Le meilleur et le pire (Suite et Fin)
Ce propos de l’avocat des ploutocrates africains et de Klaus Barbie serait en soi peu crédible si Stephen Smith n’avait cru bon de préciser, immédiatement avant, que les ouvrages écrits par le président de Survie puisaient exclusivement aux » sources documentaires« . C’est inexact, et le journaliste le sait, puisqu’il a pris la peine d’interroger l’auteur sur ses sources. Celui-ci a rappelé qu’il écrivait au nom de Survie, titulaire des droits des deux ouvrages.
Il a indiqué que les sources documentaires de l’association, françaises et étrangères, étaient croisées par des échanges constants avec un réseau de correspondants dans le monde (responsables et militants associatifs, experts, journalistes), et par les témoignages de nombreux Africains, que Survie ne cesse de rencontrer. Seraient-ils quantité négligeable ?
Les sources documentaires ont quand même du bon. Elles empêchent des citations inexactes. Nulle part dans Noir Silence Omar Bongo n’est traité de « dictateur criminel, corrompu et mafieux« .
Survie n’a pas demandé de droit de réponse : à Libération, un tel droit, demandé dans les formes requises, nous avait été refusé à propos d’un autre article de Stephen Smith. Il nous y qualifiait de « lobby partisan« . Avec une telle conviction, peut-il traiter impartialement du procès que nous intentent trois potentats, par Vergès interposé ?].
Génocide
Le Monde, Le génocide est l’acte des régimes désespérés, 14/11/2000 (Mark LEVENE) : « Le désir de génocide naît d’une projection phobique aiguë, digne de la série X-Files, d’une crainte d’être envahis par des étrangers, ou, pour emprunter le terme anglais, des aliens. […] Cela rappelle […] les angoisses du Moyen Age, où monstres et démons peuplaient l’univers mental des gens. […]
Il semble que le génocide soit intrinsèquement lié aux efforts des États pour organiser socialement des groupes indigènes ou traditionnels, souvent de manière très rapide, voire par de grands bonds en avant de caractère révolutionnaire, et concerne ce qui se passe lorsque, face à la simple magnitude des tâches qu’ils s’assignent, ces États font dramatiquement fausse route. Ce n’est donc pas un hasard si les victimes des génocides sont ceux qui se trouvent en travers de la voie, qui s’opposent activement ou dont les systèmes culturels de croyances remettent en question la plausibilité ou le sens de ces projets eux-mêmes. […]
La France révolutionnaire en Vendée, la Grande-Bretagne aux Amériques et aux antipodes, les États-Unis dans leur élan d’hégémonie transcontinentale […] fournirent les procédures phénotypiques du génocide dans leur détermination à ne tolérer aucun obstacle. […] Les bâtisseurs d’États et d’États-nations plus proches de nous dans le temps s’efforcèrent de l’imiter […] [tout en ressentant] la nécessité d’accélérer le mouvement […].
Je qualifierai le Rwanda et l’Allemagne de jeunes États anciens et d’États à la fois puissants et faibles. […] Jadis nous étions forts. Pourquoi ne le sommes-nous plus aujourd’hui ? La frustration implicite dans cette question est, bien sûr, toute relative. […] L’angoisse [se réfère au] […] sentiment de faiblesse d’une société par rapport au monde extérieur. À cela, la solution manifeste semble devoir être une réforme administrative, économique et scientifique radicale et rapide. […] Si le processus s’enraye ou s’épuise, si les perspectives de changement s’éloignent, toutes les conditions semblent réunies […] pour que le doute de soi s’installe. […]
Ce qui s’instaure le plus souvent, c’est le soupçon que quelque chose empêche l’élément sain et bon de la société d’aller de l’avant ; quelque chose qui affecte sa santé, lui vole sa vertu, ampute son intégrité et affaiblit sa virilité. […] La description qui […] est faite [du groupe à éliminer] est toujours celle d’un corps étranger qui, non seulement ne s’insère pas dans le tout national, mais dont l’existence même en bouleverse l’équilibre. Le groupe considéré est également soupçonné […] d’agir de l’intérieur pour saboter les avancées, de conspirer avec l’ennemi étranger, de ruiner les chances de progrès et finalement de détruire le peuple lui-même. […]
Le génocide est l’acte des régimes désespérés dans des sociétés dont la transition vers le monde moderne a été particulièrement difficile, des sociétés qui ont connu un ou plusieurs grands traumatismes collectifs, ou encore qui ressentent quelque frustration ou amertume profonde, généralement partagée avec les élites et une part importante du peuple […] ».
[Au Rwanda hier, en Côte d’Ivoire aujourd’hui, les élites ont une responsabilité considérable dès lors qu’elles se mettent à conceptualiser l’élimination d’une composante « malsaine » de la population. Les théoriciens du national-ivoirisme pourraient bien se retrouver un jour devant un Tribunal pénal international, comme Fernand Nahimana].
Lire: Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Seuil, 2000, 236 p.
Un ouvrage exceptionnel, à lire toutes affaires cessantes. En accouchant la parole des survivants du génocide, dans la commune de Nyamata, Jean Hatzfeld fait sortir, d’un gouffre d’inhumanité, des récits d’une limpidité inimaginable. Comme une eau lustrale. Ils peuvent, en montrant la cruauté dont l’humanité est capable, mais plus encore l’humanité des victimes, guérir l’envie de recommencer. À tous ceux, infiniment meurtris, qui se demandaient si cela valait la peine de parler, il faut dire un immense merci. À l’auteur aussi, correspondant de tant de guerres civiles : il a ici sublimé son talent. De la qualité de son écoute surgit une langue admirable.
Jacques Baulin, La succession d’Houphouët-Boigny, Karthala, 180 p.
Bête noire de Foccart, Jacques Batmanian, alias Jacques Baulin, a conseillé l’ex-président ivoirien avant de le quitter lors de la guerre du Biafra – cette agression françafricaine contre le pétrole nigérian. Il a eu accès aux meilleures archives, dont il a tiré deux ouvrages clefs : La politique africaine d’Houphouët-Boigny (cf. le supplément à Billets n° 43) et La politique intérieure d’Houphouët-Boigny (Eurafor-Press, 1980 et 1982).
Au moment où explose la Côte d’Ivoire de papa, surgonflée de corruption, Karthala a eu le flair de republier un troisième ouvrage, plus bref (déjà paru en 1989 chez Eurafor-Press), sur l’irrésistible ascension du poulain d’Houphouët, Henri Konan Bédié. Une chronique alerte et édifiante sur le « modèle ivoirien », précédée d’une préface incisive de Gilbert Comte.
Billets d’Afrique et d’ailleurs, numéros 87 décembre 2000
23 Septembre 2008