Quelle est votre opinion sur le Code avorté de la famille ?
Je pense que ce code, pour l’essentiel, a constitué une grande avancée démocratique dans le pays. J’avoue qu’à lire et à relire ce code, Je ne comprends toujours pas la levée de boucliers entraînée par le vote de ce code. J’ai cherché en vain en quoi, dans son essence, le code était anti-islamique ou anti-religieux puisque le code laisse le choix à tous les citoyens maliens de choisir leur régime de mariage, leur mode d’héritage.
Concernant l’âge du mariage de la jeune fille, je crois que les députés ont eu raison de le fixer à 18 ans et cela, pour deux raisons. La première raison est biologique. Il ne suffit pas pour une jeune fille d’avoir vu ses règles pour être libre physiologiquement pour la conception. Les fistules vagico-vaginales et recto-vaginales peuvent s’expliquer, entre autres, par l’immaturité anatomique des femmes. Il est normal que si les progrès de la connaissance permettent de prévenir certaines maladies, la société prenne en compte ces progrès. La seconde raison peut être politique puisque nous avons inscrit dans notre Constitution que l’école est gratuite et obligatoire au moins jusqu’à 18 ans, que la majorité civile est de 18 ans, que la responsabilité commence à 18 ans, âge où la fille comme le garçon acquiert le droit de vote.
A propos du mariage, je ne crois pas honnêtement que le peu que j’ai lu dans le Coran et dans le Hadith aille à l’encontre des dispositions du code. Je ne vois en quoi le fait de mentionner dans la loi que le mariage de la jeune fille ne doit se faire qu’à partir de 18 ans irait à l’encontre de la loi coranique.
Le dernier exemple que je donne, c’est la mise en garde contre l’endogamie forte, à travers l’interdiction du mariage entre la nièce et l’oncle. Dans le Coran aussi, le mariage entre l’oncle la nièce est interdit. Il est vrai que notre culture traditionnelle admet dans beaucoup de localités le mariage entre l’oncle et la nièce mais il est vrai aussi que ce mariage se fait entre l’oncle et une nièce éloignée. En tant que médecin, quand j’ai lu cela dans le Coran, j’ai estimé que le créateur a voulu protéger ses créatures contre beaucoup des maladies génétiques.
La maladie génétique la plus connue au Mali est l’anomalie du globule rouge qui entraîne la drépanocytose. Comment peut-on aujourd’hui prévenir cette maladie ? C’est en cherchant à connaître le statut des sujets sur le plan hémoglobinique. On sait aujourd’hui que quand le garçon est porteur d’une certaine tare, qui est l’homo globule S, et la fille porteuse de la même tare, il y a 25% de chances pour que leurs enfants soient gravement malades, 50% pour que leurs enfants soient porteurs de la même tare et 25% de chances seulement pour que leurs enfants soient sains. Les enfants (filles ou garçons) de la même fratrie ont des chances de porter ces tares et si l’oncle et la nièce, la tante et le neveu se marient, le risque de transmission génétique est plus grand que lorsqu’il s’agit d’individus n’ayant pas la même lignée.On me répondra qu’il y a des hommes qui ne sont pas de la même famille mais qui ont les mêmes tares: la solution serait qu’aucun mariage ne soit célébré avant que le Maire n’exige la formule hémoglobinique des futurs mariés. Cela constituera la solution radicale mais on peut s’efforcer de limiter les risques en interdisant les mariages endogamiques. Les députés ont voulu prévenir un certain nombre de pathologies après les conseils reçus des personnes -ressources.
En résumé, je n’ai pas compris la levée du boucliers contre ce code. Il est heureux que le président ATT ait jugé utile d’obliger la nation à une réflexion encore plus poussée. J’ai bon espoir que les frères du Haut Conseil Islamique n’ont pas pour ambition d’instaurer au Mali un régime islamique, la Charia, tant il est vrai que le Mali est un pays pluri-confessionnel.Quand bien même l’islam serait majoritaire à 95%, il faudrait fondamentalement, dans une République laïque, respecter la minorité de 5%.
J’estime que les acteurs du 26 mars doivent veiller scrupuleusement à ce que ce pays soit un pays laïc, un pays social. Ces deux caractères importants doivent être sauvegardés. Ils ne doivent l’objet d’aucune révision. Nous devons désormais prendre des lois pour dire que tout Président qui initie une modification de la loi fondamentale ne doit jamais bénéficier des nouvelles dispositions qu’il a introduites dans la Constitution. Je dis cela parce que la loi portant Code de la famille et des personnes a tenu à respecter la Constitution du 25 février 1992. Je crois que c’est le vrai problème auquel étaient confrontés les députés: comment respecter la diversité confessionnelle du pays, comment respecter le caractère laïc et social de notre République et, en même temps, comment tenir compte des avancées scientifiques dans la formulation de la loi ?
L’essentiel du Code sur le mariage mérite d’être soutenu par les démocrates, les républicains et les hommes de progrès. Je ne dis pas qu’il ne faille pas modifier ce qu’on peut pour obtenir l’adhésion large de tous les citoyens du pays, mais la recherche de cette adhésion large ne doit jamais entraîner le peuple malien à brimer les minorités, de quelque nature que soient ces minorités.
