Partager

De l’origine de la crise à la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM) en passant par le contentieux pendant devant les tribunaux et la médiation avortée du Haut conseil islamique, le candidat du Groupement des commerçants du Mali, Ousmane Guittèye, opposé à Jeamille Bittar à l’élection consulaire du district, nous entretient. M. Guittèye déclare que le récent arrêt de la Cour suprême est loin d’être une victoire pour M. Bittar et la lutte ne fait que commencer. Interview.

Les Echos : L’élection consulaire de la Chambre de commerce et d’industrie de Bamako, à laquelle vous êtes candidat contre le président sortant Jeamille Bittar, au nom du Groupement des commerçants du Mali, est dans l’impasse. Pourquoi cette crise que la CCIM n’avait jamais connue ?

Ousmane Guittèye :
La crise qui perdure est née des suites d’élections truquées. A Bamako, il y a eu tout sauf des élections. Tous les moyens sont bons pour gagner dans une élection, c’est vrai. Mais, il faut utiliser des moyens conventionnels. Si un candidat triche à visage découvert, au dépouillement, on doit pouvoir faire la part des choses. Le jour des élections, le président de la commission d’organisation a fait évacuer la salle de vote sous prétexte qu’il va faire simplement les dépouillements. La foule des partisans des deux candidats a été chassée de la cour du Centre international des conférences de Bamako. Les huissiers et même la presse, qui étaient dans la salle pour faire uniquement leur travail, ont été priés de quitter. Mais, le dépouillement même n’a pas eu lieu cette nuit-là. Ça été fait le lendemain. Tout cela avait pour dessein d’orchestrer un coup bas. La suite est connue ; Bittar a été déclaré vainqueur avec plus de 405 procurations contre zéro procuration pour notre compte. Les mêmes tripatouillages continuent malheureusement.

Les Echos : La crise perdure, vous l’avez dit. Votre camp a porté plainte au Tribunal administratif, qui a confirmé le résultat des urnes. La Cour suprême que vous avez saisie a confirmé le verdict précédent. Vous sentez-vous vaincu ?

O. G. :
Attention ! Pour nous, le Tribunal administratif et la Cour suprême n’ont pas confirmé la victoire de x ou de y. Ils ont tout simplement refusé de juger le contentieux. Le Tribunal administratif a dit, que notre plainte est irrecevable. Nous avons saisi la Cour suprême qui dit qu’elle préfère s’en tenir à la décision du Tribunal administratif. Nous avons alors jugé utile de déposer séance tenante un recours en révision. Une nouvelle procédure qui commence devant la même Cour et elle est suspensive. On attend de voir si elle acceptera de la juger ou non. Nous ne nous sentons pas du tout vaincu comme le prétendent certains. Ce n’est pas encore l’épilogue. Bittar ne sera pas installé président de la CCIM tant que notre recours en révision n’est pas vidé et le contentieux définitivement clos. Aucun bureau ne sera installé par lui au nom des commerçants. Mais, ce que je puis vous dire, c’est que la patience est un long chemin doré. On ne sait pas ce que demain nous réserve. Ce qui est sûr, on se battra jusqu’au bout.

Les Echos : La commission électorale a fait l’objet de beaucoup de critiques. Elle a été même accusée d’avoir pris de l’argent pour accepter le tripatouillage. Etes-vous de cet avis ?

O. G. :
La commission électorale n’a pas été transparente du tout. Pour ce qui est des pots-de-vin qu’elle aurait reçus, je n’exclus aucune éventualité. Mais, je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain tant que je n’ai pas la preuve matérielle. Or il serait utopique d’avoir une telle preuve quand il s’agit de corruption. Toutefois, la commission est ce qu’elle est. Je n’ai que faire d’elle. Si elle est en faute, les tribunaux sont là pour dire le droit et rien d’autre. Le problème et la pire des choses est que la justice refuse de juger le litige. Il fait un déni de justice comme ça se dit dans le jargon judiciaire. Je le dis haut et fort, que toutes les erreurs émanent de la commission électorale que le tribunal se doit de rectifier s’il n’y a pas anguille sous roche. Nous ne désespérons pas. J’ai personnellement l’intime conviction que ce serait réglé. Donnons le temps au temps, la vérité finit toujours par triompher.

Les Echos : Il y a l’histoire des fameuses procurations que vous avez signalées tantôt. Pourquoi les procurations pour Bittar et non pour vous ?

O. G. :
Ce qui s’est passé avec les procurations, Dieu est témoin et les Maliens aussi. Le faux maire qui a signé les procurations a été par la suite emprisonné à la veille de la fête de Tabaski pour faux et usage de faux, usurpation de titre. Nos avocats ont tout décrit dans leur plainte. Je ne vais pas rentrer dans les détails pour ne pas être prolixe. Cependant, comprenez que le signataire des procurations se retrouve en même temps suppléant sur la section commerce de la liste Bittar ? Jugez- en vous même. Mon combat est que le bon Dieu guide le pas de nos juges qu’ils aient un esprit de jurisprudence pour dire le droit.

Les Echos : Quelques jours avant l’arrêt de la Cour suprême, le Haut conseil islamique a entrepris une médiation. Qui l’avait mandaté ? La médiation a-t-elle réussi ?

O. G. :
L’initiative est venue du président de la République. J’avoue tout de suite qu’elle a été un échec. Cela était prévisible. Pour qu’une médiation réussisse, il faut que la vérité soit dite. En quelque sorte faire une sorte de « vérité et réconciliation ». Tous les acteurs concernés par cette médiation doivent reconnaître cette vérité et aller dans ce sens. Dans une médiation où chacun dit ce qu’il veut et refuse le point de vue de l’autre, la démarche est d’emblée vouée à l’échec.


Les Echos : D’aucuns disent que Bittar a un soutien dans l’ombre qui lui permet de remporter toutes les victoires tant dans les urnes qu’au niveau juridictionnel. C’est votre avis ?

O. G. :
Ça se passe de tout commentaire. Bittar n’est pas plus fort que tout notre groupe ni physiquement, ni intellectuellement, ni tactiquement. Mais chaque fois, dans une étape, que ce soit aux élections ou au tribunal, il proclame toujours sa victoire d’avance. Cela s’est toujours réalisé. Maintenant que nous avons accepté de donner le temps au temps, tous les Maliens savent aujourd’hui la réalité des choses.

Les Echos : Concrètement, qu’est-ce que vous reprochez à la personne de Bittar ?

O. G. :
Je vous renvoie à l’actualité. La Casca, cette structure de contrôle des services publics et parapublics a rendu public son 10e bulletin dont le contenu a été relayé ces derniers temps par la presse nationale. Le rapport a été remis à la présidence de la République et au procureur anti-corruption. Le bulletin qui épingle pas mal de structures contrôlées, a relevé des irrégularités à la CCIM sous la présidence de Bittar. L’essor de nos activités commerciales dépend de la CCIM. S’il y a des pratiques de ce genre à ce niveau, cela nous tracasse énormément. Nous voulons le changer pour que la gestion de la CCIM soit plus saine. Et puis, c’est quelqu’un qui n’a pas le sens du respect des aînés.

Les Echos : Quelle solution allez-vous accepter pour dénouer la crise définitivement ? Accepteriez-vous une gestion consensuelle ?

O. G. :
Pour nous, il faut que le droit soit dit. Le droit pour nous aussi, c’est de juger l’affaire au fond. En élection, il n’y a pas de gestion consensuelle. On gagne pour gérer les affaires, ou si on perd, on se résigne pour attendre une autre échéance.


Propos recueillis par
Abdrahamane Dicko

12 Février 2007.