’endroit des dirigeants et du peuple maliens ?
Je voudrais, par exemple, que les partis politiques reprennent leur rôle dans la démocratie malienne, se réunissent davantage parce qu’il y a présentement au Mali trop de partis. La fusion leur permettra de jouer correctement leur rôle de proposition de politique au sein de la société malienne. Ce qui sera de nature à aérer le jeu démocratique.
S’agissant des dirigeants, je pense qu’ils devraient davantage axer leurs actions autour du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP). De temps en temps, j’ai l’impression que les intérêts personnels priment sur l’intérêt public dans beaucoup de cas. Je pense que le Mali a une chance avec l’annonce de la suppression des subventions sur le coton, la croissance de l’aide publique au développement, les annulations de la dette, de faire un bond qualitatif en avant. Mais pour ce faire, il faut des leaders politiques et gouvernementaux très francs et qui ont le souci de faire avancer le pays. Pour ce qui est de la société civile je pense qu’elle est trop dispersée et se met trop dans une position de négation….
De contre-pouvoir ?
Jouer le rôle de contre-pouvoir est une bonne chose. Mais contre-pouvoir ne veut pas dire qu’il faut tout critiquer et tout rejeter. Je crois que la société civile rejette trop tout et ne se met pas suffisamment dans un rôle de proposition.
Contre-pouvoir veut dire aussi critiques constructives et propositions concrètes. Si je peux dire une chose à la société civile, c’est de commencer à réfléchir pour proposer des politiques.
Etes-vous confiante en l’avenir du Mali ?
Oui, j’ai confiance parce que je pense que les opportunités sont là. Le Mali a la chance d’être une nation, d’être paisible, même s’il est entouré d’une multitude de foyers de tension.
Je pense justement qu’il faut travailler très très fort pour conserver cet acquis inestimable de nation malienne et de bâtir là-dessus, sinon un pays qui n’avance pas est un pays qui régresse.
Entretien réalisé par Yaya SIDIBE
20 juillet 2005