Le fait que le chef de la première des institutions de la République (la Présidence) et celui de la troisième (le Parlement) ne parlent plus le même langage sur un dossier aussi crucial, aussi déterminant pour l’avenir de la nation est une situation rarissime pour qu’elle soit soulignée. Et cela avec gravité.
Encore que le RPM, dont le leader est le président du Parlement, soutient et participe à l’action gouvernementale ! Allons-nous nous abriter encore derrière la “ créativité et l’originalité ” maliennes en ce concerne l’expérimentation de modèles démocratiques pour justifier cet état de fait inédit, étrange ?
Peut-être que oui. L’accord d’Alger que l’écrasante majorité de nos compatriotes ont applaudi des deux mains, car facteur de paix et de stabilité, n’est pas l’accord du Président ATT, encore moins celui du général Kafougouna Koné. Certes, le président de la République, mesurant tout le danger qu’allait courir notre pays en s’engageant dans un conflit fratricide, a été bien inspiré en prônant, dès le début de la crise, le dialogue, la concertation avec les insurgés du 23 mai 2006.
Au lieu donc qu’ils soient poursuivis, pourchassés et combattus jusque dans les montagnes de Tegharghar, les insurgés de Kidal ont, au contraire, été invités à la table de négociation dans un pays ami, en l’occurrence l’Algérie. En fait, cette initiative fut salvatrice, car dans ce monde en pleine ébullition, où les questions de stabilité sont au premier rang des préoccupations majeures des Etats, rien ne saurait justifier le désir, voire la pulsion, d’engager un peuple dans un conflit aux conséquences incalculables.
Surtout que dans la situation à laquelle nous faisions face, la crise pouvait être gérée autrement. Tel en sera d’ailleurs le cas. Depuis donc la signature de l’accord d’Alger, l’opinion assiste impuissante à un désaccord entre le pouvoir et le président de l’institution parlementaire à propos d’un choix fondamentalement stratégique, impliquant, de surcroît, l’avenir de la nation tout entière. Au rythme donc où les choses évoluent, le fossé ne cessera de s’élargir entre ATT et IBK suite à cette différence d’appréciation que l’un et l’autre ont dudit accord.
Si pour le premier, l’accord est bon et utile pour le Mali, car préservant la paix, gage de stabilité et de développement, pour le second, le document est, au contraire, mauvais et doit, de ce fait, être dénoncé, voué aux gémonies avant d’être condamné à l’autodafé. L’accord sera-t-il au centre de la présidentielle de 2007 ?
L’accord d’Alger qui fait quasiment l’unanimité de la classe politique nationale et de l’écrasante majorité de la population est aujourd’hui malmené par des tireurs à l’arbalète, décidés qu’ils sont à annihiler tous les efforts du pouvoir tendant à faire partager ledit accord par l’ensemble du peuple malien. Car, en plus de l’Assemblée nationale et des partis politiques, ce sont, en effet, des dizaines de mouvements et associations de la société civile qui ont également approuvé l’accord d’Alger.
C’est dire que le soutien, tous azimuts, des populations à l’accord d’Alger est loin d’être mièvre, comme s’évertuent à le faire croire tous ces scribouilleurs pressés d’en découdre avec ledit accord. Parmi les grandes formations du landerneau politique national, seul le parti des Tisserands a rejeté ledit document tantôt au motif qu’il violerait la Constitution du Mali. Cette attitude de rejet inattendue du RPM a semé une sorte d’incompréhension au sein de l’opinion publique et de la classe politique elle-même.
En effet, cette dernière n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ce coup d’épée du RPM planté dans le cœur de la gestion consensuelle du pouvoir, à laquelle le Président ATT s’attelle pourtant, contre vents et marées, à préserver. Si des partis politiques non représentés au Parlement – tel le Bara, par exemple, qui a, d’ailleurs, toujours clamer son appartenance à l’opposition (oh ! la pauvre) -, avaient affiché une telle attitude, cela aurait été plus ou moins compréhensible, voire de bonne guerre.
Mais que ce soit le RPM, un parti membre de l’équipe gouvernementale, qui lance des flèches empoisonnées à l’accord d’Alger, cela est fort surprenant. Encore plus surprenant est le fait que le chef lui-même de l’institution parlementaire soit chef de file de cette opposition à l’accord d’Alger, un document pourtant salué par l’Assemblée nationale, le 20 juillet dernier, comme étant “ un accord dont le contenu préserve l’unité nationale et l’intégrité territoriale de notre pays ”.
Quelle inconséquence ! Alors que jusque-là, le RPM avait toujours soutenu les projets ou propositions venant du pouvoir même si, il aurait pu, parfois, ne pas le faire “ par dignité ”. On se rappelle du passage à l’Assemblée nationale du projet de loi sur le Vérificateur général, quand le RPM, se sentant isolé et pour ne pas envenimé ses relations avec Koulouba, s’était finalement rallié en faveur du vote de la loi.
