Dans les années 90, il était question de « rebelles intégrés ». Après, on a entendu parler d’ «intégrés ‘rebelles ». Aujourd’hui, il est question « d’intégrés insurgés » dans les rangs de l’Armée malienne. Autant de qualificatifs qui traduisent la complexité de l’équation du développement du Nord de notre pays.
Apparemment, le Président ATT vient de se confronter à sa première véritable crise, avec cet « Accord » dit d’Alger sur la seule région de Kidal. Depuis, cet » Accord » est devenu le repère d’une classification bassement manichéenne : d’un côté ceux qui sont pour la paix, avec le Général-Président ; de l’autre ceux qui sont contre la paix, contre le Général ATT, » les va-t-en-guerre « .
Depuis, le Général Kafougouna Koné, le Ministre de l’administration du territoire, ne recule devant aucun obstacle pour inculquer dans tous les crânes que l’Accord qu’il vient d’arracher, stoïquement et héroïquement, à Alger est le seul moyen de préservation du Mali. Kafougouna se déploie avec une telle débauche d’énergie que ceux qui l’ont connu, en d’autres circonstances, sont tout simplement perplexes. Ils ont peut être raison, car l’interprétation sémiotique de la photo consacrant l’Accord, n’est pas à la faveur du Général Koné.
Il est curieux de voir que le Général sourcilleux des couleurs nationales ait laissé son vis-à-vis Ahmada Ag BIBI se placer devant le drapeau national. Le Général Koné n’était pas aussi à l’aise dans la poignée de mains, car de toute évidence, c’est Ahamada Ag BIBI qui le premier a tendu la main. Ag BIBI a le port altier et fier, alors que le Général Koné a la tête baissée. Visiblement gêné ! Que diantre ! Comment a-t-il pu se trouver dans cette galère ? Le Général Kafougouna Koné est-il lui même convaincu?
Les constats
Comment parler de restauration de la paix, de la promotion du développement et du dialogue quand l’un des maillons essentiels de cette quête, à savoir l’information se trouve fausse ? L’information qui est non seulement fausse, est portée par différents locuteurs. Car si le Général Kafougouna et le Généréal ATT semblent dire la même chose quant à ce qui est de la préservation de la paix, ils sont en cacophonie sur beaucoup de points.
Accord pour la région de Kidal, dit Kafougouna ! Accord pour le Nord du Mali dit ATT. On aura remarqué que ni le Premier Ministre, ni le Ministre de la Défense ne font partie de ce chorus, tant leur silence paraît assourdissant. A la place du Ministre de la Défense, on aura surtout vu son Chef de Cabinet, le Colonel Minkoro. Le Premier Ministre, si loquace en d’autres circonstances, est étonnamment muet. En effet, quand le Secrétaire Général du RPM l’a sollicité pour disposer, à temps, d’une copie de l’Accord en question, le Premier Ministre lui a, en toute courtoisie, indiqué les services de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales. Et l’on sait avec quelle désinvolture les partis politiques ont été «informés» dans la main courante d’une conférence.
Le fait est important et mérite d’être porté à l’attention du public, car le Premier Ministre a toujours donné suite aux courriers qui lui ont été adressés par mon parti. Il en a été ainsi du dossier de la crise acridienne, du dossier sur la justice à Ménaka, alors que sévissait un tristounet Colonel Kamissoko, en qualité de Préfet. L’explication de texte en cours a fait son chemin. En si peu de temps, le Général Kafougouna et le Chef de l’Etat, les deux seuls véritables chefs d’orchestre de ce méli mélo, ont très tôt épuisé leur répertoire. Du coup, ils ne parlent plus de l’Accord dans le fond, ni dans sa mise en œuvre, mais dans l’abstrait. Et dans une déferlante, les uns et les autres, sans même savoir le fond du texte, certains ne l’ont même jamais vu, se fondent motions de soutien au Président de la République, le héros qui vient de sauver le Mali.