Que pensez-vous de la révision Constitutionnelle en cours?
L’ensemble du Mouvement démocratique se doit de faire en sorte qu’ATT quitte le pouvoir en 2012 et qu’on le retienne comme un homme qui a marqué l’histoire de ce pays par les réalisations et le respect dans les engagements qu’il prend. Après avoir respecté l’engagement de terminer au plus vite la Transition, il s’apprête à respecter la Constitution du 25 février 1992, Constitution qui, selon moi, honnêtement, ne doit pas être modifié durant les quelques mois qui lui restent à diriger le pays. Je pense que ces modifications doivent être mûrement réfléchies et ne doivent jamais donner à penser qu’il y a des intentions cachées quelque part. Il faut toujours, pour de telles modifications, que le peuple malien lui-même en sente la nécessité. Pour avoir été pendant 10 ans à la tête de l’Assemblée Nationale, je n’ai pas encore perçu de grands obstacles au fonctionnement des institutions liés à cette Constitution. Certes, il y a des adaptations utiles comme, par exemple, la création d’une Cour de Comptes ainsi que cela existe dans la sous-région mais on peut parfaitement faire comprendre à l’UEMOA, qui souhaite cette Cour des Comptes, que la Section des Comptes de la Cour Suprême au Mali joue le même rôle jusqu’au jour où on aura à modifier l’ensemble de la Constitution.
Alpha Oumar Konaré avait initié la révision de cette Constitution en faisant des concertations régionales puis une Table ronde. Après ces concertations dans tout le pays, le gouvernement a pris le projet issu de la table ronde, l’a envoyé à l’Assemblée Nationale qui l’a étudié pendant 3 mois et a fini par voter le projet de révision de Constitution à la majorité requise des trois quarts des députés. Malgré tout, le président Alpha Oumar Konaré a eu la sagesse de dire que ce n’était pas la peine de soumettre cette Constitution votée par l’Assemblée Nationale à referendum.
Je pense qu’ATT gagnerait beaucoup en prestige à sortir de cette voie où on l’a engagé et qui est source de suspicions de toutes sortes. Qu’il fasse comme son prédécesseur, maître et professeur Alpha Oumar Konaré et qu’il termine, dans la mesure du possible, les chantiers déjà en place mais en sachant qu’aucun homme n’a fini tous ses projets dans la vie! Il faut toujours laisser aux générations futures ce qu’il reste à faire.
Pensez-vous que l’ADEMA pourra éviter la désunion lors de la désignation de son candidat à la présidentielle de 2012 ?
L’unité de l’Adema a résisté au choix des candidats à la présidence de sa jeunesse, à la présidence de l’Union des femmes, à la présidence de l’Association des Municipalités du Mali. J’espère que ce parti organisera avec sérénité, avec le sens de la responsabilité, le choix de son candidat à la présidentielle de 2012 et que tous les candidats à la candidature qui n’auront pas été élus par le peuple du parti Adema s’aligne ront derrière le candidat choisi. Les camarades doivent retenir la leçon de 2002. Le fait de n’avoir pas procédé ainsi les a conduits au rôle de simple accompagnateur du pouvoir avec les portions congrues pour les postes de ministres, de directeurs d’entreprises et de services, d’ambassadeurs du pays. Si l’ADEMA PASJ a retenu cette grande leçon et si ses dirigeants préfèrent réellement exercer eux-mêmes le pouvoir pour mettre en œuvre les grandes ambitions que le parti a toujours nourries pour le pays, pour les populations, pour la sous-région et la région, pour tout le continent africain, alors les candidats qui n’auront pas eu la chance d’être retenus par leur parti soutiendront le candidat choisi pour la reconquête du pouvoir prônée par toutes les instances du parti depuis 2002, et surtout depuis 2007.
Où en est la fusion du parti ADEMA avec le PARENA de Tiébilé Dramé?
Concernant cette question, les réflexions et les rencontres continuent. Ces deux partis sont tous issus, pour l’ossature, d’un même parti clandestin: « Le Parti Malien du Travail ». Chacune de ces deux formations politiques s’est enrichie d’apports venus de divers horizons mais ils doivent, s’ils sont fidèles aux principes fondamentaux de leurs congrès constitutifs, trouver les voies et moyens de se retrouver ensemble pour bâtir un Mali nouveau.
Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement actuel de l’Assemblée Nationale ?
Après avoir passé 10 ans à la tête de l’Assemblée Nationale, il faudrait, au minimum, voir fonctionner cette assemblée encore pendant 10 ans avant de pouvoir porter une appréciation solide et crédible sur son fonctionnement. L’évaluation du fonctionnement des institutions doit être débarrassée de toute subjectivité. La comparaison ne serait pas du tout aisée dans la mesure où les hommes qui ont dirigé ou fait fonctionner le parlement de 1992 à 2002, bien que restés fondamentalement les mêmes, ont agi dans des contextes très différents.
La Rédaction
Le Procès- Verbal du 20 Septembre 2010.