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Malgré les efforts des pouvoirs publics, une importante frange de migrants a du mal à réussir son intégration. D’autres, par contre, mènent de bonnes affaires. Tout le monde le sait plus ou moins. Nos compatriotes vivant à l’extérieur sont d’un apport économique très important pour le pays. Selon une étude récente de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), les investissements des migrants s’élèveraient à environ 90 milliards Fcfa annuels injectés dans l’économie nationale à travers la mise en œuvre de projets et autres initiatives de développement local en terme de réalisation d’infrastructures de base. Cette importante contribution financière ne met malheureusement pas « nos aventuriers » à l’abri de bien de désagréments une fois de retour au pays.

jpg_malien-exterieur.jpgLe témoignage de Souleymane Touré donne une idée du mal-vivre de certains nos compatriotes qui rentrent au pays. Parti en Espagne pour une ou deux saisons dans les champs d’agrumes, l’ancien marqueur-pèseur de la CMDT est à sa neuvième année consécutive en terre ibérique. Les raisons ? « Au début, je ne m’imaginais jamais passer autant d’années en Europe. Mais vous savez, toute personne qui quitte le pays est motivée par un objectif.

En 2001, le mien était de construire une maison pour ma petite famille. Malheureusement, j’ai été obligé de revoir mon ambition à la baisse, faute de moyens nécessaires », explique Souleymane Touré dit Soul.

De retour au pays, Soul peine à rebondir. Il meuble ses journées par des promenades et des parties de belote en compagnie d’amis. Comment fait-il alors pour subvenir aux besoins de sa famille ? Le « Barcelonais » vit sur ses économies des années passées en Espagne : « Comme tout Malien, je me débrouille. Quand je reviens au pays, je vis sur l’argent que j’ai pu épargner depuis l’Espagne. Mais j’ai vu à la longue que cela n’était pas la solution adaptée. Alors j’ai réfléchi ces deux dernières années comment faire pour m’en sortir. Mon premier réflexe a été d’acheter un Sotrama. Je pensais avoir pris la bonne décision. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. L’entretien du véhicule me coûte plus que je n’y gagne », s’indigne-t-il.

Un point commun.

Bourama vit presque la même situation précaire que Soul. Lui a séjourné une dizaine d’années en Libye. Refoulé l’an dernier, il passe ses journées au Grand marché. Pour gagner sa vie, Bourama monnaie ses services aux amis vendeurs d’articles divers. « D’ouvrier en Libye, je me retrouve coxeur dans mon propre pays », constate-t-il résigné. Il regrette les années où les affaires marchaient bien.

Malgré une situation financière plus ou moins stable que lui conférait alors son métier d’ébéniste, Bourama n’avait pu résister aux sirènes de l’extérieur. Pourquoi ne retourne-t-il pas à ses vieilles amours ? Impossible, non pas parce qu’il ne voulait pas. Mais simplement parce qu’il ne dispose plus de moyens pour s’équiper, dit-il, avant de laisser entendre : « De toute façon, je ne m’y retrouve plus. Pour tout vous dire, je pense que je suis complètement déconnecté du réseau ».

Contrairement à Soul et Bourama, Cheick Sylla est un privilégié. Ce Kayésien a longtemps vécu entre la France et notre pays, avant de s’installer définitivement à Bamako. Aujourd’hui, il gère une chaîne de boutiques d’alimentation dans différents quartiers de la capitale. Avec une modestie à peine voilée, il déclare : « Dieu merci, je subviens décemment à mes besoins. Je ne suis pas millionnaire, mais je ne me plains pas non plus ». « Avec mon commerce, j’ai pu réaliser mes rêves », indique-t-il, tout en montrant fièrement du doigt une grosse cylindrée garée devant sa boutique.

Les conditions de vie de ces trois hommes sont certes différentes. Mais elles présentent un point commun : celui de la dure réalité pour nos compatriotes à s’insérer dans le tissu économique une fois de retour au pays. Ainsi, ils sont nombreux aujourd’hui parmi les migrants à éprouver des difficultés à entreprendre une activité génératrice de revenus après tant d’années passées hors du pays. Les pouvoirs publics ont longtemps pris la mesure du problème de la réinsertion ou de la réintégration des migrants.

De nombreuses initiatives ont été engagées en faveur de ceux qui rentrent au bercail de gré ou forcés. Le chef du département Promotion économique et réinsertion des Maliens de l’extérieur, Mme Sy Cotiary Bah, note que la création d’un département ministériel exclusivement dédié à la cause de nos compatriotes vivant à l’extérieur du pays entre dans ce cadre. Il en est de même de la création du Centre d’information et des gestions des migrations (CIGEM) et de la signature récente d’un partenariat tripartite entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal à travers leurs centrales syndicales.

Mme Sy Cotiary Bah définit la réinsertion ou la réintégration du migrant dans la société et particulièrement dans son pays d’origine comme un processus pendant lequel ce dernier une fois rentré, remet en route des réseaux et des liens sociaux tout en engageant une activité économique.

Exemple réussi.

Il s’agit pour l’individu de créer un projet économique rentable qui lui permet d’assurer le bien-être de sa famille et celui de toute la communauté à laquelle il appartient, explique-t-elle. Ces dernières années ont été marquées par des rapatriements massifs de nos compatriotes. Ceux-ci proviennent pour la plupart de Côte d’Ivoire (avec l’éclatement de la crise en septembre 2002) et des zones de conflit comme le Liberia et la Sierra Leone qui ont occasionné le retour volontaire et forcé de plus de 50.000 individus venant d’Afrique et d’autres régions du monde.

Mme Sy Cotiary Bah distingue deux types de migrants : ceux qui ont tout perdu et ceux qui, de leur plein gré, reviennent au bercail. De son point de vue, la gestion du premier contingent pose problèmes et nécessite d’importants appuis financiers. Pour leur venir en aide, le département a privilégié le regroupement en associations. L’Association des femmes rapatriées de Côte d’Ivoire est un exemple réussi de réinsertion.

Mme Coulibaly Oumou Coulibaly est à la tête d’une centaine de femmes spécialisées dans la fabrication et la vente d’atiéké dans notre pays. Elle admet des débuts difficiles du fait de préjugés dont elles souffraient. Elles ont su surmonter ces considérations pour prospérer. L’association utilisait en un an une tonne de matière première qu’elle se procurait sur les marchés de la troisième région.

Aujourd’hui, cette même quantité est épuisée en quelques mois ! Nos « Ivoiriennes » opèrent également dans l’agriculture et la couture grâce au Projet d’appui triennal 2007-2009. Elles ont bénéficié de motopompes, de motoculteurs, de machines à coudre, de moulins. L’association exploite 4 hectares à Manicoura dans la zone Office du développement rural de Sélingué où sont installées neuf familles. A Bamako, l’association a créé un centre de couture qui a formé une trentaine de filles.

Le projet d’installation de 100 familles sur 102 hectares (projet financé par la Banque mondiale à hauteur de 1 milliard Fcfa) à travers le Programme national d’infrastructures rurales, l’octroi d’équipements agricoles, d’élevage, sont autant d’initiatives qui contribuent à l’insertion effective des migrants, se félicite Mme Sy Cotiary Bah.

L’accompagnement du département est conditionné à un certain nombre de critères : être une association ou un groupement crédible bien établi, avoir un compte en banque et mener une activité bien visible en fournissant un rapport trimestriel.

Cette approche se caractérise par un esprit d’efficacité, mais aussi et surtout de disponibilité de moyens financiers, explique Mme Sy Cotiary Bah.

Lassine Diarra

L’Essor du 02 Avril 2010.