Une fois de plus. Ouf ! Par peur de prendre une position différente de celle du Prince du jour, ils récitent la même chose : « La guerre ce n’est pas bon, la guerre ce n’est pas bon… », un véritable panurgisme, alors même qu’en privé, ils ne sont pas d’accord avec le texte.
Le débat mérite, sans doute, d’être mené plus profondément. Mon parti, le Rassemblement Pour le Mali, s’est prononcé de la façon la plus solennelle contre cet « Accord» », à travers une « Déclaration » de son Bureau Politique National, signée par son Président Ibrahim Boubacar Ké¨ta rendue publique à travers la presse, le 12 Juillet.
Le RPM a dénoncé le caractère » monarchique » avec lequel cette sensible question a été gérée. Le Président du RPM a encore saisi l’opportunité de la tenue de la deuxième Conférence Nationale de son parti, pour dire de la façon la plus solennelle, son désaccord avec cet «Accord» qui est loin de constituer un modèle de stabilité pour le Mali. Nous sommes en démocratie et nous défendons nos positions. Si le RPM a pris la décision courageuse de se démarquer de la gestion d’un dossier aussi sensible, il l’a fait en toute connaissance de cause. Ce faisant, il évite de tomber dans le piège qui consiste à dire que quand une question est nationale, elle doit d’emblée faire l’objet d’un consensus. L’Accord dit d’Alger, en plus d’être une violation flagrante de la Constitution du Mali, contribuera à stigmatiser nos parents touaregs, que rien ne doit mettre au ban de notre société.
Ce que le texte de l’Accord ne dit pas suffisamment
Le texte ne rassure pas. Il ne rassure pas quand à la formulation même de son préambule, anonyme, qui après, l’énoncé des principes généraux sur la République, la paix et le développement, arrive à la conclusion que «Vu l’engagement du gouvernement à trouver une solution politique durable voire définitive à cette situation de crise, les mesures ci-dessous seront prises pour la région de Kidal» ».
Le problème est là. Pourquoi dissocier la Région de Kidal de l’ensemble du Nord, notion bien acceptée par tous dans le cadre du Pacte National ? L’accord ne rassure pas quant à la création de ce fameux « conseil régional provisoire de coordination et de suivi » dont «les membres seront désignés de manière consensuelle par les deux parties et le facilitateur « .. Ne s’agit-il pas là d’un coup d’Etat en règle contre l’Assemblée Régionale de la Région de Kidal, «démocratiquement » constituée ?
Il s’agit bien d’un coup d’Etat, car ce Conseil Régional, qui n’est pas prévu dans l’arsenal de la décentralisation, aura une durée de vie d’un an. Les rédacteurs sachant son caractère illégal, s’empressent de dire qu’ » Il est chargé d’appuyer l’Assemblée régionale dans l’exercice de ses compétences.. « Le texte ne rassure pas quand il opte pour la » définition et la coordination des échanges entre régions des pays voisins dans le cadre transfrontalier conformément aux accords bilatéraux signés avec ces pays « .
Est-ce à dire que la Région de Kidal aura les pleins pouvoirs pour signer des accords avec des Régions d’Etat souverain comme l’Algérie ? Le texte ne rassure pas quand il prône l’ » octroi de bourses à l’étranger pour les bacheliers les plus méritants de la région de Kidal » et la » mise en place d’un programme spécial en direction des diplômés en langue arabe dans le cadre d’un recyclage et d’une spécialisation ». Le texte ne rassure pas quand il prône la « création, en dehors des zones urbaines de Kidal, d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des régions nomades, dans les proportions assurant l’exécution efficace des missions des unités spéciales de sécurité ».
