Le ministre Amadou Touré et l’honorable Brehima Béridogo avaient des analyses opposées sur les raisons de la crise
Pour cette première plénière de la deuxième session ordinaire de l’Assemblée nationale, la question de l’école s’est retrouvée en débat entre le ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique Amadou Touré et un interpellateur en la personne de l’honorable Brehima Béridogo, député élu à Kadiolo.
Ce dernier est l’initiateur d’une question orale sur la crise de l’école malienne, crise qui a été analysée pendant une heure d’horloge, avec notamment la description des situations engendrées et l’exploration des voies de sortie. L’échange fut parfois tendu, en raison du fait que Bréhima Béridogo, professeur à la Flash (où il a côtoyé le ministre par le passé) évoluait en terrain familier.
Les deux protagonistes se sont rejoints sur le constat général de la situation actuelle et sur la nécessité d’en sortir aussi rapidement que possible. Mais ils ont divergé entièrement sur l’appréciation des responsabilités et sur la nature des réponses à apporter.
Dans la lettre au ministre qui structurait sa question orale, Bréhima Béridogo faisait le constat d’une école malade avec un manque de personnel qualifié, des années tronquées, des programmes inachevés et une baisse inquiétante du niveau des élèves et des étudiants. A partir de ce constat, l’honorable député en arrivait à la conclusion que la politique d’éducation et de formation de notre pays se trouve à présent dans une impasse caractérisée par une crise de confiance entre l’État et les partenaires de l’école.
Bréhima Béridogo dénonçait ensuite « l’improvisation, le tâtonnement, le manque de concertation et le non respect des engagements pris qui ont marqué l’action de l’État ces dernières années« . L’honorable député avait poursuivi en stigmatisant (chiffres à l’appui) la non orientation des élèves admis au DEF : 12 000 titulaires du DEF non orientés en 2005/2006 et 14 000 en 2007-2008.
Revenant à la situation actuelle, il avait fait observer qu’à moins de 10 semaines de la fin de l’année, il n’y a eu aucune évaluation dans l’enseignement secondaire, technique et professionnel.
Par conséquent, le péril d’une année blanche est bien réel. L’honorable invitait par conséquent le ministre à dire ce qu’il comptait faire pour éviter l’année blanche, et plus généralement à indiquer les mesures qu’il comptait prendre pour sortir l’école de la crise profonde et « assurer un enseignement de qualité accessible à tous les enfants du pays« .
Les effets pervers de l’ajustement : Dans sa réponse, le ministre des Enseignements secondaire supérieur et de la Recherche scientifique – qui s’était fait accompagné de sa collègue de l’Éducation de base, de l’alphabétisation et des langues nationales et de ses proches collaborateurs – a d’abord salué le député interpellateur et l’Assemblée nationale pour l’intérêt porté à la question de l’école.
« C’est la preuve, a-t-il dit, que l’éducation n’est pas considérée comme l’affaire du seul gouvernement, mais celle de nous tous et en premier le peuple à travers ses représentants« .
Le ministre a ensuite réparti ses réponses en quatre grands chapitres.
Dans le premier, Amadou Touré est revenu sur le cas des élèves titulaires du DEF non orientés. Ainsi en 2006, sur un total de 64.127 élèves susceptibles d’être orientés, exactement 11 151 ne l’ont pas été, soit 17,38 %.
L’année dernière, ce sont 14 173 titulaires qui ne l’ont pas été sur 77 649 élèves à orienter (18,28 %). En moyenne, ce sont chaque année près de 16.000 nouveaux titulaires du DEF qui s’ajoutent au chiffre de l’année précédente.
Quand on sait que l’État ne dispose que de 43 lycées (sur 210) et de 14 établissements d’enseignement technique (sur 120), on comprend la complexité du phénomène.
L’option fondamentale retenue consiste à orienter à l’horizon 2010 65 % des élèves admis au DEF dans les établissements d’enseignement secondaire.
Tout cela se fera dans les conditions d’orientation fixées par l’arrêté n°03-1613/MEN-SG du 26 juillet 2003 qui plafonne notamment l’âge des élèves « orientables » et insiste sur la notion de mérite. A cet égard, Amadou Touré a rappelé qu’il ne s’impose pas à l’État l’obligation de garantir un enseignement public pour tous au-delà du fondamental.
Cela étant, l’État s’efforce suivant des critères d’âges et de performance d’orienter dans la limite de ses capacités. Il est également proposé une possibilité de récupération des déscolarisés par le canal de l’apprentissage dans le cadre du PISE II.
Pour le deuxième volet relatif à la contractualisation de l’enseignement, le ministre a rappelé que ce phénomène résultait des effets pervers des mesures d’ajustement structurel des années 80, quand au nom de la rationalisation des dépenses l’État fut amené à réduire son train de vie.
C’est à cette époque, a-t-il rappelé, que le recrutement des fonctionnaires a considérablement diminué, même dans ce domaine sensible que constitue l’école. Les contractuels ont alors commencé à remplacer les fonctionnaires, substitution qui a été durement ressentie à l’Éducation.
Pour rétablir une situation acceptable, le PRODEC prévoit la formation de 2500 nouveaux maîtres en moyenne par an.
Amadou Touré a ensuite donné les chiffres au niveau du Secondaire où en 2006-07 on compte 1353 contractuels contre 843 fonctionnaires. Dans le Supérieur, si 90 % des enseignants sont des fonctionnaires, l’effectif total dans cet ordre est loin d’être satisfaisant.
Le ministre a conclu ce volet en indiquant que « l’utilisation des contractuels dans le système répond en ce moment à un besoin fortement ressenti dans la mesure où elle contribue à régler la question relative à l’offre d’éducation en comblant une grande partie du déficit d’enseignants« .
