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Pr Mamadou Samaké, enseignant à l’USJPB : «L’urgence, c’est de renouer le dialogue avec les forces vives de la nation»

Notre pays est plongé, depuis l’élection présidentielle de 2018, dans une crise profonde. Les résultats de cette élection ont d’abord été contestés par le chef de file de l’opposition. Même si par la suite le président a été reconnu, cet élan de contestation a toujours perduré à travers le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD). La première résolution du Dialogue national inclusif (DNI), qui a été organisé en décembre 2019 à savoir l’organisation des élections législatives, est venue encore exacerber la crise.

Parce que les résultats proclamés par l’administration territoriale n’ont pas été validés comme tels par la Cour constitutionnelle. Ce qui a mis le feu aux poudres dans plusieurs localités. Il est bon de rappeler que notre pays vit un déni de démocratie depuis l’avènement de la 3è République. Puisque nous avons été incapables de mettre en place un système fondé sur le respect de la légalité républicaine.

Si on ajoute à cela la crise économique récurrente depuis l’occupation des 2/3 du territoire par des terroristes en 2012. Ce qui a même failli compromettre l’existence du pays. À cela se sont ajoutées la crise sociale, celle scolaire presque endémique plus la crise sanitaire, ça fait trop. Depuis le 5 juin 2020, des manifestations ont été organisées pour appeler à la démission du président de la République.

Nous sommes devant une situation de fait. Aujourd’hui, le pays se trouve entre les mains d’une junte qui, dans sa première déclaration, s’est engagée à très rapidement organiser une transition civile, parachevée par l’organisation d’élections générales, pour le retour du pays à une vie constitutionnelle normale. C’est vrai que la Constitution n’a pas été suspendue, mais de fait, nous ne sommes plus dans la 3è République, qui a été emportée par deux crises majeures à savoir celles du 13 avril 1997 et du 22 mars 2012. Déjà lors du DNI, j’ai intervenu pour dire qu’il aurait été bien séant d’organiser une 2è transition dans cette 3è République afin d’aboutir à une 4è qu’auraient organisé les élections générales de 2023. Je n’ai pas été entendu, mais les évènements du 18 au 19 août ont fait que l’histoire s’est accélérée.

Maintenant, la junte militaire doit très rapidement organiser la transition en prenant langue avec les forces vives de la nation afin d’abord d’adopter un acte de transition. Cet acte va déterminer les différents organes de la transition et lui donner un visage civil, opérant les réformes urgentes notamment le découpage territorial, pour pouvoir créer les circonscriptions administratives des nouvelles régions qui ont été créées. S’y ajoutent la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, la première urgence qui est la pacification du pays pour permettre que les citoyens puissent librement vaquer à leurs occupations.

Bourema Kansaye, spécialiste en criminologie et en droit pénal «Nous devrions prendre le temps pour réformer notre système politique»

Nous avons vécu une situation sociopolitique très délétère depuis quelques mois qui n’ont pas permis aux acteurs politiques de s’asseoir autour de la table et trouver une solution qui aurait permis de surmonter ce qui semblait être une crise politique assez profonde. Beaucoup d’acteurs nationaux, régionaux et internationaux se sont impliqués dans la recherche de solutions. Puisque le Mali, aujourd’hui, se trouve à la croisée des chemins parce que toute la communauté internationale est présente chez nous. Malgré toutes ces implications, nous n’avons pas pu surmonter la crise.

Malheureusement, nous nous sommes retrouvés devant une sorte d’impasse qui a conduit à des actions d’ordre militaire. Et on constate aujourd’hui qu’il y a une rupture de l’ordre constitutionnel normal. Donc, il y a un coup d’État qui a été fait. Puisque le président de la République a été contraint de démissionner, des responsables politiques ont été interpellés, l’Assemblée nationale a été dissoute.

Nous sommes dans une situation anormale du point de vue constitutionnel. Alors, il y a eu beaucoup de justifications. Et cela, revient de manière cyclique. Puisque depuis le coup d’État de 1968, on semble être dans les mêmes justifications. Le 19 novembre 1968, quand les militaires ont pris le pouvoir, ils disaient que c’était pour donner la liberté au peuple malien qui n’en avait pas. Et que c’est pour aussi demander le retour au multipartisme. Le président Modibo Keïta avait été dépeint comme étant un autocrate.

En 1991, quand il y a eu encore une prise de pouvoir suite à des contestations populaires, on faisait face encore et à nouveau aux mêmes justifications : la liberté, le multipartisme, la démocratie. Donc, on est entré dans une ère qui nous semblait être démocratique, une construction d’un État de droit, etc. Malheureusement, en 2012 encore, nous nous retrouvons dans la même situation avec pratiquement les mêmes justifications : l’incompétence du régime d’ATT qui a été incapable de faire face à la rébellion et à assurer la sécurité des Maliens ; on dénonçait pêle-mêle la corruption, la mauvaise gouvernance, etc.

Cette fois-ci encore, nous sommes retombés dans la même situation où les militaires ont pris le pouvoir. Il faut le dire, c’est un coup de force. Il n’y a rien à dire. C’est un coup d’État qui est interdit par la Constitution malienne du 25 février 1992, qui le qualifie d’ailleurs comme un crime imprescriptible contre le peuple malien. Là encore, il y a des justifications. On dit, c’est vrai, il y a la corruption, la mauvaise gouvernance, le blocage institutionnel, etc. On est dans cette situation où le Mali semble, depuis 60 ans, faire une longue marche mais sur place.

Les perspectives, à mon avis, c’est d’éviter la précipitation. Parce que j’entends dire souvent certains acteurs politiques qu’on aille vite. Qu’on organise des élections et qu’on revienne à l’ordre constitutionnel. Tout ça, c’est très bien. Le désir profond de tout démocrate est le retour à l’ordre constitutionnel normal. Mais cela doit se faire cette fois-ci de manière profonde. Il ne suffit plus de colmater des brèches et de revenir à l’ordre ancien. Parce que cela nous servira absolument à rien. Nous devrions prendre le temps pour réformer notre système politique qui ne marche pas. Il s’agit de refonder en même temps l’État malien.

On doit mettre en place des institutions fortes pour éviter qu’on se focalise à chaque fois sur des individus. Parce que quand on se focalise sur des individus, cela veut dire que les institutions qu’ils incarnent sont faibles. Dès que les institutions sont fortes, assez ancrées dans la vie politique et sociale du pays, nous allons cesser de nous focaliser sur les hommes.

La perspective véritablement, à mon avis, c’est vraiment d’éviter la précipitation. Il faut profondément réfléchir et refonder le système politique malien qui ne marche pas. On ne peut plus revenir à l’ordre ancien. Il faut un nouvel ordre. Et pour cela, il faut du temps, de la concertation.

Propos recueillis par
Aboubacar Traoré et
Oumar DIAKITÉ
L’Essor du 21 Août 2020