À la gare routière du marché de Médine, la « place » de Nioro- Troungoumbé-Diéma est facilement reconnaissable aux gros camions qui y stationnent. La veille des jours de foire, les voyageurs qui viennent se renseigner sur la destination de tel ou tel véhicule, l’heure de départ, le tarif etc. ont toujours du mal à trouver une oreille attentive à leurs propos.
La gare est alors si animée qu’il est difficile de communiquer même entre voisins immédiats. Forains et autres voyageurs, chauffeurs, apprentis, syndicalistes, chargeurs, badauds et vendeurs de toutes sortes d’articles (habits, chaussures, montres, coiffures, nattes, cordes, pain) sont inextricablement mêlés.
Ces gens aux préoccupations diverses s’interpellent, se bousculent autour des sacs de mil, de riz, des malles, des barriques de pétrole, d’huile etc.
UNE PETITE CORDE NOUEE SOUS LE MENTON :
Dans ce capharnaüm, on a pourtant aucune peine à identifier les chargeurs professionnels. Ils portent une large culotte ou un pantalon bouffant, un petit boubou qui leur tombe à mi-cuisse et un tortillon invariablement retenu sur le crâne par une petite corde nouée sous le menton.
Ils sont près d’une dizaine, qu’on retrouve toujours autour de la bascule prêts à poser ou à enlever des marchandises. Les chargeurs professionnels ne vont jamais chercher des bagages même aux alentours de la place, une activité qu’ils estiment réservée aux portefaix tout comme le déchargement.
Eux s’occupent uniquement des objets déposés à la place ou dans l’entrepôt du syndicat. Ce sont eux qui acheminent les bagages jusqu’à la bascule avant de les trier et de les classer en fonction de leur poids, leur nature et leur destination.
Ils conseillent les différents propriétaires sur les précautions à prendre pour sécuriser chacun des colis. Ici, les frais de transport des bagages varient selon les véhicules et la nature des articles.
Un kilogramme coûte 100 Fcfa pour le transport en autocar contre 50 Fcfa pour les camions lorsqu’il s’agit d’objets volumineux mais peu pesants et 35 Fcfa pour les céréales.
Au moment de la pesée, tout le monde fait de la place aux chargeurs dont les manœuvres ne sont pas sans danger pour les curieux. Les bagages sont pesés les uns après les autres avant d’être hissés dans le véhicule sous la supervision des chargeurs qui se font alors aider par les apprentis.
Avec ces derniers, ils choisissent l’emplacement convenable pour chaque marchandise. Au final, l’ensemble des bagages qui se trouvent à bord du véhicule sont rangés avec science et art.
Charger un gros camion ou un autobus n’est pas aussi aisé que l’on peut s’imaginer de loin. Le métier de chargeur est dur et exige une somme d’efforts physiques et surtout de dynamisme.
À la gare routière de Nioro-Troungoumbé-Diéma, l’opération de chargement d’un gros camion ou d’un car coûte 10 000 Fcfa contre 5000 et 3000, respectivement pour les camionnettes et les minibus (22 places).
Combien de véhicules peut-on charger quotidiennement ?
Au moins un, les jours ordinaires et trois à quatre les jours de foire et c’est toujours le propriétaire du véhicule qui paie l’opération de chargement.
A L’ABRI DES TRACASSERIES :
Samba Diawara est chargeur professionnel depuis plus de quinze ans. Cordelier à ses heures libres, toujours installé au même endroit où il gère aussi un petit kiosque, l’homme parle de son métier avec un petit sourire aux lèvres.
Cet aventurier, une fois de retour au bercail, avait entrepris de convoyer les véhicules sur la route Bamako-Nioro avant d’y renoncer à cause de nombreuses difficultés liées à cette tâche.
« À l’époque, la route était en très mauvais état, ce qui occasionnait de nombreuses pannes inacceptables aux yeux de certains passagers qui nous insultaient, nous maudissaient« , se souvient-il.
Découragé, Samba Diawara décide alors de devenir chargeur et devint l’un des tout premiers à exercer ce métier à l’autogare de Médine. Membre du syndicat de cette « place« , il rappelle avec fierté qu’il fait aussi partie de ceux qui ont rendu le lieu habitable en plantant les arbres qui font aujourd’hui le bonheur de tous ceux qui travaillent ici.
À l’instar de Samba Diawara, Hamet Diarra Dicko fait également partie des anciens du lieu. Ce Maure qui exerce le métier de chargeur depuis une trentaine d’années, assure que de tout temps, les bagages entreposés dehors ont été placés sous leur surveillance et cela sans contrepartie.
« Au départ, nous étions tous célibataires et nous couchions là à côté des bagages que nous gardions gratuitement. Maintenant nous sommes devenus vieux et ce sont les jeunes qui continuent à veiller sur les bagages« , confie-t-il.
Justement, Habou Dicko est de ceux-là qui veillent toutes les nuits sur les bagages de la gare routière. Ce jeune homme qui, voilà huit ans, a remplacé son père, chargeur professionnel lui aussi, constate : « Ici il faut dormir tardivement la nuit et jamais à poings fermés parce que les voleurs infestent toute la zone du marché« .
Malgré l’importance des services qu’ils rendent quotidiennement aux voyageurs et aux commerçants, les chargeurs professionnels n’ont pas la vie facile.
Des voyageurs arrogants n’hésitent à les insulter ou les menacer de leur faire payer tout ce qu’ils auront endommagé avant, pendant ou après la pesée des bagages tandis que les vendeurs ambulants les empêchent de travailler comme ils le souhaitent.
En fait, le seul avantage consistant dont bénéficient les chargeurs professionnels est la gratuité du voyage pour toute leur famille.
Autre avantage et non des moindres : à la gare routière de Nioro-Troungoumbé-Diéma, les chargeurs professionnels ne sont pas obligés de rembourser les objets égarés sur le tas de marchandises entassées dehors.
Une règle d’autant plus importante qu’elle met les chargeurs à l’abri de nombre de tracasseries.
C. DIAWARA
22 août 2007.