La tendance en faveur de la négociation de ces accords tente de justifier sa position par son attachement et sa volonté de préserver d’abord l’unité, la paix et la sécurité nationale, plutôt que de se lancer dans une guerre insoutenable, non seulement pour le pays mais aussi pour ces citoyens fortement éprouvés par la dureté de la vie, au regard de leur état général de dénuement.
L’autre tendance du débat, sans vouloir forcement la guerre d’ailleurs, entend plutôt rappeler à l’Etat et aux Pouvoirs Publics en général, la nécessaire intransigeance et fermeté qui doit en toutes circonstances accompagner leurs interventions et actions. De ce point de vue, le respect, la préservation et la sauvegarde des » Fondamentaux de la République« , plus que nécessaires en ces circonstances, doivent être scrupuleusement préservés. C’est sur ce dernier point que nous entendons réagir en tant que Malien, citoyen d’un pays dans lequel il faut prendre sa part et toute sa part dans l’expression des opinions et des pensées, chaque fois qu’il s’agit de questions essentielles et d’importance, telles que l’organisation, la gestion et l’administration des affaires du pays. Quel citoyen ne prendrait-il pas part à ces échanges ?
Entre les deux tendances ou opinions qui se font entendre dans le cadre de ce débat, le contraste entre elles n’est qu’apparent. En effet, en situant véritablement la question posée dans le contexte réel, l’on se rend compte qu’il ne s’agit nullement de faire la guerre ou de prôner la guerre, bien au contraire, il s’agit de paix, de faire la paix, mais quelle paix et à quelles conditions ?
C’est en voulant répondre à ces questions que la lecture du texte des accords en question constitue un passage indispensable pour une bonne compréhension, analyse et critique de la question posée.
A première lecture du texte des accords dits d’ » Alger « , l’on est d’abord frappé par la singularité de la forme du texte. Celui-ci a sans nul doute été rédigé dans une grande précipitation, vraisemblablement sans assistance technique nécessaire et combien utile à la rédaction d’un tel document qui engage pourtant l’Etat et la Nation toute entière au plus haut.
En tant que citoyen et observateur des choses de la cité, pareille situation est déplorable et ne pourrait que nuire à la crédibilité des institutions démocratiques et républicaines.
La seconde lecture pour se convaincre d’une évidence tenant au fait que les mêmes causes produisant les mêmes effets, la forme d’un texte étant assez déterminante du fond dudit texte, la syntaxe du texte des accords n’a pas manqué elle aussi de prendre un coup. C’est sans nul doute ce qui n’a pas toujours permis aux spécialistes de l’exégèse de donner en cette circonstance au public, profane par nature, l’explication quant à la quintessence même du texte des accords.
Du coup, les auteurs qui sont intervenus dans la rédaction et par la suite, dans l’explication des termes mêmes de l’accord ont eu beaucoup de mal à convaincre l’opinion publique du bien fondé de ces accords ; Alors même que personne dans l’opinion n’était tenté ou ne pouvait même se laisser tenter de mettre en cause la bonne foi évidente de ceux là qui ont représenté et engagé l’Etat du Mali tout le long du processus de signature de ces accords.
Mais en quoi le texte de ces accords serait-il contraire à la loi en général, et à la loi fondamentale plus particulièrement :
– Le texte des accords est contraire à la loi en ce qu’il prévoit la création d’un organe spécifique, dénommé dans l’accord « Conseil Régional Provisoire de Coordination et de Suivi ». La mise en place de cet organe pour une période d’un an, par arrêté de Monsieur le Ministre de l’ Administration Territoriale et des Collectivités Locales viole la loi, notamment les dispositions de la
Constitution du 25 février 1992. Ce texte précise que :
– l’administration des Collectivités Locales ;
– la fixation de leurs compétences ;
– la détermination de leurs ressources ;
– l’organisation administrative du territoire…
Sont de la seule compétence de la Loi (Article 70).
