Dans un Etat digne de ce nom, on n’annonce pas officiellement le début du ramadan pour le mercredi parce que la lune n’a été aperçue nulle part au Mali, puis attendre que tout le monde dorme pour se dédire.
Je ne rentre pas dans certaines considérations parce que c’est un sujet délicat, mais je pense que l’Etat aurait dû rester sur sa déclaration et demander à ceux qui ont vu la lune au-delà des heures d’observation normales, dans un village perdu dans les confins de Mopti, de jeûner seuls. Conformément à une forte recommandation de l’islam.
Cela dit, je reviens aux événements qui, à mon avis, ont marqué l’actualité de cette semaine. Je crois qu’on peut les résumer à une question de rentrées : la rentrée parlementaire, la rentrée scolaire et la rentrée du front social.
Chacune des rentrées a donné lieu à des sorties qui resteront dans les annales des discours fondateurs pour certains et pour d’autres dans la catégorie des propos verbeux et des verbiages mémorables.
Bien entendu je commence par la rentrée parlementaire qui est toujours un événement important. Mais quand c’est la rentrée de la session du mois d’octobre, elle prend carrément des dimensions presque hors norme. En cela je trouve au moins deux raisons.
Primo, c’est la session la plus importante parce que c’est elle qui s’occupe du budget. Je ne voudrais pas enlever aux autres sessions leurs importances en termes de lois à voter, de débats cruciaux, mais ce n’est qu’en octobre que l’on parle argent.
Et quand on voit les députés assaillir à la limite du harcèlement le locataire de l’Hôtel des finances lors des séances d’explications de textes, on mesure tout le sens de la fameuse sentence qui affirme que l’argent est le nerf de la guerre.
Secundo, la session d’octobre est importante parce que c’est l’occasion du renouvellement du bureau de l’Assemblée nationale. Ce qui est effectivement un spectacle saisissant où l’on voit des amitiés détruites, des alliances malmenées, de bonnes intentions tournées en roublardises ; où l’on voit le diable partout à la faveur de détails indignes, etc.
Comme par le passé, les rumeurs sur les bouleversements au niveau du bureau ont commencé à circuler dans les coulisses de l’Assemblée et dans les colonnes de certains journaux.
Comme par le passé, on attendra de voir concrètement ce que cela renferme de vrai au moment des négociations et de la composition du bureau. Mais, ce ne sont pas pour ces raisons seulement que la session d’octobre est attendue par les observateurs.
L’un des temps forts est sans doute la rentrée elle-même qui est toujours marquée par un discours intense. Et comme à son habitude le président de l’Assemblée nationale n’a pas dérogé à la règle admise par tous qui voudrait que ces instants soient à lui, que ces instants soient pour lui, que ces instants soient une occasion de jeter un coup circulaire sur toutes les préoccupations de l’heure.
Dans un français châtié (je crois que je fais du pléonasme), IBK a flétri un certain nombre de comportements. Et à visage découvert, il a mis en garde ATT contre ses amis qui sont en train de le réduire à une situation de chef de clan. Cela m’a rappelé le fameux adage qui déclare : « Dieu préserve-moi de mes amis ».
Les situationnistes et les opportunistes de tout poil en ont eu pour leur grade. Et je suis presque sûr que ce n’est pas innocemment que IBK, s’exprimant par paraboles, a mis en garde ses collègues députés contre certaines trahisons : « tant qu’existeront des démocraties en construction, les situationnistes pousseront comme des champignons… Nous autres parlementaires constituons un terrain fertile pour ces plantes vénéneuses. Gardons-nous de succomber à leur charme ».
A-t-on besoin d’être devin pour décrypter les propos de IBK ? Je pense que non. Et ceux dans l’hémicycle qui ont commencé à brouter ces champignons dont IBK parle ont su se reconnaître.
Je ne rentrerai pas dans les détails, mais je pense qu’IBK a donné une photographie assez exacte de la situation politique actuelle dans notre pays : l’opportunisme rampant, le favoritisme éhonté, le reniement délirant et le saccage sans scrupule des partis politiques. Effectivement un tel spectacle offert par les hommes politiques n’est ni encourageant ni engageant. Parce qu’il renferme tous les ingrédients d’un dégoût prolongé de la chose politique.
