Munies de tamis, de seaux, de bidons, d’ustensiles de cuisine, Nassoun et d’autres femmes investissent le site d’orpaillage de Loulai, situé à une vingtaine de kilomètre du village de Fourou dans le cercle de Kadiolo.
La journée de travail est longue : plus de 10 heures. Si les femmes vêtues de haillons passent toute la journée à patauger dans les eaux troubles de la rivière à la recherche de pépites, les hommes possèdent des puits qu’ils creusent pour trouver le métal précieux.
Les hommes se rendent sur le site à bicyclette, en charrette, ou à dos d’âne. Certains jeunes possèdent des motos de marques « Djakarta » ou « Dragon ».
Dès le petit matin, chacun se presse de rejoindre sa « mine ». En un clin d’oeil, le petit village de Fourou se vide de ses habitants. Sur le site d’orpaillage, l’activité est intense. Le visiteur qui y débarque pour la première fois est frappé par le tohu-bohu indescriptible qui règne sur les lieux.
En fait, le site est devenu une sorte de gros village avec sa propre organisation. De petits hangars ou tentes servent de boutiques. Les étals et autres gargotes s’alignent. On trouve tout ce dont on peut avoir besoin en terme de nourriture et en toute saison.
Des foyers reconstitués
Les affaires sont florissantes. En effet, le site offre une mine d’opportunités (sans faux jeu de mots) pour les activités transversales. Chacun y trouve son compte : chercheurs d’or, négociants, petits commerçants, fabricants de pioches, vendeuses de nourriture, professionnelles du sexe, marabouts et autres marchands d’illusions. Le gramme d’or est vendu sur place entre 7500 et 8000 Fcfa.
« L’orpaillage est la raison d’être de Loulai, proclame Mamadou Konaté. C’est une chance inespérée pour nous d’avoir découvert ce site. L’orpaillage nous permet de faire face à nos dépenses quotidiennes ». Tout à son enthousiasme, notre homme confie qu’il a pu, grâce à l’argent de l’or, éponger les dettes contractées auprès de la CMDT pour acheter des engrais et des pesticides.
Broulaye Camara, un notable du village de Finkolo assure que des foyers qui avaient éclaté se sont reconstitués par la magie du métal jaune. Yacouba Konaté, responsable du comité des orpailleurs maliens sur le site de Loulai, lui, préfère souligner la grande solidarité qui existe entre les chercheurs d’or. « On vient en aide à ceux qui n’ont pas trouvé d’or. Personne ne peut manquer à manger ici », soutient-il.
Les autorités communales font preuve du même enthousiasme face au développement de l’activité aurifère qui est devenue une grande pourvoyeuse de ressources pour la mairie. L’année dernière, les taxes et redevances tirées de l’activité ont atteint 6 millions de Fcfa, révèle Ousmane Ouattara, le maire de Fourou, commune dont relève le site de Loulai. « La contribution de l’orpaillage est conséquente dans le développement de notre commune. Nous ne disposons pas de statistiques assez précises, mais l’impact de l’activité su la vie économique est indéniable ».
Selon l’édile, les orpailleurs contribuent aux actions de développement comme la construction ou la réhabilitation d’écoles, l’achat de fournitures scolaires.
Le revers de la médaille
La mairie et l’organisation des chasseurs traditionnels perçoivent chacune 250 Fcfa sur les 2500 Fcfa de frais d’attribution de chaque puits. Quant au chef de village, il reçoit 500 Fcfa, tandis que les « Tomboliman« , un groupe de notables, perçoivent 250 Fcfa en tant que propriétaires terriens.
Sur les sites de d’orpaillage, l’argent circule, comme on se plaît à le dire ici. Les prix des denrées de consommation courante (riz, mil, lait, huile sucre) sont anormalement élevés. Mais personne ne s’en plaint et la consommation est effrénée. Un pied de nez à la « vie chère« .
