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Traité par son bienfaiteur comme un membre de la famille, Diakité s’est livré à un acte incompréhensible.
Un bienfait n’est jamais perdu, prétend la sagesse populaire pour inciter tout un chacun à la compassion et à l’altruisme. Mais de nos jours, cette vérité est de plus en plus fréquemment battue en brèche. Il faut donc faire le bien sans nourrir la moindre illusion sur la reconnaissance que l’on vous portera. Tout comme il faut savoir qu’il peut arriver que l’on réchauffe dans son sein une vipère. De cela, Bacary Sacko peut vous en parler aussi longuement que vous le voudrez.

Cependant jusqu’au jour d’aujourd’hui, il est bien incapable de cerner précisément la personnalité et les intentions cachées de celui qu’il a accueilli comme un frère au sein de sa famille pendant neuf longs mois. Bacary n’est pas le seul à rester perplexe.

A la police de Niamakoro qui est en train de traiter cette affaire, les officiers de la P.J. se perdent en conjonctures sur ce qui a fait agir le dénommé Fousseiny Diakité. Jusqu’ici aucune hypothèse absolument satisfaisante n’a encore été formulée.

Mais reprenons l’histoire par le début. Fousseiny Diakité est arrivé depuis plus d’un an de la Côte d’Ivoire. A tous ceux qui ont bien voulu lui prêter une oreille compatissante, il laissait entendre qu’il avait dû quitter son pays d’accueil dans des circonstances dramatiques. C’est un pur hasard qui fit tomber l’immigré dans la famille de Bacary Sacko à Banankoro.

Le père de famille prit immédiatement en pitié le « fugitif » et l’installa avec la plus grande sollicitude dans sa concession. Diakité eut droit à une petite chambre personnelle et toutes les femmes de son logeur reçurent comme consigne de traiter le mieux possible ce compatriote en détresse. Les épouses de Sacko respectèrent scrupuleusement les recommandations de leur mari et rien en fait ne manquait à Diakité.

L’homme avait droit à l’eau tiède pour son bain matinal et sa place était réservée à tous les repas que prenait la famille. Il arrivait à Sacko de revenir de la ville avec des victuailles qu’il offrait à son étranger pour que ce dernier agrémente l’ordinaire des repas. Une dotation en thé et en sucre avait été également dégagée pour aider Diakité à trouver les journées moins longues.

L’hôte ne se plaignait pourtant pas de son désœuvrement. Il ne quittait pratiquement pas la concession et passait son temps à jeter les cauris pour, affirmait-il, lire l’avenir de son pays d’adoption et surveiller les affaires de sa famille d’accueil.

La famille menacée :

Sacko était persuadé que cette occupation ne suffisait pas à son invité, que ce dernier devait s’ennuyer à rester à la maison et à jouer au gardien pour toute la famille. Un beau jour, le père de famille revint de la ville avec une machine à coudre qu’il remit à Diakité. Ce don n’avait pas été fait au hasard.

Peu de temps auparavant, Diakité avait lors d’une causerie dit à son bienfaiteur qu’il exerçait le métier de tailleur lors de son séjour à Abidjan. Une petite pièce fut louée non loin de la famille afin de servir d’atelier à l' »Ivoirien« .

Diakité fit l’effort de s’y rendre pendant quelques jours pour y passer une partie de la matinée. Mais il reprit très rapidement ses vieilles habitudes. Sacko ne s’offusqua pas de cette attitude qui rendait pourtant inutile l’acquisition de la machine à coudre. Pour lui, Fousseiny qui n’avait pas une clientèle assez fournie pouvait fort bien se permettre de revenir à la maison pour bavarder avec les femmes et les enfants.

La vie continua son rythme tranquille jusqu’à vers la fin du mois de janvier. Un matin, alors que les deux hommes prenaient ensemble le petit déjeuner le joueur de cauris, Diakité annonça à Sacko qu’il avait lu la veille dans les cauris qu’un grand danger menaçait la famille et que pour le conjurer, il fallait vite s’acquitter de certains sacrifices.

