Saura-t-on enfin la vérité sur les circonstances de la mort du premier président du Mali ? Le procès qui s’ouvre le 2 novembre prochain risque d’être l’occasion de faire de grands déballages. En tout cas, Amadou Seydou Traoré dit Djicoroni a déclaré qu’il détient les preuves.
Concernant le procès l’opposant aux héritiers de feu Faran Samaké, prévu le 2 novembre prochain au tribunal de la commune III du district de Bamako, Amadou Seydou Traoré dit Djicoroni nous a fait savoir, hier, à Ouolofobougou Bolibana, qu’il avait des devoirs de réserve, notamment à l’égard de la presse, puisque l’affaire est en justice. Malgré tout, il a soutenu : ‘’ je détiens toutes les preuves de mes affirmations, concernant la mort de feu Modibo Kéita. ‘’ Il s’est d’ailleurs étonné qu’après plus de 33 ans, on l’attaque pour des propos qu’il avait plusieurs fois tenus, notamment à l’occasion des débats et qui sont, d’ailleurs, a-t-il ajouté, sur l’Internet. ‘’ On tente de m’humilier ‘’, a indiqué Amadou Traoré.
Pour sauver son honneur, a-t-il affirmé, il est prêt à dévoiler toutes ses preuves, le jour du procès. Ce n’est pas à 82 ans, a-t-il soutenu, qu’il allait revenir sur des propos qu’il juge véridiques. Ce serait insensé, a-t-il fait remarquer. Amadou Traoré a souligné qu’après les évènements du 26 mars, des proches de feu Modibo Kéita, à qui on avait interdit de se tenir devant la tombe de l’ancien président, n’ont pas, contre cela, intenté des actions en justice et, au contraire, ont gardé toute leur sérénité.
Comportement, a dit Seydou Djicoroni que lui et ses partisans ont d’ailleurs toujours observé pour l’apaisement général de la situation. Djicoroni est donc surpris aujourd’hui, a-il affirmé, de l’attitude des héritiers de Faran Samaké contre des déclarations connues, car, faites à maintes reprises et depuis longtemps. Il l’a donc assimilé à une volonté de nuire. C’est à ce titre qu’il réagit en déclarant qu’il a fait l’objet d’une diffamation de la part de ceux qui, aussi, l’ont attaqué pour diffamation.
Il convient de signaler qu’une vingtaine d’avocats s’est constituée pour défendre sa cause. Au demeurant, lors de sa dernière conférence de presse, le président de l’UM-RDA- Faso Jigui, Moussa Bocar Diarra avait indiqué :‘’Ce que je voudrais dire, c’est de rappeler les principes. Nous sommes les héritiers de Modibo Kéita, de l’US-RDA et de tous les hommes qui nous ont accompagnés. Modibo Kéita a été destitué, tout le monde le sait. Il est mort en prison. Le moins qu’on puisse dire est que sa mort s’est passée dans des situations douteuses.
C’est le devoir de tout militant de l’US-RDA et de tout bon Malien de chercher à le clarifier proprement. Si Amadou Djicoroni l’a dit, tous les combats qui concernent la réhabilitation de Modibo Kéita, le RDA est au milieu de tous ces combats. Le combat de Amadou Djicoroni par rapport à Modibo Kéita, nous sommes avec lui, nous sommes à l’avant garde de ce combat.
L’US-RDA est à l’avant-garde de tous les combats qui réhabilitent Modibo Kéita, qui font avancer le Mali, qui font apparaître la vérité dans sa plénitude. Notre parti est solidaire de Amadou Djicoroni qui a assumé des fonctions importantes dans le parti et qui continue de se battre avec les moyens qu’il a pour faire connaître Modibo, l’US-RDA et le Mali. Si dans ce combat, il a des difficultés, nous sommes engagés pour connaître la vérité, les circonstances réelles dans lesquelles il est décédé.
Le moins qu’on puisse dire est que c’est dans des circonstances quand même douteuses. ‘’ Hier, nous nous sommes rendus à la Polyclinique Dr Faran Samaké, sise à l’ACI 2000, où, nous a-t-on dit, la fille de feu Faran Samaké, travaille. A notre arrivée à 15 heures 25 mn, un homme en blouse blanche, nous a effectivement dit qu’elle travaillait dans la clinique.
Après l’avoir recherchée dans les salles, il nous a dit qu’elle venait juste de sortir. Il n’a pas voulu nous donner le numéro de téléphone de la fille de feu Faran Samaké, malgré notre insistance. Il a toutefois noté notre numéro de téléphone portable en nous indiquant qu’il allait l’appeler pour lui demander de nous joindre. Jusqu’à notre heure de ‘’bouclage ‘’, hier, nous n’avons reçu aucun coup de téléphone de sa part.
Baba Dembélé
Le Républicain du 29 Octobre 2010.
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Procès contre Amadou Djicoroni :La réécriture de l’Histoire du Mali en marche
Tout ce que nous craignions commence à se réaliser : la réécriture est en marche. La famille du Dr. Faran Samaké porte plainte contre Amadou Djicoroni pour diffamation.
Au cours d’une conférence qu’il a animée à Nara le 8 juillet dernier à l’occasion des festivités du cinquantenaire sur le parcours du président Modibo Kéita, Amadou Djikoroni a repris ce qui n’a jamais été démenti : “la thèse de la mort de Modibo Kéita est claire. C’est un empoisonnement par injection, sur une ordonnance prescrite par le Dr. Faran Samaké…”
En réaction, Tiécoro Diakité, “ami de la famille Samaké”, et les héritiers de feu Dr. Faran Samaké, ont décidé d’ester en justice contre Amadou Djicoroni, un ex-compagnon de Modibo Kéita pour “calomnie” de la mémoire de feu Dr. Faran Samaké.
