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La rentrée solennelle des cours et tribunaux, n’est pas d’actualité. Par contre, avec la vague d’insécurité qui sévit à Bamako, la justice populaire, elle, se réveille. De façon brutale. Conséquence : deux présumés voleurs de motos ont été « jugés », « condamnés » et « exécutés » la semaine dernière au champ hippique de Bamako. L’on signale le cas d’un troisième voleur dont le corps a été découvert dans la zone de l’ACI 2000. Il aurait subi le même sort que les deux autres. Explication

Dans les trois cas, les populations sans doute excédées par la situation d’insécurité ont opté pour la méthode expéditive. Les trois présumés voleurs n’auront pas le « privilège » de séjourner en prison. Ils ont été ligotés et tabassés à mort par une foule en colère.

Ces trois exécutions publiques rappellent un triste moment de l’histoire récente du pays, plus précisément de la capitale.
En 1991, suite à la révolution du 26 mars, de nombreux malfrats avaient profité de la casse de la prison centrale de Bamako pour prendre la clé des champs. Dès lors, la terreur s’installa dans toute la ville.

Face aux nombreux actes de brigandages, les Bamakois ont dans un réflexe d’auto défense, eu recours à des méthodes fortes et expéditives. Le verdict appliqué à l’époque aux voleurs ? L’article 320 du « code » de procédure accélérée. La procédure était simple. Avec une boîte d’allumettes (20 francs) et un litre d’essence (300 francs à l’époque), la sentence était immédiatement exécutée.

Les grands caïds de la capitale, Modibo « Néguè », Daframachin et autre Madouba, ont été brulés vifs. Ils furent tous victimes de la justice populaire instaurée à un moment où l’autorité de l’État était en lambeau.
Aujourd’hui, qu’est ce qui peut donc expliquer le retour de cette justice expéditive ?

A entendre les citoyens une seule explication est fournie : le manque de confiance à la justice étatique.

La justice indexée

En effet, de nombreux malfrats, connus par les populations, semblent jouir d’une impunité totale. Ainsi, les Bamakois ont l’impression que ces malfrats, leurs commanditaires et complices sont arrivés à nouer des complicités douteuses dans la chaine de répression : justice, police et l’administration pénitentiaire. Conséquences : de nombreux voleurs opèrent en toute quiétude et sans aucune crainte.

En somme, la confiance des populations s’effrite à l’égard de la justice. Et pour les citoyens, nul besoin de conduire un voleur au commissariat puisqu’on est sûr de le croiser sur son chemin le lendemain. Du côté de la police, presque les mêmes accusations sont adressées à la justice.

En effet, de nombreux policiers ne cachent plus leur exaspération face à certaines décisions de justice prononcées contre des malfrats, souvent multirécidivistes. Pour ces policiers, c’est un éternel recommencement dans les opérations qu’ils mènent dans la lutte contre l’insécurité, car ce sont toujours les mêmes malfrats qui sont conduits en prison et qui se retrouvent en liberté, sans condamnation, pour reprendre leurs activités criminelles. Et dans ce cas, deux petits exemples sont là pour témoigner la légèreté coupable avec laquelle certains dossiers criminels sont traités.

Le premier exemple, un jour un jeune bandit commet un holdup au quartier Badalabougou. Sous la menace d’une arme blanche, il ligote une dame, gérante d’une boutique de vente de Bazin. Quelques jours après, il fut arrêté par la brigade d’investigation judiciaire (BIJ). Placé sous mandat, il est conduit à la prison centrale. Mais moins d’une semaine après son déferrement, il est libre.

Et comme pour narguer les policiers, il se présente à la BIJ pour « réclamer » dit-il, un parfum qui était dans ses affaires au moment de son arrestation. En réalité, ce voleur voulait simplement dire aux policiers ceci : vous avez perdu votre temps et votre énergie à m’arrêter.

D’autres m’ont remis en liberté.

Le second exemple : au cours des opérations en cours contre l’insécurité, les éléments du 11è arrondissement de Bamako ont procédé la semaine dernière à l’arrestation d’un groupe de bandits. Alors qu’ils étaient conduits au commissariat, le chef de groupe, pour apaiser ses complices, leur dira : « ne vous en faites pas, le plus dur ça serait au niveau de la police, après on va régler ça… ».

Les policiers médusés écoutaient ces propos.Ces deux exemples parmi une multitude montrent le degré d’impunité dont certains malfrats se prévalent aujourd’hui. Une impunité qui les rende de plus en plus audacieux.

Outre la justice, l’administration pénitentiaire est également mise en cause dans la situation d’insécurité à Bamako.

En effet, des régisseurs de prison sont fortement soupçonnés de connivence avec certains bandits où groupe de bandits. Ceux-ci une fois déférés, arrivent à se soustraire des geôles. Comment ? Allez y demander à ceux qui ont en charge la gestion de nos prisons.

Et la police ? Certains de ses éléments (au plus haut niveau) ne sont pas exempt de reproches. Faites un tour dans les quartiers populaires de Médina Coura, Bagadadji où encore Missira, une liste noire de policiers « corrompus » est entre les mains des populations. Il semble que ces policiers dont des officiers entretiennent des « relations cordiales » avec des malfrats qui opèrent dans la zone de la commune I.

Et les mêmes policiers fréquenteraient certains narcotrafiquants très actifs dans ces trois quartiers.

C’est dire que le retour de la justice populaire s’explique aisément par la conjonction de ces facteurs : perte de confiance des citoyens en la justice, laxisme au niveau de l’administration pénitentiaire et soupçons (avérés ou non) à l’endroit de la police.

Et les opérations déclenchées par le ministère de la sécurité et de la protection civile pour sécuriser la capitale n’auront aucune chance de succès, si elles (ces opérations) ne sont pas accompagnées par des mesures au niveau de la justice et de l’administration pénitentiaire.

En effet, la justice doit faire preuve de fermeté dans le traitement des dossiers concernant les opérations en cours. Pour l’exemple, ces dossiers méritent un traitement diligent afin que les citoyens soient rassurés. Au niveau du ministère de la justice, des mesures doivent accompagner celles prises par le ministère de la sécurité.

Le département de la justice doit afficher plus de rigueur dans la gestion du milieu carcéral, surtout au niveau de Bamako.
Autant de mesures qui si elles sont prises donneront espoir aux populations et ramèneront la quiétude dans la capitale.

Ch. Sylla

15 Février 2010.