Fourou et Finkolo sont devenus de véritables « melting-pots ». Plus d’une vingtaine de nationalités s’y côtoient : Maliens, Nigériens, Nigérians, Ivoiriens, Guinéens, Libériens, Togolais, Burkinabés, Sierra Léonais…
Mais, il n’y a pas de barrière linguistique. Chaque se débrouille comme il peut. En français, en anglais ou dans une langue africaine. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre des langues comme le moré, le haoussa, le fon ou le peulh. Ces différentes langues servent de moyens de communication entre négociants, prostituées, marchands et orpailleurs. Plus, bien sûr, la langue nationale bamanankan.
Mais le développement de l’orpaillage a sa face sombre. Le revers de la médaille dorée, c’est que la présence de ressortissants étrangers menace sérieusement nos mœurs et coutumes. La prostitution, une activité particulièrement lucrative, est très développée.
Des Maliennes et d’autres professionnelles du sexe venues de pays de la sous-région se disputent les clients. « Nous sommes tous là avec la même ambition : se faire de l’argent. Mais les boulots ne sont pas les mêmes », note malicieusement Émilie, une prostituée sierra léonaise installée dans la zone depuis plusieurs années.
Sa voisine Zeïnab, un Malienne, acquiesce. « Nous ciblons les sites d’orpaillage du fait que dans ces endroits, les clients sont faciles et très généreux », dit-elle.
L’adultère est un autre travers que l’orpaillage a pratiquement officialisé. « La plupart des orpailleurs ont une « seconde femme » sur les sites. C’est une pratique courante ici. Car il nous arrive souvent de passer la nuit sur place », avoue un chercheur d’or.
Avec ce libertinage sexuel, l’ombre des malades sexuellement transmissibles, notamment du sida plane évidemment.
L’orpaillage fait également le nid de comportements répréhensibles comme le banditisme, le vol, le viol. « Nous sommes conscients des problèmes que posent cette activité. Mais que faire ? L’orpaillage est devenu pratiquement notre seule source de revenu depuis que la filière coton est en crise« , justifie Adama Konaté, un notable de Loulai.
Des morts d’hommes
Il faut dire que l’agriculture pâtit considérablement de la ruée vers l’or. Aujourd’hui, les placers ont littéralement remplacé les champs. L’exploitation artisanale de l’or occuperait près de 80% de la population active. Les dabas et autres équipements agricoles sont troqués contre des pioches. Les quelques champs de mil que l’on peut encore apercevoir dans les environs du site d’orpaillage sont envahis part les mauvaise herbes.
Par ailleurs, l’activité est en train de provoquer une véritable catastrophe environnementale dans la zone. Les sites sont jonchés de trous à ciel ouvert, « daman dikin » (en langue nationale bambara). Ces trous représentent un grand danger, aussi bien pour les hommes que pour les animaux.
Des galeries s’effondrent causant quelques fois des morts d’hommes. La coupe abusive de bois réduit le couvert végétal comme peau de chagrin. Le lit de la rivière se dégrade.
Au rythme de la dégradation de l’environnement, il est à craindre que les rares paysans qui continuent à privilégier l’agriculture et l’élevage manquent d’espaces pour ces activités.
Mais que faire pour arrêter la détérioration rapide de l’environnement ? « Nous sommes en pourparlers avec des partenaires coréens qui nous ont promis d’investir pour boucher les anciens trous, procéder au curage du lit de la rivière et traiter la boue riche d’or qui s’y trouve », annonce le maire de Fourou, Ousmane Ouattara.
Cela suffira-t-il comme action ? Bien sûr que non. Au ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Eau, on estime préférable d’organiser le secteur. Et pour cela, une synergie d’action avec les ministères de la Santé, de l’Environnement et de l’Assainissement, de la Sécurité intérieure, est indispensable. Car si l’activité est minière, elle implique de gros enjeux, notamment en matière de santé, d’environnement et d’assainissement et sécurité.
La situation de Loulaï n’est pas sans rappeler celle du site d’orpaillage de Massiogo, toujours dans le cercle de Kadiolo et auquel l’Essor a consacré plusieurs articles par le passé
L. DIARRA
Essor du
13 Novembre 2008