Les deux années à venir constituent à n’en pas douter des années charnières pour l’orientation démocratique de notre pays.
Le 2e président démocratiquement élu chemine inexorablement vers la fin de son second mandat, et visiblement malgré les intentions qu’on a pu lui prêter çà et là, la prolongation ne semble pas pour lui d’actualité.
Mieux, conscient des enjeux, et soucieux de renforcer l’ancrage démocratique, le président de la République, après les grands chantiers en BTP, vient dans la logique d’Hercule, de donner le premier coup de pioche du chantier du ravalement de notre façade démocratique.
Nul doute qu’aujourd’hui des réformes s’imposent après deux décennies de pratique qui ont permis d’éprouver les textes et les institutions qui soutiennent notre démocratie, d’en connaître les limites et bien évidemment les forces.
Et nul mieux qu’un président, qui n’a plus le souci de sa réélection, ne peut amorcer des réformes en profondeur, motivées par rien d’autre que la volonté de bien faire. Sur ces fondamentaux, l’unanimité semble faite. Mais, les réformes annoncées ne manquent pas de susciter inquiétudes.
D’abord au niveau de la forme, elle est encore récente, à l’échelle d’une société, cette actualité de l’après-Baule dominée par les conférences nationales présidées par-ci par des prélats et par-là par des officiers patriotes. Ces fora ont été les moules au sein desquels ont fusé les espérances démocratiques de nos peuples, ensuite fondus en textes constitutionnels pour régir désormais nos cités.
Si deux décennies après, on décidait de refaçonner l’œuvre collective à peine striée par le temps, n’aurait-il pas été sage, en tout cas plus logique de réunir les artisans qui ont fait le moule pour leur demander de travailler à parfaire l’œuvre commune ?
Ce qui rend perplexe, c’est d’ailleurs le peu d’intérêt jusque-là manifesté par ces grands partis nés du Mouvement démocratique, qui jusqu’à présent ne semblent pas appréhender les enjeux réels de cet exercice hors du commun.
Une démocratie des institutions
Ne serait-ce pas simplement dû au fait que comme à l’accoutumée, notre démocratie continue de faire les choses à l’envers. Elle progresse, mais à reculons des aspirations profondes qui devraient la motiver. En effet, la démocratie pour la démocratie ne saurait être une finalité, pas même chez les Parnassiens.
La démocratie, qui devrait tendre à la satisfaction des besoins fondamentaux du plus grand nombre à travers la participation de tous les citoyens au processus décisionnel et à la gouvernance de la chose publique, a tendance aujourd’hui à se résumer en un système orienté uniquement vers la création et la dotation d’institutions dont l’ambition réside dans leur propre fonctionnement uniquement.
Aussi aberrant que cela puisse paraître, aujourd’hui le citoyen est plus enclin à sortir manifester pour soutenir un candidat victime d’une tricherie que de revendiquer une meilleure gouvernance de la chose publique alors même que son pouvoir d’achat va s’effritant.
Résultat, dix-huit ans après, nous avons toutes sortes d’institutions symbolisant la démocratie. Mais en même temps la chose publique aura rarement été autant dilapidée, par ceux-là mêmes qui sont désignés par le peuple pour veiller sur ses intérêts. S’est-on simplement
intéressé au coût de fonctionnement de ces institutions ? A-t-on jamais pensé faire le ratio entre ce coût et le niveau de vie du citoyen ?
En attendant de se livrer à pareil exercice qui serait fort édifiant quant au hiatus entre le niveau de vie du citoyen qui sacrifie une partie de ses gains à payer l’impôt (heureusement que le per capita a été supprimé) et le coût de la prise en charge sur ces impôts de cet élu qu’il ne reverra qu’à l’occasion de la prochaine campagne électorale, nos institutions sont nombreuses, budgétivores et parfois à l’utilité plus que douteuse.
Faut-il à ce propos rappeler l’anecdote du projet de code de la famille, voté à la quasi-unanimité, cependant même que la plupart des députés pris individuellement n’en appréhendait pas le contenu ou y était opposé. Avait-on besoin de la centaine de députés pour aboutir à un système de pensée unique et sans conviction ? Faut-il à présent en rajouter avec la création d’un Sénat ?
Après les honorables, a-t-on à présent besoin de vénérables sénateurs ? Pourquoi faire ? Notre démocratie au stade actuel n’a que trop faire d’un Sénat et de nouveaux roitelets dont l’entretien serait un luxe insolent pour ce peuple qui ne demande qu’à manger à sa faim.
La réforme envisagée se justifie d’autant moins dans un contexte où l’on cherche à glisser d’un système semi parlementaire, vers un système présidentiel où le président de la République verrait ses pouvoirs renforcés, encore et encore, au point d’en devenir roi.
