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Le constitutionnaliste porte un regard sur les conclusions du mini-sommet tenu mardi dernier dans la capitale ghanéenne, en présence d’une délégation malienne conduite par le président du CNSP, le colonel Assimi Goïta.

Le Mali vit une situation spécifique. Une Charte de la transition a été adoptée par l’ensemble des forces vives de la nation, à travers un consensus qui s’est dégagé au cours de la concertation nationale des 10, 11 et 12 septembre. Cette charte a prévu des dispositions que la Cedeao remet en cause tout en demandant un président et un Premier ministre civils à la tête de la transition.

Le secrétaire général de l’Association malienne de droit constitutionnel, Dr Fousseyni Doumbia, rappelle que la contribution de la communauté internationale notamment la Cedeao est très importante pour la sortie de crise car il y a l’interdépendance entre les États de la Communauté. La Cedeao a des principes de base et de fonctionnement auxquels elle ne souhaite pas déroger quelles que soient les réalités d’un pays membre.

Conformément à son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, la Cedeao doit intervenir pour défendre les institutions démocratiques quand celles-ci sont menacées par une crise. C’est dans cette dynamique qu’il faudra comprendre l’institution régionale. C’est pourquoi, certains taxent l’organisation communautaire dé défendre les dirigeants et non les peuples.

Le constitutionnaliste explique qu’étant donné la fragilité du Mali à cause de la crise multidimensionnelle que nous vivons, même si le peuple souhaite un changement, les principes communautaires vont s’appliquer immédiatement. «Quand on est fragile, on est obligé de se soumettre à beaucoup de choses », explique-t-il.

Par rapport à la gestion de la transition, il rappelle que le Burkina Faso a eu un Premier ministre militaire avec un président civil après la chute du président Blaise Compaoré. Donc, pour quelle raison la Cedeao a-t-elle toléré cela au Burkina et ne voudrait pas que cette expérimentation s’applique au cas du Mali ? Pour ce qui est du poste de vice-président proposé par la Charte de la transition, la Cedeao n’y voit pas de problème si ce dernier est utilisé seulement dans les missions spécifiques de défense et de sécurité. Et si le vice-président ne remplace pas le président de la transition en cas d’empêchement définitif ou provisoire.

Ce qu’il faut comprendre à ce stade, selon le constitutionnaliste, c’est que les militaires ne peuvent pas être mis complétement à l’écart aussi facilement. En ce sens qu’ils font partie des acteurs du changement puisque ce sont eux qui sont intervenus pour précipiter le départ de l’ancien président. «Dans cette dynamique, les militaires sont les acteurs incontournables dans ce processus de refondation de notre pays, même s’il faut reconnaître que c’est une partie importante de la population qui a souhaité le changement», souligne Dr Doumbia.

Pour lui, si l’organisation communautaire pouvait être respectueuse de la volonté du peuple malien, ce serait une bonne chose. Puisque, c’est l’ensemble des forces vives de la nation qui se sont réunies pour décider de l’avenir du pays. Il est vrai que le Mali a souscrit au Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cedeao, mais au regard des réalités particulières auxquelles notre pays est confronté, l’organisation commune doit s’inscrire dans une dynamique de respect de la volonté de la population.

Par ailleurs, il faudrait aussi comprendre que cette institution joue en quelque sorte sa crédibilité au regard des ambitions politiques affichées par certains chefs d’États qui la composent. À ce sujet, notre interlocuteur affirme que les militaires ont conscience qu’il faut que l’on sorte des sanctions.

En ce qui concerne l’existence d’un fondement juridique à la requête de rétablissement de l’Assemble nationale dissoute, faite par certains ex-députés de la 6è législature, Dr Fousseyni Doumbia reste moins cartésien. «Du point de vue constitutionnel, s’il y a une dissolution qui est intervenue, rétablir une institution après va être en principe compliqué».

Toutefois, le professeur de droit rappelle qu’il y a un précédent au Mali avec le coup d’État de 2012 perpétré par les militaires à l’encontre du président Amadou Toumani Touré, entraînant la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les institutions. Mais, avec la pression de la Cedeao, l’Assemblée nationale avait été rétablie, ce qui avait permis à son président Pr Diouncounda Traoré d’assurer la présidence de la transition.

Selon le constitutionnaliste, les deux hypothèses sont là, mais cela dépend surtout de la volonté de négociation et la possibilité de collaboration entre les militaires et l’Assemblée nationale. Pour le juriste, si l’Assemblée nationale est rétablie, elle peut établir un très bon partenariat avec la transition. «Il y a beaucoup de textes législatifs qui peuvent être adoptés par l’Assemblée nationale pour faciliter la transition, parce que le Comité national de transition (CNT) se trouve dans une prérogative beaucoup plus limitée», relève Dr Doumbia.

Aboubacar TRAORÉ
L’Essor du 17 Septembre 2020