Depuis un certain temps, des militaires, contemporains des putschistes, ont écrit sur les conditions d’arrestation, de détention et de mort du premier président de la République, le père de notre indépendance, Modibo Kéita. Dans cet épisode douloureux de notre pays, malgré les ouvrages qui ont été produits, il reste des zones d’ombre, des débats refoulés, des non-dits…
Mais, parmi les constances : le rôle de Dr. Faran Samaké. Aussi bien “Ma vie de soldat” du capitaine Soungalo Samaké et, surtout de “Transferts définitifs” du colonel Assimi Dembélé qui, évoquent la mort de Modibo Kéita et le suicide de Dr. Faran Samaké, font un lien du genre que le Dr. s’est suicidé de peur que Tiécoro Bakayoko, qui devait passer au procès (en 1978), ne parle. Il y a le livre de Soungalo Samaké qui est une mine en la matière, puisqu’il donne des détails clairs. Morceaux choisis :
De quoi est mort Modibo Kéita ? Le mystère.
” Ma vie de soldat”, un livre édité en 2007 par le geôlier de Modibo, le capitaine Soungalo Samaké, sous les presses de la “Ruche aux livres”, est à ce jour l’un des rares témoignages sur la détention et la mort de Modibo Kéita.
” Un jour, le soldat qui lui apportait ses repas est venu précipitamment me voir pour dire que Modibo était tombé au pied de son lit. J’ai couru, pour aller dans sa cellule. Il bavait. Je l’ai pris ; j’ai dit au soldat : aide-moi. Nous l’avons couché dans son lit. J’ai pris une serviette pour essuyer la bave. Je lui ai posé la question : qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu as ? Il voulait parler, mais le son ne sortait pas. J’ai fait appeler l’infirmier major et je lui ai posé la question : Modibo a-t-il été soigné ce matin ?
Oui.
A quelle heure ?
A dix heures.
Qui a fait la prescription ?
C’est le Dr. Faran Samaké.
Qui a fait le traitement ?
C’est moi”.
Le capitaine Soungalo Samaké, parti rapidement au domicile de Dr. Faran Samaké au Point G, lui pose les mêmes questions concernant les traitements administrés à son détenu. Le Dr. reconnaît avoir vu Modibo le même jour. Sur demande du capitaine, ils partent ensemble au camp, au chevet de Modibo.
Vu que son état s’empirait, le Dr. Faran Samaké a recommandé son évacuation sur Gabriel Touré. Mais l’autorisation du président Moussa Traoré devait être recueillie. Le président Modibo décède entre-temps dans sa cellule, la tête sur les jambes de son geôlier, qui était retourné à son chevet.
Toujours dans les témoignages du capitaine Soungalo, le président de la République, Moussa Traoré fut informé ainsi que des membres du CMLN (Tiécoro Bagayoko, directeur des services de sécurité et Kissima Doukara, ministre de la Défense).
Ses funérailles ont été l’occasion d’une mobilisation populaire de parents, d’amis et d’étudiants. Une mobilisation sanctionnée par la répression militaire, car le régime en place se sentait défié.
Ces détails n’avaient ému ni famille ni ami de Faran Samaké, puisque, depuis personne ne les a entendus se plaindre ou vouloir donner la bonne version. Amadou Djicoroni qui n’a rien dit à Nara de nouveau, apparaît comme un bouc émissaire, et le procès comme un objet de chantage qui est exhibé par la famille et l’ami de Dr. Faran Samaké pour botter en touche, empêcher le débat sur ce qui s’est passé.
L’UM-RDA, lors de la présentation de son rapport de colloque, a soutenu Amadou Djicoroni par la voix de Bocar Moussa Diarra, son président : “le président Modibo Kéita a été assassiné. C’est le vocable du parti. Il est mort en prison dans des circonstances douteuses. Tout militant et tout bon Malien doit chercher à le clarifier proprement. Le combat d’Amadou Djicoroni Traoré est le nôtre, à l’avant-garde de la manifestation de la vérité dans sa plénitude. Nous sommes solidaires d’Amadou Djicoroni, engagés pour connaître la vérité. Nous le manifesterons le moment venu”. Cela ne suffit pas : il a été dit que le testament de l’ancien président existe. A l’UM-RDA d’exiger sa recherche et le rendre public pour l’Histoire, pour le Mali.
Il apparaît que Modibo Kéita a reçu des injections de Dr. Faran Samaké, s’il n’a pas contribué à son assassinat, qu’est-ce qu’il lui injectait ? Pourquoi Dr. Faran Samaké s’est-il suicidé ? Pourquoi juste avant le procès de Tiécoro Bakayoko ? Pourquoi, depuis tout le temps que le Dr. Faran Samaké est accusé d’assassinat sur la personne du président, c’est seulement maintenant que la famille réagît ?
Au moment où le général ATT, témoin de cet épisode funeste de notre pays, parle de réconciliation, ce procès qui va à contre-courant sera pourtant une bonne occasion de mettre sur le tapis toutes les abominations du régime GMT, les assassinats, les brimades de leaders politiques ou de simples citoyens comme Abdoul Karim Camara dit Cabral.
Même si le témoignage de GMT n’a pas de valeur juridique, il devrait parler : c’est lui qui a fait arrêter Modibo, l’a fait condamner et est comptable de sa mort. Il est vivant et dans les bonnes grâces d’ATT.
A moins que dans l’entendement du président ATT réconciliation ne rime pas avec réhabilitation de GMT, il lui revient de faire en sorte que le procès contre Amadou Djicoroni qu’on veut juste passer en bouc émissaire, soit vraiment l’occasion de faire connaître aux Maliens la vérité.
Alexis Kalambry
Les Echos du 29 Octobre 2010.