Issu d’une minorité, Barack Obama a réussi à avoir l’adhésion de la majorité du peuple américain en remportant l’élection présidentielle. Son arrivée au pouvoir a été applaudie par les Africains qui voient en lui l’incarnation du changement en Afrique. Toutefois, cet avis est loin d’être partagé par le secrétaire politique de l’Adéma/PASJ, Ousmane Sy qui, dans l’entretien ci-dessous, pense que le peuple africain doit se ressaisir en ne comptant que sur leurs propres efforts pour arriver au changement souhaité.
Les Echos : Quelle lecture faites-vous de l’élection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis ?
Ousmane Sy : La victoire de Obama est la victoire de l’espoir et de l’espérance. Obama redonne espoir aujourd’hui au peuple américain rien qu’en voyant son slogan, « Nous pouvons ». Donc, qui veut peut si on s’engage. Je crois que c’est cet énorme espoir aujourd’hui qu’Obama vient de porter au peuple américain et à tous les peuples du monde qui ne veulent pas se satisfaire de leur situation, mais qui veulent la changer. La situation de leur pays, la situation du monde.
Les Echos : En quoi l’élection de Barack Obama constitue un espoir et une espérance ?
O. S. : L’espoir réside dans le fait de changer le monde parce qu’aujourd’hui la crise au niveau mondial est criante. Je crois que la victoire d’Obama concerne non seulement l’intérieur des Etats-Unis, mais aussi la place que ce pays occupe dans le monde. C’est une grande puissance qui a un grand leadership dans le monde. Je crois que tout changement qu’Obama peut amener à ce niveau est un nouvel espoir qui s’ouvre à tous les peuples du monde pour qu’on puisse faire face aux grandes crises que le monde connaît aujourd’hui pour la résolution desquelles les Etats-Unis peuvent avoir une position importante.
Les Echos : En votre qualité de secrétaire politique de l’Adéma/PASJ, quelle analyse faites-vous de l’élection d’un Noir à la tête des Etats-Unis ?
O. S. : D’abord que nous pouvons dépasser nos propres clivages et que la diversité quand elle est bien vécue et assumée, elle peut permettre de faire des progrès. Obama fait partie aujourd’hui d’une minorité du point de vue de sa race (il est métis) avec une branche africaine et une branche européenne. Je crois que sa victoire est celle de la minorité.
C’est la victoire aussi qu’on doit voir le monde autrement. Le slogan politique d’Obama n’a pas été un slogan politique sectaire. Il a été un unificateur. Bien qu’étant d’une minorité, Obama n’a jamais porté le slogan politique de cette minorité. Il a porté le slogan politique de l’ensemble du peuple américain. Je crois que cette lecture politique est extrêmement importante.
Il faut toujours mener une bataille collective. C’est dans une approche collective qu’on arrive même à résoudre les problèmes individuels. Voilà la lecture politique de la victoire d’Obama. Il faut qu’on se mobilise politiquement nous, les Maliens autour d’un projet collectif, il faut qu’on sorte des projets individuels. Personne ne peut construire son bonheur individuel dans un océan de misère.
Les Echos : Selon vous, quel impact va avoir la victoire d’Obama dans la politique internationale notamment en matière de lutte contre le terrorisme ?
O. S. : Je crois que la position de l’équipe précédente dirigée par le président Bush, a attisé la crise mondiale. Ce qu’on sait un peu des intentions d’Obama, c’est vraiment de changer cette image des Etats-Unis dans le monde en sortant de cette logique guerrière dans laquelle ils étaient tout en étant très vigilants sur la question du terrorisme. Mais il faut qu’on arrête cet intégrisme à rebours parce que la politique de Bush était « utilisons l’intégrisme pour lutter contre l’intégrisme ». Je crois que l’arrivée d’Obama peut décrisper, dépassionner la scène mondiale autour de cette question de terrorisme.
Les Echos : Qu’est-ce que cette victoire d’Obama va changer dans la politique africaine des Etats-Unis ?
O. S. : Quand il y a l’espoir et la justice quelque part, il faut toujours se réjouir en tant qu’Africain. Mais, je pense aussi qu’il ne faudrait pas que nous Africains, on s’installe dans l’illusion que c’est Obama qui va venir changer l’Afrique. Obama n’est pas un Africain même s’il est d’origine africaine, il demeure citoyen américain. Donc, il va s’attaquer aux problèmes américains dans l’intérêt du peuple américain.
