Sadio Lamine Sow intrigue. Peu bavard malgré les multiples attaques personnelles dont il a fait l’objet, l’homme se contente d’agir. Discret, possédant un carnet d’adresse reconnu, il accepte pour la première fois de se livrer à la presse depuis sa nomination. En exclusivité, nous voyons avec lui, son ambition pour la diplomatie malienne et les défis à relever. Entretien.
Les Echos : Qui est Sadio Lamine ?
Sadio Lamine Sow : Un citoyen malien des plus ordinaires de 60 ans qui se trouve propulsé en raison de circonstances dramatiques, à la tête d’une charge d’Etat difficile, exposée mais combien exaltante. Un citoyen qui ne méconnaît pas ses limites, mais mû par l’amour de la patrie et la volonté de la servir loyalement. J’ai eu une jeunesse très militante puisque déjà à 16 ans j’étais dans les associations. J’ai été parmi les premiers scolaires arrêtés au lendemain du coup d’Etat de 1968 à Markala. J’ai été ensuite secrétaire général du lycée Askia. J’ai été journaliste pour beaucoup d’organes de presse… J’ai eu une vie militante et syndicale bien remplie.
Les Echos : Les Maliens vous découvrent avec votre nomination comme seconde personnalité du gouvernement. Aviez-vous déjà travaillé au Mali ?
S.L.S : Je n’ai jamais cessé de travailler au Mali et pour le Mali. Mais, j’entends votre question : non, je n’ai jamais été salarié, ni employé dans aucune administration ou entreprise malienne. Je sais que certains me reprochent de n’avoir travaillé qu’à l’extérieur. A ceux-là, je dis : vous qui avez toujours travaillé ici, combien de familles maliennes nourrissez-vous ? Moi je peux dire que mes investissements dans mon pays permettent de fournir du travail et de nourrir une centaine de personnes.
Les Echos : Etes-vous la caution du président Blaise Compaoré dans le gouvernement ?
S. L. S : Ce serait faire injure à l’intelligence du président Compaoré de faire d’un homme aussi visible que moi sa caution dans un gouvernement malien. Non, je ne suis pas que la caution du Premier ministre. Ce n’est pas parce que j’ai été impliqué dans toutes les médiations que la Cédéao lui a confiées qu’on peut affirmer une telle contre-vérité.
Mais, je tiens à préciser que ce n’est pas la première fois qu’on me proposait des postes ministériels au Mali. C’était tellement plus facile et plus sécurisant pour moi de les accepter en leur temps. Non, j’ai choisi de répondre cette fois-ci à l’appel du Premier ministre précisément en raison de la situation particulière du pays avec le sentiment pas forcément illusoire que je peux apporter une modeste contribution.
Les Echos : Quelle est la diplomatie d’un pays en crise comme le nôtre ?
S. L. S : Un pays en crise doit observer certaines règles. Avec le Premier ministre, nous ne pratiquons pas une diplomatie bruyante, précisément parce que nous sommes en crise. Nous essayons de traiter cette crise du mieux que nous pouvons. Comme dit un proverbe de chez nous, faire beaucoup de bruits peut chasser l’oiseau de l’épi de mil, mais ça ne fait pas pousser le mil. Nous travaillons dans la discrétion, mais dans l’efficacité. Précisément parce que nous sommes en crise, en état de guerre, nous ne pouvons pas dévoiler publiquement ce que nous faisons. Nos actions sont bien concrètes, elles sont là, visibles pour qui veut les voir.
Les Echos : Que fait notre diplomatie pour contrer l’offensive médiatique du MNLA auprès de la communauté internationale ?
S. L. S : Ce que vous appelez offensive, je ne la vois pas au plan international et ça n’a aucune incidence sur les relations que nous entretenons. Vous savez, il y a un fantasme dans certains pays concernant les hommes bleus, le sable, les espaces infinis…
Les Echos : Le Mali est en crise. Le ministre des Affaires étrangères a-t-il pris des contacts pour nous aider ? Ces contacts donnent-ils des résultats ?
S. L. S : Oui. Je réponds par l’affirmative, mais, c’est un domaine fortement sensible que je ne peux pas porter sur la place publique au risque d’en affecter les avantages, mais, nous travaillons.
Les Echos : On vous reproche d’avoir privilégié un voyage au Vanuatu par rapport à une réunion de la Cen-Sad au Maroc…Concrètement, est-ce qu’il y avait urgence d’aller au Vanuatu ?
S. L. S : Quand on ne sait pas de quoi on parle, on se tait. Il est vrai que le ridicule ne tue plus certains chez nous. Pérorer sur un sujet qu’on ne connaît pas est le talent des imposteurs.
La réunion de la Cen-Sad au Maroc était consécutive à celle qui a eu lieu à N’Djamena au Tchad du 2 au 7 juin. Le Mali faisait partie des 7 pays qui ont été choisis pour s’occuper de la réorganisation de la Cen-Sad. Donc j’étais bien à N’Djamena où nous avons adopté les textes de la réorganisation. La rencontre de Rabat était juste un conseil extraordinaire des ministres pour entériner nos décisions.
Au Vanuatu, il s’agissait d’une rencontre d’abord de 78 pays ACP, et ensuite, d’une rencontre entre les ACP et l’Union européenne. Vous savez très bien que l’Union européenne a arrêté son aide au Mali, que des parlementaires européens ont eu à écouter le MNLA, il était donc important que je sois à cette réunion pour expliquer la situation au Mali.
Le communiqué de presse qui a d’ailleurs été publié à l’issue de mes rencontres explique clairement les contacts que j’ai eus tant au niveau africain que européen.
Les Echos : Concrètement, quelle est la position du Mali par rapport à l’envoie de troupes étrangères dans notre pays ?
S. L. S : Vous savez que le Premier ministre a entrepris une tournée dans les pays du champ. Il a été en Algérie, en Mauritanie. Il va bientôt aller au Niger avant de rencontrer de nouveau le président Compaoré qui est le Médiateur de la Cédéao. Je crois qu’après cette tournée, on fera une analyse objective de la situation. En ce moment nous nous détermineront.
Les Echos : Le Mali a-t-il formulé ou va-t-il formuler une demande auprès du Conseil de sécurité de l’Onu dans ce sens ?
S. L. S : A l’heure où je vous parle, non.
Les Echos : Ce sera fait ?
S. L. S : Je vous dis encore une fois que lorsque le premier aura fini sa tournée dans les pays du Champ et ce sera concerté avec le Médiateur, il sera pris une décision.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry
Les Echos du 20 juin 2012