Le Général Kafougouna et le Président ATT n’insistent guère sur cet aspect des «unités spéciales de sécurité», qui seront composées « essentiellement d’éléments issus des régions nomades « . Et pourtant. Et pourtant les missions attendues de ces «unités» sont déjà prises en charge par les forces déjà en place. Mais, il faut quand même les confier à ces «unités spéciales» la « protection et le gardiennage des édifices publics », la « protection des personnalités « , la «reconnaissance et les patrouilles » l’ « assistance à la police judiciaire« ….
Il est encore dit sur ce chapitre que « les officiers issus du personnel visés dans le chapitre III, point 5 peuvent servir éventuellement dans les unités spéciales. Toutefois, lorsque l’unité est commandée par un officier issu des personnels visés dans le chapitre III, point 5, son second proviendra des autres corps des forces armées ou de sécurité nationale et vice versa « . Il faut bien que le Général Kafougouna finisse par dire au peuple malien que cette disposition consacre la ségrégation au sein de l’armée nationale. En clair, lorsque «l’Unité» est commandée par un élément de la région de Kidal, son second doit venir d’une autre partie du Mali. Quid du mérite ? Quid de la valeur militaire ?
Et, pour tout dire, ces «unités» vont disposer «d’une structure spécialisée chargée de l’action sociale au profit de leurs personnels» . Ces «unités» sont tellement «spéciales» que le service social des armées ne doit pas avoir un œil sur leur prise en charge. Le texte ne rassure pas quant à la gestion qui va faite être de la restitution des armes .
Cette « opération de restitution des armes, des munitions et autres matériels enlevés se fera dans le lieu du cantonnement, à l’admission du personnel visé dans le chapitre III, points 4 et 5, et de manière simultanée avec la régularisation de la situation socioprofessionnelle du personnel cantonné », lit-on.
La disposition est pleine d’engagements, mais ces engagements sont banalisés. Il est simplement dit que les armes et les munitions enlevés seront restitués dans le lieu de cantonnement.
Mais, il y a plus. Il est dit qu’il va être question de la « gestion avec discernement des officiers, sous-officiers et hommes de rang qui ont quitté leurs unités d’origine pendant les événements du 23 mai 2006, en les intégrant si besoin dans les unités spéciales de sécurité en mettant à contribution la structure spécialisée visée plus haut pour faciliter la régularisation de leurs situations administratives, financières et de carrière, ainsi que leur participation aux opérations de maintien de la paix. »Quid du règlement de l’armée qui fait de la discipline son épine dorsale ?Et que d’engagements ! d’engagements ! Des engagements contraignants pour le Mali. Des engagements du genre « Mesures prioritaires » qui doivent se traduire par l’insertion de l’Accord dans le Journal Officiel,
La prise de l’ Arrêté ministériel portant création du Comité de suivi après signature de l’accord, la « signature et remise au Comité de suivi, dès la publication de l’accord, de l’arrêté ministériel portant création de ce Comité », la « libération de toutes les personnes détenues à la suite des événements du 23 mai 2006 » , «l’ Installation, par le Comité de suivi, du groupe technique de sécurité qui sera chargé, selon les dispositions portant création du Comité de suivi», «la promulgation de la loi prorogeant de dix (10) ans le régime préférentiel fiscal et incitatif défini par le Pacte national pour les régions du Nord du Mali » et l’ « Organisation du Forum de Kidal sur le développement dans les trois (03) mois suivant la signature de l’accord ». Le texte de l’Accord cache bien des choses. Il fait l’impasse sur les conditions de notre armée qui doit assumer une mission à laquelle elle n’est plus préparée.
Le texte fait l’impasse sur l’état d’esprit des soldats qui ne sont pas à une première couleuvre avalée près depuis le déclenchement de la rébellion. Que de sacrifice, cette troupe n’a-t-elle consenti, pour la préservation de la paix ? Ces braves soldats n’ont -ils pas accueilli en véritables frères d’armes leurs ennemis d’hier ? Ces mêmes ennemis intégrés n’ont-ils pas pris les armes contre la nation, sans coup férir ?