Pas supportable pour le budget : Le ministre a ensuite abordé la question de l’année académique à l’université qui connaît des situation différentes selon les facultés. Pour lui, ici la notion d’ouverture et de fermeture uniforme de l’année ne s’applique pas forcément.
Selon les normes du CAMES, une année universitaire est validée si elle s’étale sur au moins 25 semaines. Le calendrier peut donc être modifié dans une structure en cas de nécessité. Les autorités en charge de l’enseignement peuvent recourir à un régime spécial d’étude. Dans ce cas, le RSE met un accent particulier sur la responsabilité de chaque enseignant sur son enseignement.
Amadou Touré a ensuite admis la difficulté de la situation à la FSJP (Faculté des sciences juridiques et politiques) qui connaît un parcours difficile depuis 2007. Cependant la situation est en passe de se normaliser.
Concernant ses relations avec les partenaires sociaux de l’école, le ministre a indiqué s’être donné un principe : écouter et expliquer. C’est ainsi qu’il a pris l’initiative d’aller vers les syndicats dès sa prise de fonction afin de parvenir à des mesures permettant de sauver l’année 2007-2008. Plusieurs rencontres se sont ensuite tenues avec les syndicat sur leurs revendications.
Sur 39 points de revendication, 27 points ont reçu une réponse favorable, un point a reçu une réponse partiellement favorable et 11 n’ont pas été retenus parce que soit leur incidence financière n’est pas supportable pour le budget national, soit leur bien-fondé n’est pas évident.
Le dialogue initié par le Département s’est aussi étendu au bureau de coordination de l’Association des élèves et étudiants du Mali et aux promoteurs d’écoles privées.
Il y a eu un accord avec le SNESUP qui a permis la levée du mot d’ordre de grève, la résolution de la crise à la faculté de Médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie. L’augmentation des salaires des contractuels dans le Secondaire est à signaler.
Tous ces acquis, a reconnu le ministre, ne signifient pas qu’il n’y a plus de crise, notamment en ce qui concerne le Secondaire. Des solutions alternatives sont envisagées pour parer à un éventuel échec des négociations avec les syndicats qui ont déposé des revendications.
« Des contacts sont en cours avec d’autres partenaires pour leur éventuelle implication dans l’organisation des évaluations et des examens dans le Secondaire. Ceci, sans fermer la porte au dialogue« , a indiqué le ministre.
Deux points de blocage : Dans un dernier point, Amadou Touré a abordé les mesures visant à sortir l’école malienne de la crise.
Au nombre de celles-ci, figurent la mise en place d’un plan de carrière pour motiver les enseignants, le développement de l’offre de formation dans le Secondaire, la maîtrise de la croissance des effectifs, le renforcement des capacités formatrices en apprentissage, le développement du partenariat autour de l’enseignement technique et professionnel et la mise en œuvre d’une stratégie de communication efficace.
Il a conclu cette intervention en sollicitant l’accompagnement du parlement.
Revenant à la charge, l’honorable Bréhima Béridogo a déclaré qu’il n’était pas convaincu par les réponses du ministre.
Pour lui, concernant la non orientation des titulaires du DEF, il s’agit plus d’une mauvaise gestion du flux et des places disponibles que d’un problème de capacité. Ainsi, au surnombre qui existe dans certains établissements, on peut opposer les très faibles effectifs relevés ailleurs.
Le député a en outre porté un jugement sévère sur les écoles privées dont certaines refuseraient les inspections.
Pour ce qui est de la crise actuelle au Secondaire, l’honorable Bréhima Béridogo a pointé deux points de blocage : la levée des « obstacles juridiques » et l’octroi d’une indemnité de logement.
Avec la satisfaction du premier point, il s’agit de prendre en compte le cas des contractuels (80 % des effectifs dans le Secondaire) qui ne peuvent pas avoir des responsabilités et n’ont pas droit à la formation.
C’est là une aberration à laquelle il faut mettre fin, a jugé l’honorable député, qui n’est pas convaincu qu’une mise à la disposition des contractuels à la Fonction publique des collectivités constituerait la meilleure solution.
Pour la prime de logement, selon le député, la question aurait été sur le point d’être réglée avant le changement de gouvernement.
Une commission chargée d’étudier la question et de faire des propositions qui seront soumises au Conseil des ministres avait été mise en place. Malheureusement, a relevé l’interpellateur, cette commission a cessé de se réunir depuis le 28 septembre. Bréhima Béridogo, sur ce point précis, en a appelé au respect des engagements.
Il a ensuite dénoncé les années tronquées, le dysfonctionnement des structures universitaires, le manque de planification et d’anticipation, la crise des infrastructures.
Comme proposition de solutions, l’honorable Béridogo appelle les autorités à faire de la planification et de l’anticipation un principe de gestion de l’école, à ne pas se contenter de gérer le quotidien, à moraliser l’autorisation d’ouverture des écoles privées, à veiller au choix des hommes et à associer les partenaires sociaux aux négociations.
Dans le Secondaire, il a estimé que la cause essentielle de la crise réside dans le refus du dialogue. Pour l’université, il a invité à élaborer un plan de formation des professeurs, à la nécessité de se donner des objectifs en termes d’infrastructures universitaires, à bâtir une cité universitaire et à créer un pôle de chercheurs autour des professeurs et maîtres assistants.
Amadou Touré a vivement réagi aux positions de son interpellateur. Il a notamment réfuté les accusations portées concernant le refus de dialogue et surtout le non respect d’engagements. Le ministre a clairement indiqué qu’aucun engagement n’a été pris par la précédente équipe gouvernementale et qui est aujourd’hui rejetée par lui.
Le ministre se dit prêt à exécuter le moindre engagement dûment signé qui lui serait opposé.
A. LAM
25 Avril 2008