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Parmi les différents éléments qui ont directement causé l’échec du Mali au plan politique, la différence des conceptions des structures fédérales et celle de la politique extérieure tiennent une place de choix.
La différence des conceptions des structures fédérales.

C’est à l’occasion du transfert des compétences du 4 avril 1960 que sont nées les divergences relatives à la structure à donner à la Fédération du Mali. Le fossé entre les deux conceptions sénégalaise et soudanaise s’est approfondi lors des conférences politiques d’avril, mai et août 1960.

Tous les protagonistes défendent la même idéologie à savoir un socialisme qui permette l’Unité africaine. La différence entre les points de vue résidait dans les méthodes à suivre pour atteindre le but que consacre ce socialisme.
Côté conférences politiques, de l’avis des Soudanais, aucune décision n’avait été prise.

Or les Sénégalais prétendent que le secrétaire administratif du Parti de la Fédération africaine (PFA), le Sénégalais Doudou Guèye, avait fait disparaître les procès-verbaux de ces réunions. En tout état de cause les deux versions restaient divergentes.

Car la conception du Sénégal, c’était l’idée d’une Fédération caractérisée par la souplesse des relations entre les Etats fédérés.

Pour cette raison, dès la conférence d’avril 1960 et lors du transfert des compétences du 4 avril de la même année, ce pays avait préconisé l’indépendance préalable des Etats fédérés et le transfert de ces compétences à leur profit, avant la délégation, à la Fédération, de certains des pouvoirs ainsi reçus par les Etats membres.

Par ailleurs, à la différence des Soudanais qui voulaient faire contrôler l’Economie par l’Etat fédératif malien, les Sénégalais voulaient que cela relevât du Sénégal et du Soudan.

La conception était, en effet, tout autre pour les ressortissants de ce pays. Ici, Modibo Kéïta est partisan d’une Fédération à laquelle les pays membres confieraient des pouvoirs plus amples que leurs propres compétences.

C’est ce qui l’a poussé à réclamer le transfert des compétences, directement, de la Communauté au Mali, sans passer par le biais du Sénégal et du Soudan. S’il est certain qu’il ne s’est jamais comporté en « chef d’Etat unitaire », il est indéniable que sa position tendait vers l’unicité du Mali.

«  Au sein de la Fédération du Mali, les Soudanais étaient favorables à une harmonisation maximum des politiques du Sénégal et du Soudan. Les Sénégalais préconisaient quant à eux une harmonisation minimum « , selon le Sénégalais Doudou Thiam, membre du Gouvernement.

Malgré ces divergences, une entente avait finalement pu être trouvée, les 21 et 22 mai 1960, sur les modalités d’exercice du pouvoir, mais les opinions restaient toujours différentes.

Côté différence des doctrines, le socialisme malien avait pour fondement le marxisme. Au Soudan, Modibo Keïta, formé au Rassemblement démocratique africain, était foncièrement « gauchiste« , son idéologie politique s’apparentant au communisme.

Au Sénégal, l’influence du Parti communiste sur les dirigeants, formés par les « libéraux français », a eu pour conséquence sur eux le fait d’être certes partisans du « gauchisme », mais il s’agissait d’un « gauchisme réformiste ».

Ainsi, qu’il s’agisse du socialisme soudanais ou du socialisme sénégalais, les dirigeants voulaient-ils aboutir aux mêmes fins : l’indépendance. Par des méthodes différentes !

Cette différence tire son fondement dans la formation politique. Il existait au Sénégal des partis tels que la branche sénégalaise du Parti du regroupement africain (PRA), le Parti africain de l’indépendance (PAI) et le Parti socialiste sénégalais, tous de gauche, et celui des religieux, de droite.

Ces formations s’opposaient à celle du Gouvernement, l’Union progressiste sénégalaise. Le multipartisme sénégalais permettait ainsi plus de libéralisme par rapport au système du Soudan.

Ici, les formations de l’opposition ont fini par disparaître.
Tel était le cas du Parti progressiste soudanais (PSP), de Fily Dabo Sissoko, qui a rejoint l’Union soudanaise, section locale du RDA (US-RDA), en décembre 1958.

Cas aussi du Parti du regroupement soudanais (PRS), de Hammadoun Dicko, qui disparut en mars 1959. La section soudanaise du Parti africain de l’indépendance, lui, rejoignit l’US-RDA en fin 1959.

La formation au pouvoir se trouvait ainsi très structurée avec l’adhésion en son sein des différents partis d’opposition.
La politique extérieure du Mali n’était pas non plus vue du même œil par les Soudanais et les Sénégalais.

Deux conceptions divergentes de la politique extérieure
Léopold Sédar Senghor et Modibo Keïta avaient deux visions différentes des relations internationales du Mali, particulièrement avec la France et l’Union soviétique.

S’agissant du problème algérien – qui intéressait d’abord la Métropole -, Keïta avait annoncé son intention de voter contre celle-ci à l’Organisation des Nations unies, de reconnaître le Gouvernement provisoire de la République d’Algérie (GPRA) et même d’envoyer un contingent militaire malien pour combattre aux côtés du Front de libération nationale (FLN).

Senghor lui reprochait cette déclaration. Mais ce reproche était sans fondement dans la mesure où, Keïta, en tant que chef du Gouvernement malien, avait le droit de voter pour ou contre l’indépendance d’un Etat.

En ce qui concerne le problème du Congo belge (actuelle République démocratique du Congo), une guerre civile avait éclaté une dizaine de jours après l’accession à l’indépendance de cet Etat.

Opposant, à partir du 11 juillet 1960, Moïse Tshombé, appuyé par la Belgique, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Afrique du Sud, au régime de Joseph Kazavubu, ce conflit allait consacrer le début de la sécession du Katanga.

A ce sujet, les Soudanais voulaient défendre le maintien de l’intégrité territoriale du Congo, même s’il fallait faire revenir, par la force, le chef de la rébellion, Moïse Tshombé, à l’autorité centrale.

A Monrovia, capitale du Libéria, Modibo Keïta déclara vouloir doter la Fédération d’une monnaie nationale. Ce que ne concevait pas Léopold Sédar Senghor. Or, de l’avis de Pierre Gam, « l’exercice d’une telle compétence, pour facultatif qu’il soit, ne saurait constituer une illégalité « .

Le Chef du Gouvernement fédéral, lui, justifiait sa déclaration en ces termes : « M. Senghor me fait le reproche d’avoir préconisé… une zone monétaire africaine comme si cette évolution souhaitée par tous les Africains n’est pas la conséquence logique de la création d’un marché commun africain, tel que cela a été souhaité par le comité directeur du PFA« .

De tous ces problèmes, la solution qu’envisageaient le Sénégalais Senghor et ses partisans ne pouvait être atteinte, selon eux, que par des moyens pacifiques.

Ceci s’explique par le souci qu’ils avaient de sauvegarder les relations de leur pays avec la France. Ce qui est bien normal sur le plan purement politique.

Modibo Keïta, à son tour, critique la position sénégalaise et reproche à Senghor d’être « plus Français que le plus Français des Français« .

Pour lui, Senghor « veut africaniser les Blancs alors que le Sénégal a des cadres nantis de toutes les références mais qui demeurent inemployés ou sous-employés« .

C’est d’ailleurs ces différents reproches, que les dirigeants maliens adressaient les uns aux autres, qui ont conditionné la compétition pour le leadership à l’occasion des élections qui devaient avoir lieu le 27 août 1960 pour désigner démocratiquement les présidents de l’Assemblée et de la Fédération du Mali.

Zoubeirou MAIGA

15 septembre 2005.