Les accords dits d’ » Alger « , en instituant le » CRPCS » viole cette disposition de niveau constitutionnel. Au regard même de la formulation du texte, cet organe dans l’esprit des auteurs du texte, est mis en place pour suppléer la carence probable d’une assemblée régionale. Du coup, le « CRPCS » se substitue ou est substitué à l’assemblée régionale pour assurer en ses lieux et place, ses compétences et ses prérogatives.
En dotant cet organe de tels pouvoirs et en lui confiant une telle mission, même pour suppléer une institution par ailleurs issue de la loi, le Gouvernement, par l’entremise de Monsieur le Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales a violé la Loi. Il la viole en outrepassant ses pouvoirs et prérogatives, en empiétant dans un domaine qui est celui du Parlement. Cette institution est seule habilitée à prendre toutes mesures visant à assurer l’administration d’une collectivité locale.
Les actions entreprises par le pouvoir exécutif viole également un » Principe Général du Droit » pourtant repris dans le dispositif de la constitution : » l’Egalité de tous devant la Loi « .
Enfin, le texte des accords dits d' » Alger » viole la Loi en ce qu’il prévoit la création d’une » Unité Spéciale de Sécurité » dont le commandement incombe à un personnel certes militaire, mais un personnel militaire tellement » spécifié » dans les précisions quant à son » identité « , sa » physionomie » et sa « géographie « . Sur ce plan également, le texte de notre constitution ne permet et ne tolère aucune discrimination même positive, qui soit fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race ou la religion.
Ces violations de la loi dans le cadre de ces accords me paraissent constantes et évidentes. Malheureusement, elles ne peuvent l’être aux yeux des autorités nationales dont la hantise est d’éviter tout ce qui peut être source de conflagration. Une telle position peut se comprendre fort aisément par tout citoyen épris de paix et de sens de l’intérêt général. C’est pour cette paix, pour l’intérêt général, pour la concorde nationale que le Gouvernement et l’ensemble des Pouvoirs Publics devront entendre la voix des autres, recueillir les sentiments des uns, connaître les opinions du grand nombre. Tous doivent trouver à se faire entendre, à s’exprimer dans un tel contexte. Or, pour l’heure, aucun cadre, aucun lieu, aucun contexte n’offrent de possibilités de se faire entendre et d’entendre ces voix mêmes discordantes et dissonantes, qui permettent de comprendre ces silences qui sont pourtant expressifs, de lire ces vœux et souhaits de population et d’un peuple dont on aura tort de ne pas entendre, de ne pas voir et feindre de ne pas comprendre.
En l’absence d’un véritable baromètre social pour mesurer ces vœux et attentes de ces populations par rapport à ces accords et leurs implications tant politiques que sociales, le Gouvernement de la République et toutes les institutions républicaines impliquées, gagneraient à soumettre ces textes des accords, non pas à un référendum, ce qui serait fastidieux et coûteux, mais à l’appréciation et la validation d’une institution comme la Cour Suprême du Mali. Cette dernière sera sans doute capable d’exprimer une opinion claire, nette et précise quant à la légalité du texte en cause, ce, au regard de l’ordonnancement juridique interne.
En soumettant ledit texte à l’appréciation de la Cour Suprême, le seul risque que court le Gouvernement et ses interlocuteurs dans le cadre de ses accords demeure sans nul doute dans la révision probable du texte, au moins dans sa forme, pour une plus grande précision et clarté ; l’examen du fond du texte permettra un bien meilleur maniement des concepts juridiques qui y sont utilisés, un plus grand respect du droit, notamment des points qui constituent dans ce texte, les » Fondamentaux de la République « .Une telle démarche donne non seulement l’occasion au Gouvernement de prendre date pour le futur, mais également de conférer à ce texte et aux engagements qui y sont pris une plus grande légitimité et assise.
Mamadou KONATE Avocat à la Cour/
mkojce@yahoo.fr
19 juillet 2006