Le 9 mai dernier, une délégation de la Banque mondiale a été reçue en audience par le président de la République. Dans la perspective de cet entretien, le Directeur des Opérations pour le Mali de la Banque mondiale A. David Craig avait rédigé une note d’appréciation sur « la situation actuelle des défis et enjeux de la filière coton du Mali ».
La notre faxée depuis Washington et frappée du sceau de la confidentialité a été adressée au ministre de l’économie et des finances, Abou Bacar Traoré, avec ampliation à l’ambassadeur du Mali aux Etats-Unis, Abdoulaye Diop, et à l’administrateur pour le Mali de la Banque mondiale, Paul Gomes.
Dans ce document, A. David Craig fait un état général de la situation de la filière cotonnière et surtout de l’épineuse question d’ouverture à la concurrence de la filière.
Le programme de restructuration de la filière a été défini dans la lettre de politique de développement du secteur coton approuvée en 2001 et assortie d’une stratégie de privatisation progressive.
« Le plan d’action pour la mise en œuvre de cette stratégie visait la création de 3 ou 4 sociétés d’égrenage par la vente du patrimoine actuel de la Cmdt à des investissements privés » peut-on lire dans le document.
Ce processus, malgré la mise en place d’un plan social à la Cmdt a été bloqué par le gouvernement malien « au motif de ne pas vouloir être accusé de brader les industries nationales à des intérêts étrangers ». Et ATT de demander un sursis jusqu’en 2008.
Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement fixait le prix d’achat du coton graine aux producteurs à 210 Fcfa, un niveau jugé intenable par les partenaires qui n’ont pas été impliqués.
Si ces tentatives de résistance sont aujourd’hui corrigées par la signature de nouveaux mécanismes de fixation de prix avec les producteurs, le responsable de la Banque mondiale constate avec regret l’absence d’un plan précis de privatisation.
Ce qui l’a amené à noter que malgré l’état de faillite de la Cmdt, les actionnaires « sont soit incapables, soit réticents à la recapitalisation de la compagnie et à sa restructuration sur des bases économiques et financières saines. Elle a survécu grâce aux subventions publiques et aux bailleurs de fonds, mais sans injonction de capitaux, son patrimoine se dégrade. Le risque découlant du poids du déficit de la Cmdt pour le budget reste élevé alors qu’il y a d’autres priorités qui ne peuvent êtres laissées indéfiniment sous la menace d’avoir à combler d’énormes déficits en majeure partie inévitables ».
Le même document révèle que « l’agenda de la privatisation n’est pas défini, le calendrier n’est pas clair et certaines décisions sont abordées de manière improvisée, ce qui ne garantit aucune rationalité économique ni transparence ».
Avec un prix d’achat du coton graine aux paysans de 170 F CFA, la Banque mondiale chiffre le déficit de la Cmdt, lors de la campagne 2005-2006, à 20 milliards FCFA en tablant sur une production de 500 000 tonnes et au prix de vente du coton fibre d’environ 55 cts et un taux de change euro/dollar de 1.30.
Outre les risques à court terme, poursuit la note « le Mali doit faire face à un risque majeur concernant la perte de la compétitivité de son économie cotonnière à moyen et long terme à cause de la concurrence sur le marché et du coût de production élevé par rapport aux standards internationaux».
Face à cette perspective peu reluisante pour notre pays, l’expert de l’institution financière a formulé une série de recommandations dont le rétablissement « d’un dialogue crédible sur la réforme de la filière, l’adoption d’un calendrier fiable, d’un scénario acceptable pour la privatisation et d’un plan pour limiter l’impact des déficits de la compagnie sur le budget ».
En conclusion, A David Craig ne cache pourtant pas son optimisme car « le Mali a prouvé dans le passé qu’il était capable de concevoir et de mettre en œuvre des réformes sectorielles politiquement difficiles ».
A la primature, on minimise la portée de ces divergences de vue qui auraient d’ailleurs été aplanies lors de la rencontre entre les autorités maliennes et les émissaires de la Banque mondiale en mai.
Cette dernière avait pour l’occasion, annoncé le déblocage d’importantes ressources financières en faveur de notre pays.
YousssouF CAMARA
10 juin 2005