Il faut que cela soit très clair dans nos têtes et qu’on ne fasse pas de confusion là-dessus. Peut-être qu’on va avoir maintenant un interlocuteur un peu plus ouvert qui sera un peu plus à l’écoute des Africains. C’est à l’épreuve qu’on verra tout ça. On peut avoir un interlocuteur plus ouvert, mais je crois que ce qui est fondamental qu’il faut comprendre et en étant qu’Africain la leçon que je peux tirer, le fait de porter l’espoir peut être un moyen pour nous de faire face à nos problèmes.
Il faut qu’on ait la capacité aujourd’hui comme Obama veut faire et qu’on se donne les moyens de le faire dans nos pays, dans nos continents. Voilà la leçon en tant que politique africain que je tire. Ce qu’Obama a fait dans son pays, il faut que nous, nous nous donnons la capacité de le faire dans notre pays. Et c’est de là que le changement viendra.
Les Echos : Autrement dit, l’Afrique ne doit pas s’attendre à grand-chose de lui ?
O. S. : Il ne faut pas qu’on s’installe dans l’illusion que c’est Obama qui va venir changer l’Afrique. Obama n’aura même pas peut-être à changer l’Afrique parce qu’il est Américain. Il va se battre pour l’intérêt des Américains. Les intérêts des Américains ne sont pas forcément les intérêts des Africains. Je crois qu’il faut qu’on soit très lucide à ce niveau. Face à cet engouement général des Africains, il faudrait qu’on soit lucide, qu’on ne se dise pas que c’est Obama qui va venir changer l’Afrique. Je crois que ce que Obama a porté et qui est très important : le rêve.
Il a porté le rêve du changement et il a réussi à faire adhérer les Américains à ce rêve. Il faut que nous aussi en Afrique face au désespoir dans lequel la jeunesse africaine est installée, soit capable de créer un rêve africain, de créer un rêve pour leur pays et de le porter. C’est ça qui va amener le changement en Afrique et non la victoire d’Obama.
Les Echos : Quels sont déjà les défis qui se posent au président élu ?
O. S. : Je crois que le premier défi auquel le président Obama doit faire face, c’est la crise financière que le monde connaît. La deuxième tâche va être peut-être d’essayer de changer l’image des Etats-Unis. Malgré tout, quand on prend les 8 années de la présidence de Bush, l’image des Etats-Unis dans le monde s’est beaucoup dégradée pour plusieurs raisons : la guerre d’Irak qui a été faite de façon unilatérale. L’autre responsabilité d’Obama va être la construction d’un nouveau type de rapport entre les Etats-Unis et le reste du monde. Autrement dit, que les Etats-Unis retrouvent une bonne place dans le système multilatéral international, que les Etats-Unis aident les Nations unies à faire bien leur travail plutôt qu’à se substituer à elles.
Les Echos : Quelle image gardez-vous de la façon dont Obama a mené sa campagne électorale ?
O. S. : Ce que j’ai retenu, c’est qu’Obama a innové beaucoup dans la façon de mener sa campagne aux Etats-Unis. Obama a utilisé tous les moyens modernes de communication notamment les nouvelles technologies. Je crois que c’est extrêmement important. Cela doit nous servir tous d’exemple qu’aujourd’hui en nous appuyant sur les nouvelles technologies, sur la communication, sur la mobilisation, sur la qualité du message, ça doit servir de leçon pour nous les politiques afin de changer nos pratiques.
Deuxièmement, Obama s’est appuyé sur l’argent des autres pour faire sa campagne. Il n’est pas allé avec l’idée de distribuer de l’argent aux autres. Il a plutôt cherché à avoir l’argent des autres pour soutenir son projet. La leçon qu’on doit tirer de Obama, c’est que lorsqu’on a un projet et que les gens l’adhèrent, ils sont prêts à donner d’eux-mêmes pour sa réussite.
Donc, il faut remettre le projet au centre de la politique surtout pour nous qui sommes, dans les pays démocrates en construction. Or, les pratiques actuelles nous oublions le projet en pensant qu’on peut acheter l’électorat. Ça ne construit pas la démocratie. Personnellement, voilà la leçon en terme politique que je tire aussi de la victoire de Obama.
Propos recueillis par
Mohamed Daou
06 Novembre 2008