Au nom de quel esprit de discernement doit-on obéir à un officier qui a déjà trahi la patrie et qui la trahira toujours ? Va-t-on pouvoir sanctionner un soldat à Kati ou Nioro pour manquement à la discipline quand, pendant le même temps, quelqu’un peut prendre son fusil, canarder ses compagnons d’arme ? Voici certains des points de malaise que les Généraux-Conférenciers n’abordent pas dans leurs communications ! Comment va se faire le cantonnement ? Ne sait-on pas que les insurgés qui ont quitté Kidal, le 23 Mai, ne sont plus seuls dans les grottes ? Quelles armes, quelles munitions vont être restituées ? Par qui ? Comment ?
Les dignes Maliens de la région de Kayes n’ont-ils pas des motifs suffisants d’entrer en rébellion contre l’Etat et demander, eux aussi, des négociations sous le couvert de Bush ou de Chirac? Ils n’ont qu’à escarper le Tambaoura, tirer quelques coups, et ils vont être pris au sérieux.. Alors, quid de la nation malienne ?
Les conditions de vie à Kayes ne sont-elles pas aussi drastiques qu’à Kidal? Ne sont-ce pas les enfants de Kayes qui meurent tous les jours que Dieu fait, dans la traversée de la méditerranée, à la recherche de l’Eldorado européen , pour ensuite venir investir dans leur terroir ? Faites un tour dans cette région et vous ne finirez pas de compter les innombrables réalisations faites par les immigrés qui n’ont jamais demandé le moindre copeck à l’Etat.
Et, pendant ce temps, pourra-t-on se soumettre aux caprices de quelques individus sous l’arme du chantage ? Qu’adviendrait-il du Mali, si les enfants d’une région ne devaient travailler majoritairement que dans leur région d’origine ? Quid de l’unité nationale ?
Ces différents points ne sont pas abordés dans le discours de l’Etat. Pendant ce temps, les insurgés attendent. Ils acculent l’Etat. Ils veulent montrer que l’Etat ne tient pas ses engagements, que le Pouvoir en place n’est pas un interlocuteur crédible. Pendant ce temps, le Pouvoir ferme les yeux sur les intentions réelles de ses vis-à-vis qui, justement depuis le petit matin du 23 Mai, ne sont plus que de simples insurgés, mais une « alliance démocratique du 23 mai 2006 pour le Changement « . Et c’est l’acte fondateur de la future entité de Kidal.
Les Maliens savent ce que veut dire une «Alliance », tout comme ils savent aussi ce que veut dire le «changement « . Mais quelle alliance pour quel changement ?
A ces points s’ajoute le fait que dans l’obsession d’avoir un deuxième ( pas second) mandat, le Pouvoir ne veut pas de troubles. Alors pas du tout. La politique politicienne n’est pas forcément du côté que l’on croit.
En réalité, l’Etat est entrain de fournir aux insurgés les moyens de leur autonomie future. C’est avec les moyens de l’Etat que ceux qu’on désigne aujourd’hui sous le vocable d’insurgés vont s’organiser. Ils ne sont qu’à une étape de leur dessein dont l’enjeu ultime est «la large autonomie pour la région de Kidal».
Le topo est simple : les jeunes de Kidal vont être recrutés dans les différents corps de l’armée, les cadres seront recrutés et formés et demain, quand jaillira le pétrole, il n’ y aura qu’à sonner le rassemblement.
Il s’agit bien d’une équation à plusieurs inconnues dont la résolution passe par l’affirmation, sans aucune malice, sans aucune argutie, de la force de l’Etat dans le cadre indiscutable de la Nation malienne qui, bien que fragile, existe quand même. Et il n’est plus sûr que le genre d’ » Accord » dit d’Alger vienne pour le conforter. Hélas.
*Ibrahima MAIGA/
Secrétaire à la Communication du BPN/RPM
01 Août 2006