Comment les organisations de la société civile péruvienne participent-elles à la vie démocratique ? Les organisations de producteurs agricoles sont-elles bien organisées? Ont-elles leur mot à dire dans la gestion économique du pays?…
Autant de questions pertinentes (entre autres) posées par l’organe “Défis Sud “ au Directeur du Centre Péruvien d’Etudes Sociales (CEPES), M. Fernando Eguren.
Le “Cheval fou” du Pérou
Durant sa campagne électorale, le Président péruvien, Alan Garcia, avait promis qu’il reviserait l’accord commercial avec les Etats Unis. Après son élection, il est devenu le partisan le plus convaincu de ce traité. Egalement connu au Pérou, sous le surnom de “Caballo loco“ (le Cheval fou), Garcia est à la fois un social-démocrate, une figure éminente du Partido Aprista Peruano (le parti au pouvoir) et une émanation de l’Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine, un mouvement politique qui prône l’unité de l’Amérique Latine, mais qui s’est essentiellement développée au Pérou.
La première présidence d’Alan Garcia -entre 1985 et 1990- a été jugée catastrophique. Réélu en Juin 2006, il n’avait pourtant obtenu que 24,33% des voix, lors du premier tour. Mais au second tour, il a bénéficié du report des votes de nombreuses formations politiques, effrayées par la perspective d’une éventuelle victoire d’Ollanta Humala, un ancien militaire, parfois surnommé “le Chavez péruvien”, qui bénéficiait de l’appui des populations des parties andines et amazoniennes du pays.
Alan Garcia avait reconnu l’importance du vote obtenu par son adversaire, Ollanta Humala. En effet, l’ensemble du Sud péruvien avait voté en masse pour ce dernier, qui avait ainsi obtenu plus de 80% des voix à Ayacucho, un département ayant fortement souffert du conflit contre la guérilla maoïste du mouvement dit “Sentier lumineux“.
Mais pour le Président élu (Alan Garcia), le tout s’était joué à Lima, la Capitale, qui abrite près du tiers de la population du territoire. Ayant majoritairement voté, au premier tour, pour la candidate de droite, Lourdes Flores, les Liméniens (habitants de Lima) ont finalement décidé d’appuyer “le Cheval fou”, au second tour : là a été toute la chance d’Alan Garcia.
Les intérêts des “campesinos”
Selon M. Fernando Eguren, les populations paysannes, dites “campesinos” des Andes (chaîne de montagnes sud-américaine) éprouvent de réelles difficultés à défendre leurs intérêts sur les marchés agricoles. Ces populations ont certes montré une grande capacité de résistance face aux grandes entreprises minières.
Quant aux peuples indigènes d’Amazonie (région d’Amérique du Sud), ils ont très bien résisté à l’expansion des exploitations pétrolières. Leurs réactions ont été rapides, grâce notamment à leurs alliances avec des ONG et des gouvernements locaux, pour dénoncer les abus dans les domaines du pétrole et du minerai. Chez les petits producteurs agricoles, par contre, les moyens de s’organiser ont été plus faibles.
En se référant à la géographie du Pérou, on constate que la région côtière dispose de bonnes terres artificiellement irriguées, où la majorité des producteurs familiaux sont pleinement incorporés au marché. Mais la population paysanne la plus dense, d’origine indienne, se trouve dans la région des Andes, dans les montagnes. Elle est organisée en communautés paysannes, sur la base d’une économie de subsistance.
Les producteurs du littoral (de riz, pomme de terre, lait, maïs, blé…) ont plus de capacité d’organisation. Ils sont parvenus, dans une certaine mesure, à influencer les décideurs péruviens qui négociaient avec les Etats Unis. Et ils ont eu la force d’exiger des compensations pour quelques produits dits ”sensibles” : riz, maïs, blé. Ainsi, les céréales subventionnées des producteurs américains (USA) pénètrent dans le marché péruvien.
Mais les ”campesinos” n’exportent pas leurs pommes de terre aux Etats Unis. Ils n’arrivent pas non plus à tirer profit de la plus-value commerciale de la pomme de terre péruvienne. Et pour cause : quoique leurs organisations soient représentées à la Confédération des Agriculteurs Péruviens, les ”campesinos” défendent mal leurs intérêts.
Un accord “business”
Le Pérou a signé un accord commercial bilatéral avec les Etats Unis. Mais les procédures qui ont mené à la conclusion de cet accord ont-elles été démocratiques? Face à la question, le Directeur du CEPES, M. Fernando Eguren, s’est montré formel : “Nos autorités n’ont pas eu la moindre envie de cacher leur volonté de faire un traité purement ”business”. A mon avis, il ne fallait pas signer un accord de cette nature, parce qu’il met sur le même pied deux pays qui sont extrêmement différents“.
En effet, les Etats Unis sont le nombril du monde ; et le Pérou est à la …80è place des pays classés par ordre d’importance économique. Dans cet accord, le Pérou a éliminé tous les tarifs sur les importations de produits en provenance des USA ; tandis que les Etats Unis ont maintenu leurs subventions à leurs produits. Toute chose qui a évidemment très mal milité contre les intérêts du Pérou. De plus, lorsqu’il y a des conflits autour de certains contrats, au lieu d’être réglés par des Tribunaux du Pérou, ils seront jugés par des Tribunaux “ad hoc”, sur lesquels les USA auront une immense capacité de pression.
Durant sa campagne électorale, l’actuel Président péruvien, Alan Garcia, avait promis qu’il réviserait, article par article, l’accord signé par son prédécesseur. Mais un semaine après son élection, il est devenu le partisan le plus convaincu de cet accord. Aussi, les organisations de la société civile péruvienne ont peur que cette attitude si peu conciliatrice du Président se répète avec l’Union Européenne (UE).
En effet, selon M. Fernando Eguren, il ne faut pas se voiler la face : “Dans le cas européen, c’est également du “business“ qui nous est proposé, mais en y incluant quelques préoccupations sociales en matière d’éducation, de sécurité et de santé. Je crois que les organisations de la société civile péruvienne doivent prendre au sérieux cette nouvelle dimension des négociations“.
A tout cela, il faut ajouter la question des migrations. La vague d’émigration des Latino-Américains dans le monde est un phénomène connu depuis longtemps. Mais depuis quelques années, ce mouvement s’accélère en Europe. Aussi faut-il mettre, sur la table des négociations, la question du bien-être social des Sud-Américains résidant au Nord.
Mais hélas, M. Fernando Eguren constate : “En tant que Péruviens, nous ne sommes malheureusement pas convaincus que notre gouvernement mette ces points à l’agenda. Notre gouvernement pense que le business, c’est le business, ni plus ni moins“.
Rassemblées par Oumar DIAWARA