Pour ce qui est de la rentrée scolaire, cette année devait nous permettre de juger sur pièce la sincérité des différents acteurs et de jauger les engagements pompeusement pris à l’aune de la réalité du terrain. Je parle bien sûr de l’accord de partenariat pour une école apaisée et performante.
Pour l’apaisement, je reste dubitatif parce que convaincu qu’il y a du feu sous la cendre. Quant à la performance, je ne demande qu’à voir et à être convaincu. Je sais que nous avons des enfants intelligents. Il convient juste de les mettre en situation.
Contrairement aux trois dernières années scolaires, cette année la rentrée s’est déroulée pour ainsi dire sur des chapeaux de roue. Après les déclarations d’ATT, appelant ses « collègues » enseignants à plus d’élégance en libérant les notes des enfants en otages, certains enseignants avaient senti la moutarde monter. Pour eux, le président parle d’un sujet qu’il connaît très peu. Et qu’ils prendraient toutes les mesures pour se faire entendre.
Mais là où le feu a pris, c’est chez les « esclaves » de l’école, qualificatifs que se sont donnés les vacataires. Ils menacent d’observer une grève les 18 et 19 octobre prochains.
La liste de leurs doléances n’est pas aussi longue que celle de l’UNTM, mais elle renferme des éléments bien précis et dont ils demandent la satisfaction totale. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, je pense que l’accord de partenariat a du plomb dans l’aile.
Cette fronde annoncée sur le front scolaire attirera certainement l’attention des autorités sur le malaise de ces « esclaves ». Me fondant sur le principe qu’il ne faut jamais parler de corde dans la maison d’un pendu, je pense que les autorités qui viennent d’essuyer une grève d’avertissement de l’UNTM, sauront comment faire.
Surtout que sur le plan de la rentrée sociale, on remarque la reprise timide des négociations entre l’UNTM et le gouvernement.
Et les propos tenus par Siaka Diakité devant les ministres n’inspirent pas à l’optimisme.
Prenant prétexte de la hausse des prix du transport, le chef de la centrale syndicale a martelé ses positions en déclarant qu’elles viennent d’être confortées par cette hausse sauvage.
Bien entendu on ne peut que lui donner raison parce que je ne peux pas comprendre que dans un Etat normal, on décide d’augmenter des tarifs qui touchent l’ensemble des Maliens sans que les autorités ne soient concertées et sans aucune conséquence.
Ce sont les consommateurs qui vont payer parce que c’est seulement maintenant que les syndicats des transporteurs parlent d’ouvrir les négociations.
Je ne terminerai pas sans dire un mot sur les déclarations pour le moins fracassantes et gênantes du président de l’Adéma Dioncounda Traoré.
Il a le plus naturellement déclaré que le soutien qu’il demande à son parti d’apporter à ATT se justifie par le fait qu’ATT est un militant de l’Adéma.
J’espère qu’ATT aura le courage d’apporter le démenti de la façon la plus officielle et la plus cinglante qu’exige la situation. Si ATT ne le fait pas, il frappe lui-même de discrédit tout ce qu’il a eu à faire depuis 1991.
Parce qu’il confirme a posteriori toutes les accusations de jeu de ping-pong entre lui et l’Adéma. Accusations portées en 1992 où l’opposition déclarait qu’il n’y avait pas eu d’élections mais une passation de pouvoir à l’Adéma.
Accusations reprises en 2002 où certains perdants ont affirmé que tout avait été organisé pour donner le pouvoir à ATT.
Si certains responsables de l’Adéma, dans leur course effrénée semblent difficiles à maîtriser dans le reniement de certaines valeurs, le président de la République se doit d’être lucide par rapport à tous les engagements pris vis-à-vis des Maliens.
Libre aux responsables de l’Adéma, faisant feu de tous bois, de le soutenir dès maintenant l’entraînant dans une campagne précoce et improductive.
Mais lui, doit garder les pieds sur terre, à défaut de les ramener à l’ordre. Et ne jamais oublier son serment de se mettre au-dessus des chapelles, même si dans la réalité le respect de ce serment ne semble pas facile.
Dioncounda n’est pas sans me rappeler l’histoire du danseur dont on parle dans le Nord. Véritable virtuose, il devait s’exhiber devant le chef de village que ses conseillers ont convaincu de ne rater le spectacle sous aucun prétexte.
Il a dansé tant et si bien qu’il a fini par chier sur le chef de village. Parabole pour parabole, celle-ci mérite méditation.
TBM
07 octobre 2005.