Le logeur trouva cette prédication bizarre. Mais il s’exécuta, payant les objets demandés et les remit à son protégé pour que celui-ci procède aux offrandes nécessaires. Deux jours plus tard, l’Ivoirien annonça à Sacko que le danger avait été écarté et que celui-ci pouvait continuer à vivre tranquillement.

Sacko ne fit aucun commentaire sur cette affirmation et se limita à remercier son hôte pour son intercession. Le 3 février, il constata que Diakité avait reçu un visiteur inconnu dans sa chambre. Le quidam ne parlait pas très fort comme par crainte d’être entendu et lorsqu’il sortit, il s’efforça de s’éclipser sans être identifié par un membre de la famille.

Personne pourtant ne s’étonna du passage furtif de l’inconnu. Pour les habitants de la concession, le visiteur était un client venu pour une consultation auprès du jeteur des cauris.

Un hurlement de détresse :

Le 28 janvier dernier, les événements se précipitèrent. Ce jour là, Sacko était revenu de la ville très fatigué. Après le dîner, il se retira aussitôt dans sa chambre et s’endormit très vite.

Chacune de ses épouses rameuta alors ses enfants pour aller suivre l’exemple du maître de maison. La nuit était fraîche et le sommeil gagna rapidement tous les membres de la famille.

La première femme de Sacko s’était couchée sans boucler l’entrée principale de sa maison, se contentant de tirer le battant avant de rejoindre ses enfants qui s’étaient installés autour d’elle pour passer la nuit. A un moment donné, un obscur instinct la réveilla.

Elle entrouvrit les paupières pour constater que Diakité était entré dans la chambre à pas de loup. Il se dirigea vers la couche des enfants, prit le plus petit qu’il mit à califourchon sur ses épaules, empoigna un second qu’il coinça sous son bras comme un vulgaire paquet.

Ce spectacle fit frissonner la brave dame. Elle se redressa brusquement et hurla en direction de Diakité : « Que fais-tu avec mes enfants à une heure aussi tardive » ? Ce hurlement de détresse poussé à pleine voix réveilla toute la concession.

Les gens se ruèrent vers la maison de la première épouse. Le spectacle qu’ils trouvèrent était tout simplement stupéfiant. Diakité était là, debout comme pétrifié. Le moins âgé des enfants qui a trois ans était sur son cou et le second de sept ans, dans les bras.

Accablé de questions, l’homme resta plusieurs minutes sans répondre. Puis il prétendit qu’il avait l’intention de laver les deux gosses avec une potion magique qu’il venait de préparer. L’explication ne convainquit personne. Mais tout le monde décida de reporter au lendemain la mise au clair de cette étrange affaire.

Les enfants furent rendus à leur mère, mais celle-ci ne put fermer l’œil de toute la nuit. Chaque fois qu’elle était sur le point de succomber au sommeil, elle revoyait Diakité debout, en train de prendre ses gosses. La brave dame se dressait alors en sursaut et touchait un à un les enfants pour se convaincre qu’ils étaient bien là, au complet autour d’elle.

Le lendemain, les femmes se concertèrent et allèrent en délégation exiger de leur mari que celui-ci fasse sortir de la concession l’hôte devenu indésirable. Ce que fit Sacko qui ne s’arrêta pas là, puisqu’il porta plainte au 10e Arrondissement où le chef de la P.J., l’inspecteur divisionnaire Mady Dembélé (récemment médaillé) enquête aujourd’hui pour savoir que voulait faire Diakité des enfants.

Mais l’Ivoirien se cramponne vaille que vaille à sa version première : il voulait seulement laver les enfants avec une potion magique qu’il avait préparée. Pourquoi n’avoir pas tout simplement averti les parents dans ce cas là ? A cette question, le prévenu pour tentative d’enlèvement d’enfants ne parvient pas toujours pas à répondre. Sans doute le dessein qu’il nourrissait était trop affreux pour qu’il se risque à l’avouer.


G. A. DICKO

L’Essor du 07 février 2008.