«Et pour cause. La présentation de Mme Frances Turner, représentante de l’UNICEF dans notre pays, avait été des plus éloquentes et, malheureusement, des moins gratifiantes pour ce qui est des statistiques de l’éducation au Mali.
Qu’on en juge : les objectifs de l’EPT, accès à l’enseignement primaire obligatoire et gratuit de qualité et achèvement de celui-ci pour tous les enfants en 2015; élimination des disparités entre les sexes dans les enseignements primaires et secondaires en 2005 (nous y sommes !) et instauration de l’égalité dans ce domaine en 2005, en veillant notamment à assurer aux filles un accès équitable et sans restriction à une éducation de base de qualité, sont loin d’être atteints, pour ne pas dire que l’on peut même douter que nous nous en approchions au cours du siècle prochain, au train où vont les choses.
En effet, l’EPT au Mali est dans une situation d’urgence, et prétendre à un enseignement de qualité en l’état actuel un vœu pieux. Citons Mme Turner « Il faut des décisions et actions courageuses et rapides » pour mettre en œuvre les six stratégies-clés qu’elle préconise » une stratégie nationale d’urgence pour la formation continue des enseignants et le recyclage de tous les maîtres contractuels, des mesures spécifiques d’accompagnement, un partenariat élargi et multisectoriel, des plans de communication pour l’accélération de la scolarisation, des structures adéquates et responsables et un renforcement du dispositif législatif et réglementaire en faveur de l’éducation« .
Nous étions dans le plaidoyer.
Appel reçu 5 sur 5 par les députés, au premier rang desquels M.Hadji Djigandé, qui porta à la connaissance de l’auditoire l’existence du FAPED, Forum africain des parlementaires pour l’éducation, en témoignage de l’implication des élus pour la réussite de l’EPT.
S’ensuivit un grand moment, avec l’intervention très attendue du Pr. Baba Akhib Haïdara, personnalité reconnue du monde de l’éducation au Mali, ancien ministre et expert de l’UNESCO.
« L’Afrique parle d’EPT depuis l’aube des indépendances. L’on parlait alors d’enseignement primaire universel, mais ce fut un échec. Le vocabulaire a beaucoup évolué, mais les problèmes restent les mêmes « .
L’ancien professeur de physique, qui comptait de nombreux anciens élèves parmi les officiels présents dans la salle, n’a pas sa langue dans sa poche, et sa rigueur est citée en exemple par beaucoup.
« Certes, des efforts ont été faits. Mais la démographie a ses réalités, qu’il ne faut pas oublier. La formation et l’encadrement des enseignants sont le socle de la qualité de l’enseignement, mais les Programmes d’Ajustement Structurel nous ont obligés à fermer les écoles de formation des maîtres. Grâce aux remises récentes de dettes, peut-être pourrons-nous corriger cette situation« .
Comme d’autres orateurs après lui, M. Haïdara fut quelque peu nostalgique : « Sous le colonialisme, nos aînés étaient tous élèves. Les enseignants étaient professionnellement qualifiés. Cela nous a donné nos premiers dirigeants, malgré le fait colonial« .
Pour résoudre le problème récurrent de financement de l’éducation, Baba Akhib Haïdara formulera des propositions concrètes : amener les artistes à se produire en concert (avec entrée payante) lors d’une journée de l’EPT et autoriser l’Office National des Postes à émettre, pendant cinq ans, des séries spéciales de timbres dont le prix de vente sera intégralement alloué à l’éducation.
Lui emboîtant le pas, Oumar Kanouté, député et enseignant déclarera « Je suis un pur produit du système éducatif malien né de la réforme de 1962. L’exigence de qualité de l’enseignement impose de tourner le dos à la démagogie et à la complaisance. N’importe qui ne peut pas entrer dans n’importe quelle école. Il faut sélectionner les meilleurs. On parle aujourd’hui, dans le monde entier, de l’Université de Tombouctou, alors que tout le monde, ici, pense à partir étudier ailleurs. C’est dire que nous sommes les premiers à douter de notre système éducatif. Pour une éducation de qualité, il faut un encadrement de qualité. Il faut donc que ceux qui viennent dans l’enseignement soient réellement motivés« .
