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Le jour de l’Aïd el Kébir, conformément aux prescriptions divines, tout musulman majeur, jouissant de ses facultés mentales et ayant les moyens financiers de le faire, doit sacrifier soit un mouton, un bœuf, une chèvre ou un chameau.

Mais de tous ces animaux, c’est le mouton qui est le plus recommandé. De fait, l’Aïd el Kébir est devenue « la fête du mouton ».

Dans notre pays, particulièrement à Bamako, l’approche de cette fête plonge beaucoup de chefs de famille dans l’angoisse. L’obsession d’avoir son mouton coupe littéralement le sommeil.

Car chez nous, sacrifier un mouton le jour de cette fête déborde désormais largement le cadre religieux. Sous la pression de la société et de la famille (notamment les femmes et les enfants) certains sont prêts à presque tout pour s’acheter un mouton.

Depuis des semaines, la fièvre du mouton s’installe, montant lentement mais inexorablement dans la capitale. Ce n’est pas encore la surchauffe, mais au fur et à mesure que le « jour J » approche, la pression va augmenter sur le marché du mouton.

Les premières cargaisons d’animaux destinés aux marchés de la capitale sont arrivées en début du mois. Et comme chaque année, les prix fixés par les vendeurs sont passés à la loupe et interprétés par les consommateurs.

Il faut dire que d’année en année, le prix du mouton subit une augmentation tendancielle. Les mêmes explications reviennent chaque saison pour expliquer le niveau élevé des prix : renchérissement de l’aliment bétail, coût du transport, exportation massive des animaux vers les pays voisins, cupidité des négociants intermédiaires etc.…

Que tout est été dit sur la question n’empêche nullement de se précipiter sur les marchés à bétail pour vérifier les grandes tendances de l’heure. Direction : quartier de l’Hippodrome. Le premier constat saute à l’œil : pour l’instant, le marché n’est pas bien approvisionné et les moutons sont chers.

Salou Maïga, un vendeur de ce marché, dispose d’un petit troupeau de moutons dont les prix varient entre 75 et 100 000 Fcfa. Il admet lui-même que les prix sont exorbitants mais soutient qu’ils vont, par la suite, chuter forcement. Par quel miracle ?

Maïga croit savoir que beaucoup de gens ont déjà acheté leur mouton et que de plus en plus de Bamakois passent par des circuits parallèles pour acquérir leur animal de sacrifice, par exemple en expédiant l’argent du mouton à des parents vivant dans de grandes zones d’élevage. Son collègue Abdramane Maïga opère sur le même marché.

Mais chez lui, avec 30 000 Fcfa, on peut s’offrir un mouton, certes de taille très moyenne. Chez le second Maïga, les plus gros béliers sont proposés à 200 000 Fcfa. Contrairement à Saliou, Abdramane est certain qu’il n’y aura pas assez de moutons cette année et qu’il ne faut pas s’attendre à voir les prix aller à la baisse.

Il impute la relative rareté et la cherté des moutons aux coûts élevés de l’aliment bétail et du transport et à la bonne campagne d’hivernage dans les zones de provenance des animaux.

Quand les récoltes sont bonnes, les paysans sont, en effet, connus pour rechigner à vendre leurs animaux. Au marché de Lafiabougou Koda, le faible approvisionnement est aussi frappant.

Les vendeurs pointent du doigt, eux aussi, le prix de l’aliment bétail et le coût du transport pour justifier la cherté du mouton. Amadou Kébé est le président des vendeurs de ce marché. Lui propose des bêtes dont les prix varient entre 30 et 75 000 FCFA.

Il se montre sceptique sur une évolution à la baisse du marché. « Si on exporte tous les moutons vers la Côte-d’Ivoire et le Sénégal et qu’un très petit nombre est dirigé sur Bamako, il va de soi que les prix vont grimper », prédit-il.

Les marchés de la rive droite, comme à Sabalibougou, ne connaissent pas de grande affluence pour le moment et les prix sont également élevés, comme le reconnait Gouro Diallo, un vendeur qui propose des bêtes entre 30 et 90 000 Fcfa.

Il dénonce l’irruption de ceux qu’ils considèrent comme de nouveaux opérateurs économiques dans le créneau. « Ils vont dans les villages et proposent des prix d’achat que les éleveurs ne connaissaient pas avant. Au finish, le mouton revient trop cher au consommateur ».

Son collègue, Sidi Dicko, assure que dans tous les cas, il y aura suffisamment de moutons pour tout le monde. Car, dans les jours à venir d’importantes cargaisons arriveront de l’intérieur.

Adama Dembélé, originaire de San, est installé au marché de Faladié. De son point de vue, les prix pratiqués actuellement sont raisonnables. « Il n’y a aucune tendance à la hausse pour la simple raison qu’il y a peu de clients pour le moment. Beaucoup de gens attendent les dernières semaines pour acheter leur mouton », estime-t-il.

Tendance à la hausse ou pas, D.D., un chef de famille abordé par hasard a pris sa décision : il n’achètera pas de mouton cette année. « Tout est déjà trop cher et il n’y a pas d’argent je suis déjà endetté jusqu’au cou. Où est-ce que je vais trouver l’argent ? Donc pour moi, ce sera l’année prochaine, s’il plait à Dieu », dit-il avec résignation.

Pour l’instant. A. B., un habitant de la Commune VI est moins catégorique. «  C’est vrai qu’avec la conjoncture actuelle, ce n’est pas évident pour moi de payer un mouton. Tous les produits de consommation coûtent cher. Le mouton ne peut pas faire exception à cette règle, alors… ».

Si en terme de quantité, les marchés sont peu approvisionnés, du point de vue qualité, il n’y a pas grand-chose à redire. Les moutons présentent un bel embonpoint grâce certainement à la bonne pluviométrie de l’hivernage passé.

Gageons (sans grand risque) que l’emballement du marché n’est qu’une question de jour. Les Bamakois fidèles à leur réputation se saigneront aux quatre veines ou passeront par toutes les acrobaties pour se procurer du bélier tant recherché.

Nouhoum TRAORE

avec A. M. CISSE

Essor du

20 Novembre 2008