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Le Haut conseil islamique du Mali revient à la charge dans ce qu’il convient d’appeler l’affaire du code des personnes et de la famille. Ainsi, ce 3 avril, soit 24 heures avant l’ouverture de la session d’avril de l’Assemblée nationale, ses responsables ont organisé un meeting au Palais de la culture. Si la contribution pour la construction du siège de l’institution religieuse était officiellement le principal point inscrit à l’ordre du jour, c’est le très controversé Projet de code qui a ravi en revanche la vedette.

Si les choses ne se passent pas comme Mahmoud Dicko et ses compagnons veulent, ils promettent de rendre le pays  »ingouvernable ». Ils veulent ainsi que le président de la République, Amadou Toumani Touré, adopte le code avant la fin de son mandat.  »Les musulmans veulent être une majorité qui compte ».

De mises sévères en garde ont été proférées à l’endroit des chancelleries occidentales. Simples rappels de positions de principe ou surenchères ? Le message est clair pour tout le monde.

Car, comme on nous a habitués dans ce pays, on ne peut plus prendre de telles menaces à la légère. Faisons économie de certains propos tenus au Palais de la culture mais replaçons les choses dans leur contexte.

À l’heure où nous sommes, le Mali n’a pas besoin de propos qui allument la haine religieuse. Autant les autorités doivent faire preuve de justice, d’égalité et d’impartialité, de plus de sens de responsabilité, autant les leaders du Haut conseil islamique doivent faire preuve de pondération et d’amener la sérénité dans leurs rangs par des explications claires et précises.

Une loi est d’ordre général et impersonnel. En ce sens qu’elle n’est pas initiée pour être appliquée à une communauté distincte. S’il est adopté, le code va s’appliquer à tous les Maliens sans distinction de race, de sexe et de religion.

Vouloir recourir à la violence pour rendre le pays ingouvernable si le code n’est pas adopté avec les préceptes islamiques dans un pays laïc est un pas que Mahmoud Dicko et ses ouailles devraient se garder de franchir. Qui complote contre la République ? La religion doit être séparée de l’État. Tout comme les pouvoirs sont séparés dans une démocratie.

Nous ne nous laisserons pas entraîner inutilement dans un cycle de violences, dont personne ne maîtrise l’issue. Que ceux que les  »intégrisants » encouragent dans leurs excès se le tiennent pour dit.

Que par laxisme pour ne pas dire par lâcheté, les responsables qui laissent la chienlit s’installer au grand dam de tous se le tiennent également pour dit. Le Mali, jusqu’à preuve du contraire, est une République – la chose de tous, par tous et pour tous- qui fonctionne suivant des valeurs.

Or l’intégrisme, intolérant dans son essence et incompatible avec les valeurs universelles, rampe dangereusement sous nos pieds. Il suffit de prêter attention à ces signes ostentatoires qui se multiplient dans notre environnement. Dans tous les cas, on a beau bluffer, on ne pourrait nier que la foi n’est pas un mot à scander urbi et orbi, c’est plutôt un comportement. Comprenne qui veut.

En ce qui les concerne, les autorités qui manquent cruellement de sens d’anticipation doivent faire ce qu’elles peuvent pour sauvegarder les fondements de la république.

Et les leaders du Haut conseil, dont la légitimité a toujours été contestée, doivent mesurer leurs responsabilités face à l’histoire. Le code ne se mange pas. Aujourd’hui, les Maliens ont besoin de manger à leur faim, de l’eau potable, d’une école performante et apaisée… Toute autre chose n’est que pure diversion.

Par Chiaka Doumbia

L’e Challenger du 09 Avril 2010.

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Code de la famille : ATT, les islamiques et l’opinion

Le code de la famille n’a pas fini de faire parler de lui et de donner des nuits blanches au président ATT. Il a cru pouvoir faire jouer la montre et faire oublier les islamistes, mais ceux-ci lui font comprendre que la récréation est finie.

Face à des démonstrations de force des islamistes, ATT a retiré le code déjà voté et l’a envoyé en seconde lecture. « J’ai été seul face aux islamistes », a-t-il dit après, avec amertume, accusant presque son premier cercle d’avoir refusé d’aller au charbon, d’avoir esquivé les coups, le laissant tout prendre jusqu’à ceux controversés du prêcheur Bandiougou.

ATT, comme à son habitude, a cru que « renvoyer en seconde lecture » était suffisant pour faire oublier le code et refiler ainsi cette patate chaude au prochain locataire de Koulouba. C’était également une manière de le faire entrer dans l’oubli. Seulement, les islamistes ne l’entendent pas de cette oreille et veulent de lui une position claire et définitive.

Cette question du code des personnes et de la famille n’est pas nouvelle. Alpha, en son temps, avait fait le texte, procédé par l’intermédiaire de son Premier ministre d’alors, IBK, à des consultations. Il avait obtenu l’aval de presque tout le monde, mais avait finalement préféré différer le dépôt devant les députés. Personnellement, Alpha s’était abstenu de rencontrer un camp, une confession ou une corporation à ce sujet.

Comme un serpent de mer, la question revient, réchauffée par ATT. Le fait est quand même insolite et dénote de l’amateurisme de ceux qui nous dirigent : un président en exercice, disposant des moyens que l’on sait, ayant une armée de communicants et autres « experts » en communication, créant ou contrôlant à souhait des organes de presse, mais toujours incapables de conjurer les crises, de les gérer, de développer une communication de crise, de botter à la touche ou simplement de trouver des fusibles.

Ainsi, on a vu ATT seul et sans défense quand il s’est agi de sa bourde de « Bè bi ba bolo » ; « ATTcratie », le code, sa calamiteuse gestion de la question du Nord, de « Air Cocaïne », des otages, de l’insécurité… Malgré ses moyens et sa cour, il se trouve toujours seul face aux crises, seul et sans défense.

L’autre enseignement que l’on peut tirer de cette nouvelle « crise du code », c’est que les islamistes se sont montrés plus aptes à manier les moyens de propagande et d’intox que tout l’appareil d’État : lors des meetings, on se sert de tous les arguments qui ne sont pas dans le code, sans pour autant que cela suscite des réactions dans le camp d’en face.

Il est donc possible de faire une autre lecture à ce niveau : pour 2012, les islamistes veulent que l’on compte avec eux. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la majorité de la population, qui ne sait rien du code, épouse à 100 % la thèse et la version donnée par les organisateurs des meetings. On a vu des gens pleurer et appeler la géhenne sur nos têtes, car on leur a tenu des propos que même avec une loupe on ne trouverait pas dans le code.

Dans un contexte où personne n’ose leur porter publiquement et ouvertement la contradiction, encore moins rectifier ce qu’ils disent c’est un boulevard qui est ouvert aux contradicteurs du code. Pis, quand il s’est agi des « fatwas », on a vu le président du plus grand parti politique au Mali presque dans la clandestinité.

C’est déjà certain que les islamistes ne laisseront pas de répit à ATT et ne le laisseront que lorsqu’il aura fait voter son code. De l’autre, c’est une gageure, dans la mesure où, les députés ont voté « contraints et forcés », ont pris tous les coups après, sans « reconnaissance et sans compassion » de la part de « celui-là même qui a fait le forcing » pour que la loi soit votée.

Si les choses restent en l’état et si le régime leur laisse le terrain de l’opinion et la direction des opérations, il ne serait pas surprenant de les voir pousser plus loin.
En tout cas, plus rien ne sera comme avant.

Alexis Kalambry

Les Échos du 09 Avril 2010.