Ce système a le désavantage de bouleverser l’équilibre des pouvoirs tels qu’aménagé par notre Constitution actuelle inspirée de celle de la Ve République en France, qui prévoit un système de balancier de sorte que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir : l’exécutif est comptable devant le législatif, et à l’inverse l’exécutif peut dissoudre le Parlement, l’institution judiciaire jouant le rôle d’arbitre entre les deux.
Ramené au contexte malien quel pourrait être valablement l’apport d’une seconde chambre au Parlement ? Elle n’apportera rien, car la mission fondamentale qui incombe au Parlement, celle de faire et voter les lois, fonction qu’il assume plutôt mal que bien, ne s’en trouverait pas améliorée par un simple accroissement d’effectif et encore une fois un doublement des charges.
Une réforme budgétivore
Le seul profit serait pour la classe politique, qui se frotterait les mains, car en plus de la manne de l’État généreusement donnée tous les ans sur des critères qui n’ont plus aucune lisibilité, car visiblement les partis politiques ne jouent pas sinon très mal leur mission de formation du citoyen et de l’opinion.
Ces partis disais-je auraient de nouveaux postes à pourvoir. Ils auraient plus de militants placés et puis après ? Qu’est-ce que les populations auraient à gagner ? Est-ce parce qu’il y aurait des sénateurs désormais que les aspirations du peuple seraient mieux traduites en proposition de loi ? Le doute est permis. Or dans le doute, vu l’état de paupérisation et de dénuement dans lequel nos populations se trouvent, il faudrait raisonnablement s’abstenir d’entreprendre cette réforme budgétivore.
Autre raison d’inquiétude en lien avec la réforme constitutionnelle envisagée, celle de la nationalité. Avec l’avant-projet de texte constitutionnel, désormais pour être candidat à l’élection présidentielle au Mali, il faut n’avoir que la nationalité malienne. Le « que » devient la trouvaille malienne.
Après l’épisode du « et » et du « ou » qui a embrasé la Côte d’Ivoire ne devrions-nous pas en tirer leçon et éviter ces travers qui ne peuvent que fragiliser notre nation qui, Dieu merci demeure encore assez forte, pour avoir résisté jusqu’à présent, en raison de son passé, de son ouverture.
Avec cet avant-projet, un Frédéric Oumar Kanouté, Malien valeureux parmi les Maliens, ne pourrait pas se présenter à l’élection présidentielle parce qu’il aurait eu la malchance d’être né à l’extérieur et d’avoir deux nationalités ! La double nationalité, rappelons le résulte de la Conférence nationale et visait à faciliter la vie à tous ces Maliens de la diaspora.
En outre les Maliens de la diaspora ne sont pas moins Malien parce qu’ils ont, pour des contingences économiques, été amenés à s’éloigner physiquement de la mère patrie, qu’ils continuent pour autant à chérir et à bâtir par leur contribution plus qu’appréciable au développement national.
Quid de Cheick Modibo Diarra qui fait la fierté de tout le continent ? Faut-il le brimer, car à un moment de son activité, il a atteint un seuil l’obligeant à accepter une nationalité autre que celle de ses origines ségoviennes ? Est-il devenu moins Malien parce qu’il a eu la malchance d’être une éminence ? Quid de ces nombreux enfants maliens nés à l’étranger ?
Comme le dirait l’autre sachons raison garder et œuvrons de sorte à renforcer l’existant et pas à le bouleverser. Notre première richesse réside dans la relative quiétude que nous autorisent la cohésion et la stabilité séculaire de notre nation. De grâce évitons d’y introduire le ver de la discorde, de la discrimination sous quelque forme.
Cet avant-projet qui ne suscite que frayeur devra être examiné avec minutie par toutes les couches, pas exclusivement les partis politiques, mais également les syndicats, les associations de toutes sortes, afin que le projet qui va en résulter reflète au mieux, l’état et les aspirations réels de notre nation.
Au lieu d’évoluer vers un régime présidentiel, qui serait une régression, il serait à notre humble avis judicieux de renforcer les bases de l’existant. Par exemple pour accentuer le fait majoritaire, il devrait clairement apparaître dans le texte une disposition qui dise que le président doit choisir le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire, disposition qui fait défaut, ce qui fait qu’aujourd’hui dans les faits nous avons un système plus présidentiel qu’autre chose.
Il y a beaucoup à dire sur cet avant-projet et l’exercice bien qu’effrayant promet d’être passionnante, tant qu’il se déroulera sans passion, ni haine et uniquement dans le sens de renforcer nos acquis pour le mieux être de chacun et de tous et non pas seulement d’un groupuscule.
Aussi tout le long de la campagne référendaire, nous nous permettrons, sans vouloir offenser personne, des sorties du genre pour contribuer à notre façon.
Civiquement vôtre !
Vive la République !
Mamadou G. Diarra
(juriste)
04 Mai 2010.