«Une jeunesse sans avenir est une bombe à retardement» ! Cette vérité du président Amadou Toumani Touré dénote d’une prise de conscience de la nécessité pour les dirigeants africains de réellement s’occuper des jeunes.
Une analyse partagée par la France. «La jeunesse africaine est un potentiel gigantesque. Cela peut aussi être une menace considérable si cette jeunesse-là n’a d’autre horizon que l’enrôlement dans une rébellion ou l’endoctrinement radical. Il est donc impératif de lui donner des perspectives», affirmait Philippe Douste-Blazy, le ministre français des Affaires étrangères, au quotidien Le Parisien en août 2005. C’était pour justifier le thème de ce 23è Sommet Afrique-France
Un diagnostic conforme à l’analyse de son président, Jacques Chirac. «Aujourd’hui, chacun le sait, près des deux tiers de la population africaine ont moins de 25 ans. C’est un défi démographique majeur. Dans un monde où les solidarités traditionnelles s’effacent devant l’urbanisation, un monde marqué par la circulation instantanée de l’information, rien ne serait plus dangereux que de laisser les jeunes africains sur le bord de la route. S’ils devaient prendre la voie sans issue de la contestation violente ou des idéologies extrémistes, l’Afrique serait en grand péril et le monde en danger certain de déséquilibre», a souligné «l’avocat inlassable» de l’Afrique devant ses pairs.
Dire que l’Afrique est malade de sa jeunesse est une redondance dont les jeunes se passeraient volontiers aujourd’hui. Et elle ne retrouve plus dans les modèles politiques et socioéconomiques prônées par ses dirigeants et certains partenaires au développement comme les institutions financières internationales.
«Fer de lance de tout peuple civilisé, la jeunesse en Afrique est généralement absente dans la prise de décisions et des grands débats de développement. Il n’est fait allusion à la jeunesse que lorsqu’il est question d’émeutes, d’incendies, de conflits armés, d’abus de stupéfiants, de chômage, de pédophilie, de Sida…», a souligné Mlle Marie Tamoifo Nkom, porte-parole de ses camarades. Pis, «nous avons été longtemps réprimés dans nos aspirations politiques et dans l’expression de nos attentes», a ajouté la Camerounaise.
N’empêche que, «nous nous sommes malgré tout, imposés comme acteurs décisifs des transformations sociales et politiques de notre continent», précise-t-elle. Un sursaut d’orgueil qui n’est guère surprenant parce que, malgré ses difficultés existentielles, les jeunes du continent se sont toujours référés à «la jeunesse africaine d’antan, celle qui s’est battue pour la libération de l’Afrique et également celle qui continue à se battre pour son développement».
Et aujourd’hui, «nous nous réclamons de vos 20 ans, vous qui présidez aujourd’hui au destin de nos pays et qui oubliez souvent que vous avez rêvé, rêvé comme Patrice Lumumba, Modibo Kéita, Nkrumah, Nasser, Bourguiba, Négus Haïlé Sélassié, Amilcar Cabral, Agostinho Neto, Houphouët Boigny, Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela, Cheick Modibo Diarra et tant d’autres». Et comme ces dignes fils du continent, les 2/3 de la population africaine qui ont moins de 25 ans sont déterminés à se battre contre les injustices parce qu’ils rêvent «d’une meilleure place pour nos pays sur l’échiquier mondial.
Les exigences du temps
Comme l’a souligné le président Oumar Bongo Odimba du Gabon, la présence massive des dirigeants africains à Bamako découle de leur réelle volonté à promouvoir l’épanouissement de la jeunesse.
Il est vrai qu’on ne peut pas leur imputer l’entière responsabilité des problèmes des jeunes du continent qui aussi en partie liés aux difficultés de développement du continent.
Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les problèmes soient réglés «d’un coup de baguette magique». Mais, il faut aussi savoir que les jeunes exigent plus que la simple présence massive des décideurs, plus qu’un engagement circonstanciel sous les feux de l’actualité.
«Nous ne voulons plus de déclarations, et d’énièmes plans d’actions, mais plutôt des mesures politiques structurées et opérationnelles adoptées par les Etats en vue d’améliorer effectivement les conditions de vie de la jeunesse africaine.
Ce que nous exigeons c’est l’élaboration de politiques de développement claires et opérationnelles articulées autour de la jeunesse».
Le président ATT a rétorqué qu’ils ont conscience des attentes des jeunes et du défi de leur remotivation.
«Le forum de Bamako a montré une jeunesse africaine volontaire, résolue à prendre une part décisive, dans la solution à ses problèmes. Cette jeunesse attend, également, de nous plus d’attention et de considération. Nous devons être très attentifs à ces demandes, qui dénotent une volonté d’affirmation citoyenne», a-t-il assuré.
Le dernier avertissement
Tout en dénonçant les pseudo modèles de développement, les jeunes africains croient à l’impact positif de la bonne gouvernance et exigent de leurs dirigeants ainsi que de leurs partenaires le respect de leur engagement.
«L’Afrique ne peut plus se permettre les dérives et les errements politiques, la mauvaise gouvernance. La vitalité, la créativité et les ressources humaines non encore entamées de notre génération et des générations à venir constituent un capital qui ne doit pas être compromis», a souligné leur porte parole au sommet.
Avec «une vision claire du modèle de citoyen qu’il faut pour nos pays afin de sortir le continent de l’impasse», ils n’ont pas totalement perdu espoir pour un meilleur devenir de l’Afrique.
C’est pourquoi ils continuent d’innover en créant partout sur le contient des centaines de milliers d’associations, d’ONG, de coopératives et d’entreprise… «Nous avons imaginé de nouvelles pistes de développement prenant en compte nos besoins et préoccupations ainsi que ceux de nos populations. Du rap au siam, en passant par tous les modes d’expression possibles, nous donnons notre vision d’une société africaine plus exigeante, nous dénonçons les pseudo modèles de développement, et revendiquons plus d’éthique et d’innovation à la tête des Etats», a rappelé Mlle Chère Marie Tamoifo NKom à Chirac et à ses pairs africains.
Les dirigeants n’ont plus intérêt à tergiverser d’autant plus que les forces vives de leurs nations sont aujourd’hui décidées à se rouler dans la farine par des discours et engagements démagogiques.
Il est temps donc d’engager des reformes adéquates pour occuper cette jeunesse qui a «soif d’apprendre» et «impatiente pour agir». Sinon, «si les politiques ne s’occupent pas de la jeunesse, le vent du changement en contexte démocratique conduira la jeunesse à s’occuper de la politique afin que les engagements aient un sens», a-t-elle prévenu.
Un propos qui a l’air d’un dernier avertissement, d’une menace sérieuse qui nécessite une réponse immédiate, claire et efficace.
Moussa Bolly
06 décembre 2005.