Pour toutes ces raisons, les “ Partisans de la paix quelque soit le prix à payer (PPQSPP) ” n’arrivent pas à comprendre pourquoi cette opposition systématique à l’accord d’Alger de la part d’un parti pourtant dirigé par un grand patriote, au cœur noble et au geste généreux. C’est pourquoi, face à cette situation délicate, où le président de la République a besoin de la compréhension de tous pour accompagner ses efforts dans la préservation de la paix et de la stabilité dans notre pays, un retour en arrière du président de l’Assemblée nationale est fortement attendu.
Non pas uniquement pour les besoins de la cause (même si cela nous paraît essentiel) mais aussi pour la préservation d’une image, celle d’une personnalité forte, et tout simplement d’un homme d’Etat dont le statut actuel d’opposant – réel ou supposé – ne saurait, d’un trait de plume, effacer tout le service rendu à la nation notamment dans le respect et le renforcement de l’autorité de l’Etat. Le RPM va-t-il quitter le navire ?
En faisant violence sur soi-même, comme le Président ATT avait eu à le faire aux heures chaudes de la gestion de l’attaque rebelle du 23 mai dernier, le président de l’Assemblée nationale gagnerait très certainement beaucoup plus en notoriété tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cela vaudra mieux tant pour lui-même que pour son parti qui peine à mobiliser réellement les Maliens contre l’accord d’Alger.
Au lieu donc de continuer à déployer une débauche d’énergie dans le but d’amarrer un bateau qui se trouve déjà en haute mer, d’essayer de rattraper la colombe de la paix qui a déjà pris son envol, IBK gagnerait davantage en reconsidérant ses prises de positions initiales par rapport à l’accord d’Alger. Au lieu de bouder le train de la paix et ses passagers, mieux vaudra pour l’ancien Premier ministre de prendre place dans la locomotive, à côté du conducteur ATT, afin d’éviter une confrontation inutile sur un sujet aussi délicat, car ayant trait à la stabilité et à la paix dans le pays.
Les généraux ATT et Kafougouna Koné ont tellement raison, qu’il faudra, dans cette situation de crise, aller, non pas aux petits détails, mais à l’essentiel, au fond. L’alternative à la paix, c’est la guerre, le conflit armé. Aucune subtilité de langage, aucun juridisme de saison ne pourra convaincre le citoyen lambda qu’il y avait une autre alternative à l’accord d’Alger qui permettrait d’éviter le conflit fratricide, la guerre.
L’opinion nationale, au-delà de tous les péchés d’Israël reprochés au Président ATT et au général Kafougouna Koné par les irréductibles opposants à l’option Paix, ne désespère point de voir tous les Maliens unis derrière le président de la République pour mener à bout cette bataille, celle de la paix réelle. Mais si, en dépit de tout, la polémique autour de l’accord d’Alger devait se poursuivre jusqu’en 2007, le sujet s’invitera infailliblement dans la campagne et sera certainement le thème principal de l’élection présidentielle.
Cette éventualité pourrait profiter principalement au Président ATT, considéré aujourd’hui encore comme le chantre de la paix. Ce qui n’est pas pour rassurer ses adversaires potentiels. Alors, dans ces conditions, pourquoi continuer à ramer à contre courant pour élargir davantage l’électorat d’un candidat de poids ? Le RPM a tout intérêt à baisser les bras, dans cette partie de bras de fer avec le pouvoir, dans cette affaire dans laquelle l’opinion fera, tôt ou tard, bloc autour de la vision d’ATT pour la paix dans le Septentrion et sur l’ensemble du territoire national.
Avec les manifestations organisées, par-ci par-là dans le District de Bamako, par le RPM pour dénoncer l’accord d’Alger, les relations entre Koulouba et IBK vont très certainement se corser davantage. Ce qui va naturellement renvoyer aux calendes grecques tout rapprochement de points de vue entre le Président ATT et le président de l’Assemblée nationale sur le dossier brûlant de Kidal. Dans tous les cas, la sérénité trompeuse des relations entre le locataire du palais de Koulouba et celui du petit palais de Sébénikoro a pris un sérieux coup de froid suite à la signature de l’accord d’Alger.
Cela, à telle enseigne que les observateurs avisés se demandent aujourd’hui encore si le pont de Wowowayanko ne va pas céder sous la pression de cette tension entre ces deux personnalités attendues dans quelques mois sur le starting-block de la présidentielle de 2007. En tout cas, le parti des Tisserands qui enfonce, chaque jour un peu plus, le clou dans ses relations déjà tendues avec Koulouba, se prépare certainement à quitter le navire gouvernemental.
Pour certainement mettre fin à cette situation ambiguë de ni paix ni guerre entre le président de la République et le président de l’Assemblée nationale sur le délicat dossier de Kidal.
Mamadou Fofana
-Journaliste indépendant
22 août 2006.