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Du 22 au 24 juillet 2005, le Centre Polyvalent de Parana à San (450 km de Bamako) a accueilli le colloque international sur « Impacts de la Tradition orale dans les médias de proximité : contes et conteurs en radio ».

Organisée dans le cadre des manifestations du dixième anniversaire de Radio Parana (9 septembre) et placée sous l’égide d’une équipe de chercheurs constitués par le laboratoire Langues -Tradition orale de l’Université de Victor Segalen Bordeaux 2 (France) et l’Ecole doctorale en sociologie de la Communication des universités de Suisse romande (Genève, Fribourg Lausanne et Neuchâtel), cette rencontre a vu la participation d’une quinzaine de conteurs, de musicologues, d’artistes et de spécialistes de la tradition orale africaine.

Trois jours durant, les participants ont échangé sur des thèmes aussi divers que : Quels rapports entre la tradition orale et celle de l’écriture ? Comment préserver et mettre en valeur le patrimoine immatériel tels que les contes, légendes du terroir? Quelles étaient les fonctions du conte dans les communautés africaines ? Quels rôles peuvent-ils jouer aujourd’hui ? Quelles sont les portées et les influences des émissions radiophoniques de conte sur les auditeurs ? Les médias (par ex. la radio) peuvent-ils donner une nouvelle vie aux contes et à la tradition orale ?

Plusieurs exposés ont meublé les six séances du colloque. Les conteurs présents dont une femme ont émerveillé par leur pratique de l’art de raconter les déboires de souroukou naman ou les roublardises de sonzano le lièvre…

En fait, explique Alexandre Coulibaly, intervenant au colloque, conteur reconnu et très apprécié des auditeurs de Radio Parana : « le grand héros des contes, c’est l’Homme, capable du meilleur comme du pire, quelles que soient son origine et l’époque où il vit. C’est pourquoi certains de ces contes nous paraissent si étonnamment familiers, si étonnamment actuels. On peut noter que quelle que soit la nature du récit, chaque conte éclaire en effet un type de comportement individuel ou social ».

De l’avis de Pakouené François Goïta, musicologue et spécialiste de la tradition orale : « Le conte joue encore un autre rôle dans la société africaine : lorsqu’on veut reprocher à quelqu’un son comportement ou lui fait prendre conscience de certains de ses défauts, on ne le lui dit jamais directement. On passe par l’intermédiaire d’un conte ou d’un proverbe qui correspond exactement à son cas.

L’intéressé s’y reconnaît parfaitement, mais ne se vexe pas parce qu’il n’est pas nommé. Parfois, il est même le premier à en rire ». Le conte sert ainsi de moyen de communication.

Comme l’a si bien noté Suzy Platiel, ethnolinguiste et chercheur au CNRS qui a publié plusieurs travaux sur l’ethnie San du Burkina Faso, le conte constitue une « parole détournée ».

Le conte ou l’image serait aussi dans notre société africaine le meilleur moyen pour louer ou blâmer les gens sans exciter leur orgueil ni blesser leur amour propre.

Pour Etienne Koné, 56 ans, catéchiste depuis plus de 25 ans et collaborateur de Radio Parana, « Avec le conte, on apprend à écouter et à regarder les objets à plusieurs niveaux à la fois. C’est cela, en réalité, l’initiation. C’est la connaissance profonde de ce qui est enseigné à travers les choses, à travers la nature et les apparences ».

Comme un concert de Oumou sangaré

Plusieurs intervenants ont souligné que le média radio donnait une nouvelle vie au conte. En plus de se retrouver après le repas du soir devant la maison du conteur comme autrefois, on peut suivre dans sa concession ou tout en prenant le thé les contes émis par la radio. L’évolution se perçoit aussi dans le vocabulaire des conteurs.

Et pour illustrer l’impact et le regain de vigueur pour ce mode de communication Alexandre Coulibaly porte ce témoignage : « A plusieurs reprises, des tons villageois m’ont sollicité pour des soirées de contes. Les organisateurs faisaient délivrer des billets d’entrée contre paiement et imposaient un tarif pour les preneurs de son. Comme pour un concert de Oumou Sangaré »
Dans son exposé Cécile Leguy, maître de conférence à l’Université Victor Segalen – Bordeaux 2 et auteurs d’une thèse de doctorat intitulée « Le proverbe chez les Bwa du Mali.

Parole africaine en situation d’énonciation » (Karthala, 2001, 323 p.) a rappelé les enjeux du patrimoine immatériel, de sa conservation ou de sa préservation tels que défendus récemment par l’Unesco dans un document qui fera date.

Pour « tordre le coup » à certaines théories qui voudraient nier l’aspect scientifique de quelque culture, la chercheuse a relevé que l’oralité tout comme l’écriture a ses valeurs propres.

Et de signaler quelques éléments d’illustration comme l’humanisme ou l’universalité, l’immédiateté ou la relation-présence aux autres. Pour Cécile Leguy, les traditions orales ne sont pas seulement des paroles d’autrefois. Elles génèrent de l’interaction.

Elles sont sources et repères pour naviguer dans la mondialisation. Mondialisation, un terme aujourd’hui décliné sur tous les tons. C’est justement par rapport à ses enjeux pour les pays sahéliens que Alexis Dembélé, directeur du centre de communication de Parana qui vient de présenter un mémoire de DEA en sociologie de la communication aux universités de Genève-Lausanne-Fribourg-Neuchatel (Suisse), a axé son intervention au cours du colloque. En effet, le journaliste pose cette question : si l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication permet des « facilités » pour éduquer, commercer, se soigner, s’écouter…, un pays comme le Mali, sans usines d’ordinateurs, de composants électroniques ou de téléphones… a-t-il des chances d’être présent et d’être acteur dans la société de l’information, un des hauts lieux de la globalisation ?

La réponse est oui. Mais à condition que les structures, les communautés, les Maliens et Maliennes engagent et gagnent cette autre bataille : celle des contenus. Et un des meilleurs contenus est justement constitué par la culture et la tradition orale. Dont les contes, les proverbes… Ils sont du terroir.

Ils sont « universalisables »

Ce colloque international a eu grands retentissements auprès des auditeurs et partenaires dans les cercles de San, Tominian, Djenné et même aux frontières avec le Burkina Faso. Puisque Radio Parana a diffusé en live plus de six heures de débats et exposés.

On peut noter que le média radio a favorisé aussi ce dialogue entre des chercheurs et des praticiens du conte, de la culture, de la tradition orale.

Un dialogue nécessaire et prometteur en ce XXIè siècle. Car il n’y a pas de doute. Les campagnes et les villages d’Afrique regorgent de connaissances, de scientifiques qui n’ont rien à envier aux académies ou aux professeurs de Paris et de Londres.

Peut-être que les nouvelles technologies permettraient de dire et de le faire savoir dans le village planétaire.

Zufo Alexis Dembélé

06 septembre 2005.