Le sentiment d’un retard quasi rédhibitoire était manifestement partagé par le plus grand nombre. En témoignera Me Mountaga Tall, Vice-Président de l’AN.
« Lorsque l’on parle d’analphabétisme, la sémantique semble prendre le pas sur les efforts et l’on va de report en report pour les échéances. Toutefois, rappelons-nous qu’au Mali, aujourd’hui, le savoir n’est pas nécessairement lié à l’école. Demain, cela sera-t-il vrai ? Si le savoir traditionnel n’est pas formalisé, ne va-t-il pas disparaître ? Dans un autre registre, une personne qui ne maîtrisera pas les Nouvelles Technologies ne sera-t-elle pas une néo-analphabète« .
Me Tall a fustigé la tenue de nombreux séminaires et ateliers sur divers sujets, qui sont, selon ses termes « des batailles sectorielles vaines » gourmandes en temps, en argent et en énergie. Dans les faits, tous ces sujets, selon l’orateur, ne trouveront aucune résolution en dehors de l’éducation.
S’agissant du financement de l’EPT, le ministre de l’Education Nationale, le Pr Mamadou Lamine Traoré poussera un coup de gueule en donnant quelques chiffres.
« L’Etat malien ne demande rien aux parents comme coût de l’éducation pour leur enfants. Ce sont les Associations de parents d’élèves qui fixent librement des tarifs, ce qui peut être un frein à la scolarisation. La Banque Mondiale propose de payer 200$ par trimestre pour mettre fin à ces pratiques. Si les examens sont gratuits au Mali, ils ont tout de même coûté 2 milliards de FCFA cette année. De nombreux élèves et étudiants d’autres pays africains viennent d’ailleurs les passer chez nous, pour cette raison. Il n’y a pas de miracles, il faut prendre de nombreuses mesures incitatives pour les Instituts universitaires de formations de maîtres que nous avons ouverts. Il y a eu beaucoup d’engagements abstraits. Dans les faits, il faut délivrer notre école des contraintes extrascolaires. C’est-à-dire que les partenaires techniques et financiers doivent libérer l’école malienne, en un mot, la juger sur ses résultats et ne pas lier les financements à la privatisation de la CMDT, par exemple« .
Le ministre terminera en proposant, lui aussi, une initiative concrète : le parrainage, à la rentrée prochaine, de 10 jeunes filles du monde rural par chaque député, soit 1460 nouvelles inscriptions (une élue est décédée récemment, Paix à son âme). Chaque honorable devra, en outre, s’engager à suivre ses filleules jusqu’à la 6ème année.
Une proposition qui sera défendue illico par Ibrahim Boubacar Kéïta, qui révèlera « avoir reçu une claque » lors d’un voyage au USA, en apprenant que deux des sénateurs qu’il avait rencontrés parrainaient chacun une élève malienne.
« Nous allons faire ce que nous demande le ministre et rendre compte. Les objectifs de l’EPT sont un défi pour nous tous et tout le monde doit prendre conscience de l’enjeu. Des améliorations sont indispensables. Il faut que, même face à une administration qui change, le corps enseignant reste stable. Cinquième parmi les derniers, ce n’est pas une place très reluisante ! Ce rapport révèle toutes les insuffisances de l’Afrique sub-saharienne et les nôtres propres« .
Se référant à Jules Ferry, le Président de l’AN demandera à tout un chacun d’œuvrer à mettre en œuvre les propositions formulées par les intervenants.
Cela sera-t-il suivi d’effets ? Nous en reparlerons sûrement bientôt, l’école étant à la Une très souvent, ces derniers temps.
Ramata DIAOURE
22 juillet 2005