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Le Reflet : Pouvez-vous nous présenter MBemba, votre nouvel album ?

Salif : MBemba est comme Moffou, sauf qu’il est plus dansant que le précédent. Les deux œuvres ont été conçues avec le même esprit. A mon avis, ce qui le distingue de Moffou, c’est que MBemba flirte aussi avec les sonorités andalouses. (Andalousie, Espagne). Nous avons fait un mixage de la musique malienne sur des mélodies espagnoles. Certains titres ont également une coloration raga plus poussée.

Comment cet album a-t-il été préparé ?

Salif : J’ai composé mes chansons au gré de mon inspiration. J’ai ensuite cherché des rythmes et des mélodies. J’ai d’abord travaillé avec des instrumentistes traditionnels. Et avec Kanté Manfila, nous avons fait venir des instrumentistes d’autres horizons. MBemba a été entièrement enregistré et mixé dans mon studio, Wanda Records, avec Kanté Manfila comme arrangeur.

Quels sont, d’une manière générale, les thèmes abordés dans les chansons qui composent cet opus ?

Salif : Comme il est de coutume, c’est l’amour qui m’a le plus inspiré. Aujourd’hui, le monde doit faire face à des maladies comme le VIH/Sida et le paludisme, à des calamités comme la famine et les guerres, à des menaces comme le terrorisme et la pauvreté… Je n’ai pas voulu remuer le couteau dans la plaie en m’attardant sur ces drames. A mon avis, tous les problèmes du monde peuvent trouver une solution dans l’amour. Quand on s’aime, on ne se bat pas, on se protège et on protège son prochain et on se donne la main pour faire face aux défis de l’heure.

Dans le titre MBemba, vous évoquez votre défunt père, Sina (Paix à son âme). Est-ce l’hommage d’un fils réconcilié avec son père après de longues années de brouilles ?

Salif : C’est un peu cela. Chez nous les mandings, MBemba signifie l’ancêtre, le grand-père. A travers cette chanson, je demande pardon à tous ceux qui se sont sentis humiliés par ma carrière artistique, à tous ceux qui ne pouvaient pas tolérer qu’un noble fasse de la musique. Je veux qu’ils sachent que pour un Kéita, la musique a plutôt valeur d’expression, d’engagement et de défense des causes nobles. Ce n’est donc pas un reniement de sa noblesse ou de ses origines.

Wanda Records a produit beaucoup de jeunes artistes ces derniers temps. Qu’est-ce qui explique cela ?

Salif : Nous avons implanté un studio performant à Bamako. C’est l’un des plus performants dans la sous région voire en Afrique. Nous avons consenti cet investissement pour contribuer au rayonnement de la musique malienne dans le monde à travers la promotion de jeunes talents. Notre ambition est aussi d’offrir à ces jeunes l’opportunité de réaliser leurs rêves.

Quelles sont les vraies motivations du choix de l’enfant de Djoliba de se fixer définitivement au Mali ?

Salif : Je n’ai jamais voulu rester à l’étranger. Je ne me sens bien nulle part qu’au Mali. J’ai quitté un moment ce pays pour me chercher. Aujourd’hui, je pense que ma place est ici.

Vous vous êtes retrouvé ?

Salif : Je l’espère !

Comment ?

Salif : Je pense avoir acquis des expériences et des connaissances nouvelles. J’ai vécu des histoires enrichissantes qui ont forgé ma personnalité. Ma musique a beaucoup évolué. Tout comme d’ailleurs la musique malienne qui occupe de nos jours une place de choix dans le show biz international.

On a pourtant l’impression que la musique malienne s’appauvrit au niveau des textes ?

Salif : Que voulez-vous que l’on fasse ? Les louanges constituent presque l’essence de la musique malienne. Ce qui ne donne pas forcément lieu à des recherches parce que c’est une tradition transmise de génération en génération. Cet appauvrissement est beaucoup plus culturel et le changement va prendre du temps. Mais, déjà, nous assistons à l’éclosion de jeunes talents qui font des efforts louables de recherches pour composer leurs chansons. Ils font vraiment preuve de créativité.

Vous êtes parmi ceux qui ont poussé Amadou Toumani Touré à briguer la présidence de la République. Aujourd’hui, son régime est acculé par des difficultés socioéconomiques. Regrettez-vous votre choix ?

Salif : Jamais ! J’ai confiance à ATT et je suis convaincu que c’est le président qu’il fallait au Mali après dix ans de navigation à vue. La surenchère au tour des difficultés actuelles, surtout de la crise alimentaire, est une conséquence du libéralisme économique. Du temps de la splendeur de l’Office des produits agricoles du Mali (OPAM), il était impossible de spéculer sur le prix des céréales et de prendre tout un peuple en otage parce que l’Etat contrôlait les circuits d’approvisionnement et les prix. Mais, avec la libéralisation des marchés, les commerçants profitent de l’aubaine pour abuser de la confiance de la nation et saboter les efforts du gouvernement. La spéculation sur les denrées de première nécessité est l’une des armes les plus efficaces pour détruire un gouvernement.


La crise actuelle n’est donc pas de la faute du régime ?

Salif : Sincèrement, je ne reproche rien à ce régime et au gouvernement en place. Tout est mis en œuvre pour juguler la crise actuelle. Mais, le gouvernement n’est pas le seul à détenir toutes les solutions à nos problèmes. Chacun doit mettre du sien. Le problème du président ATT, c’est qu’il n’est pas habitué à la démagogie politicienne permettant de maquiller la réalité. Il fait face aux problèmes avec le soutien de tous. Je soutiens Amadou Toumani Touré parce que je me retrouve dans sa politique. Je suis convaincu de son patriotisme car il a renoncé à beaucoup de privilèges et à sa quiétude pour diriger ce pays qu’il aime tant. Donnons donc lui le temps de trouver des solutions pérennes aux problèmes des populations.

Quels sont vos projets immédiats :

Salif : Je voyage demain (14 septembre 2005, NDLR) pour la France point de départ d’une tournée internationale de promotion de mon nouvel album. Il est prévu des concerts en France, en Europe, aux Etats-Unis… Je ne suis pas sûr de revenir au bercail avant décembre 2005.

Propos recueillis par
Moussa Bolly

28 septembre 2005.