Le «choc» a lieu au milieu du roman, exactement au milieu, il faisait suite à la convoitise, à la conquête et à l’envoûtement d’une Safi étudiante sympathique et innocente, hélas représentative du point de jonction, donc du milieu, de deux mondes antinomiques.
Elle sera contrainte de céder ce milieu qu’elle recèle en elle pour que s’opère la magie… Dianguina «l’aïl» aux senteurs âcres, forme achevée d’une société putride rejoint Safi « l’encens », maillon faible d’une bourgeoisie établie.
Il en résulte ce feu bouleversant d’où sont issues les sociétés et les générations, ici la société du centre et de l’équitable.
Le fils de Diarra ne recherchait inconsciemment ou non qu’à établir l’équilibre perdu de l’humaine condition et même sa quête d’un idéal révolutionnaire procède de cette démarche pour que «l’ail» soit moins aigre, «l’encens» moins arrogant.
Cette architecture dessinée, l’écrivain libère son imagination, dénoue sa plume. Tout y passe : l’enquête sociologique, les croyances religieuses, la philosophie de la vie, l’histoire, la poésie du luxe, la symphonie de la misère…
C’est que Adame la romancière est l’héritière de l’autre Adame, l’historienne confirmée, l’intellectuelle, l’auteur respectée de « l’Os de la Parole », la militante des droits humains.
C’est sans doute cette dimension pluridisciplinaire qui explique le foisonnement, «la débauche» de thèmes sous jacents, les photographies d’une société gestante dont les avatars sont intimement connus : arrogance, légèreté, égoïsme, exclusion…
La description, abondante dans le roman, frappe par sa maîtrise. Des veloutes envoûtantes d’univers de paradis aux sommets du fétide, les pages jouent avec le lecteur, le métamorphosant en riche prince d’Arabie ou en cafard des égouts du destin.
Si le lexique est parfois savant, c’est pour rendre justement la finesse de situations exceptionnelles et dans ces cas la poésie ne s’accommode pas d’approximations.
Mais cette science le dispute fort judicieusement au trivial du polar et du coup le livre se laisse lire comme celui d’aventure. La mort du héros loin d’attrister était attendue, l’œuvre étant accomplie.
Il livrait un combat du genre de ceux qui réinventent les vies, c’était un duel de «titans» dont les protagonistes sortiront transfigurés.
C’est Diarra le «lion» et Cissé «l’éléphant» qui engendreront Gaoussou « l’enfant du milieu » douloureusement arraché à la matrice du destin et narguant l’avenir.
Dianguina est sanctifié, dans la mort il s’est débarrassé des senteurs avilissantes pour se vêtir des parfums de la dignité.
Pour n’avoir pas su réaliser cette osmose que lui commande l’harmonie sociale Fatim, sourde à l’appel de l’humaniste père Ballatin, succombera.
Safi a vaincu la «butte d’ordures», le destin a appris à Seyba que «rien est issu de tout». Gaoussou lui, n’a pas d’odeur, il ne sent ni «l’ail» ni « l’encens», il est l’innocence d’une vie vierge et l’éclat de la page blanche invitant à la re-création.
Les sujets, pour ce faire, ne manquent pas. Adame les a déjà ébauchés : la famille, la religion, le mariage, la polygamie, l’excision, l’exclusion, la prostitution, l’immigration, la corruption la politique, l’école …
Cette quête de l’équilibre, de la justice, de l’égalité, donc du milieu, fait de Adame Konaré un écrivain de la grandeur humaine, elle est servie par une connaissance parfaite du pays et des hommes ce qui confère à chaque personnage variété et richesse…
Adame a écrit plusieurs livres en un seul, cela aussi est un témoignage de la générosité d’une «Dame de Coeur».
SYDELL.
28 avril 2006.