A un an et demi de la fin du second mandat du chef de l’État, leaders et militants de tous bords sont dopés par la perspective de lui succéder. Tout le monde se positionne. État des lieux des forces en présence.
A peine éteints les lampions du cinquantenaire de l’indépendance, fastueusement fêté le 22 septembre, classe politique et société civile ne pensent plus qu’à cela. Dans les salons et dans les bars, dans la rue et dans les grin (think-tanks à la malienne), la présidentielle de 2012 est devenue l’incontournable sujet de conversation.
Même s’il se trouve quelques esprits pervers convaincus que le président Amadou Toumani Touré (ATT) serait tenté de faire réviser la Constitution pour briguer un troisième mandat, seules deux questions taraudent les esprits à Bamako: qui sera candidat? Qui sera le prochain locataire du palais de Koulouba?
Une fièvre électorale précoce a déjà gagné les partis politiques et quelques personnalités. Cheikh Modibo Diarra, ancien de la prestigieuse agence spatiale américaine (Nasa), directeur général de Microsoft en Afrique et toujours gendre de Moussa Traoré, s’est d’ores et déjà lancé dans la course, le 19 septembre, en créant un parti: le Rassemblement pour le développement du Mali (RDM).
Sur son chemin vers le palais de Koulouba, il trouvera certainement son beau-frère, Cheick Boucadry Traoré, président de la Convergence africaine pour le renouveau (Care). Les deux hommes se disputeront les maigres terres électorales sur lesquelles chasse en maître le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) de Choguel Maïga, qui se réclame, lui aussi, de Moussa Traoré.
S’ils sont les premiers à dégainer, les héritiers de l’ancien président malien ne constituent pas, loin s’en faut, l’essentiel de la classe politique malienne. Celle-ci compte plus d’une centaine de partis, dont l’histoire et le parcours sont faits d’alliances et de ruptures, de coalitions et de désamours, de passions et de trahisons. Avec du charisme pour les uns, de la gouaille pour d’autres, de l’opportunisme pour certains.
Le scrutin présidentiel de 2012 sera le cinquième de l’histoire du Mali démocratique et sans doute le plus ouvert, car il sera le premier sans grandissime favori: Alpha Oumar Konaré, en 1992 et 1997; et ATT, en 2002 et 2007.
La vie politique malienne est dominée par trois grandes formations: l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema, de Dioncounda Traoré), l’Union pour la République et le développement (URD, de Soumaïla Cissé) et le Rassemblement pour le Mali (RPM, d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK), par ordre décroissant, selon le poids de leur représentation au Parlement. Si, pour l’URD et le RPM, la question du choix du candidat à la présidentielle ne se pose pas tant la position de leurs leaders respectifs semble incontournable, pour l’Adema, la situation est autrement plus complexe.
PEUR DES PRIMAIRES ?
Le président du parti, Dioncounda Traoré, n’est pas le candidat naturel, et de nombreux cadres historiques de l’Adema aspirent à l’investiture. L’épreuve des primaires est attendue avec beaucoup d’appréhension par les militants. Pour la petite histoire, le RPM et l’URD (dans un ordre chronologique) sont nés de scissions au sein de l’Adema, à la suite, justement, de mésaventures liées au choix du candidat qui porterait les couleurs du parti à une présidentielle … Malgré cette hémorragie, l’Adema demeure la première force politique du pays, et l’absence d’un leader charismatique (un vide sidéral s’est installé depuis le retrait de son fondateur, Alpha Oumar Konaré) risque d’ouvrir de nouvelles plaies à l’occasion des primaires prévues au cours du second semestre de 2011.
Par ail
leurs, le trio Adema-URD-RPM est en voie de se transformer en quatuor. Le 17 juillet, une nouvelle formation politique, le Parti pour le développement économique et social (PDES, en référence au programme présidentiel du même nom) est née. Sans réellement bouleverser la donne, la création d’un parti se réclamant ne laisse pas indifférents les états-majors politiques.
En dehors de ces quatre mastodontes de la vie politique malienne, une dizaine de partis ont le statut de force d’appoint, à l’instar du MPR de Choguel Maïga, du Parti de la renaissance africaine (Parena, de Tiébilé Dramé) ou du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid, de Mountaga Tall), ainsi que d’autres petites formations représentées au Parlement ou ne disposant que d’élus locaux. Pour l’heure, la plupart des partis politiques se sont engagés dans un processus de rencontres bilatérales et multilatérales, avec pour ordre du jour d’échanger autour de la prochaine échéance électorale.
UNE FÊTE DE LA DÉMOCRATIE
Cités parmi les candidats les plus sérieux, IBK et Soumaïla Cissé affichent leur optimisme. « Un scrutin, analyse l’ancien Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, est sans doute assimilé à une noce démocratique, mais il peut également être un facteur d’instabilité. Toutefois, les discussions que j’ai eues avec de nombreuses personnalités politiques me laissent penser que ce sera plutôt une fête de la démocratie. Jamais, s’enthousiasme IBK, la classe politique de mon pays ne m’a paru aussi mature. »
Même sentiment chez Soumaïla Cissé qui garde sous le boisseau toute annonce de son éventuelle participation à la course à Koulouba, son mandat de président de l’UEMOA n’expirant qu’en mars 2011.
De son côté, l’Adema consulte également le reste de la classe politique, y compris le MPR, son ennemi intime puisqu’il se réclame de Moussa Traoré. Objectif de ces conciliabules: élaborer une charte de bonne conduite, préparer le terrain aux alliances électorales et le report de voix en cas de second tour.
Presque tout entière tournée vers la bataille électorale de 2012, la classe politique ne doit cependant pas occulter deux importantes étapes qui figurent dans l’agenda politique avant le suprême scrutin: l’adoption, sans doute par référendum d’une nouvelle Constitution et le débat, qui s’annonce houleux, sur le code de la personne et de la famille. Ces deux questions, qui devront être tranchées par l’Assemblée nationale, ne sont pas programmées avant janvier 2011. En effet, la session parlementaire d’automne, inaugurée le 4 octobre, est consacrée exclusivement à la discussion autour du budget de l’État.
Une loi de finances, un référendum portant sur la révision de la Constitution et un débat sur le statut personnel… La classe politique a de quoi s’occuper, fourbir ses armes et aiguiser ses arguments avant que la campagne 2012 soit ouverte.
CHERIF OUAZANI Jeune Afrique N° 2597 du 12 au 23 Octobre 2010
19 Octobre 2010