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Pour un coup d’essai, notre jeune compatriote Ousmane Diarra, bibliothécaire au Centre Culturel français, frappe fort avec deux titres en un an: Vieux lézard et Pagne de femme, chez Gallimard. Assez donc pour tracer un sillage qui révèle une inspiration féconde où la trame du récit se dévoile en clair obscur, comme pour éprouver le nerf du lecteur impatient. Il semble d’ailleurs que ce qui importe pour l’auteur, c’est non pas tant le thème que ce qui le porte, c’est-à-dire le style, à la manière de l’esthète.

L’histoire de Sakira ne se révèle être un conte qu’au point final. Par son entremise, cependant, nous est restituée une société complexe à la limite entre ville et campagne, ou plutôt l’une dans l’autre ; vison à travers laquelle traditions et modernité sont le versant l’un de l’autre, alors que la victoire de l’islam sur les religions du terroir n’est qu’un vernis.

La liberté de composition du narrateur est égale à sa liberté sémantique. Expérimentée dans le premier roman, celle-ci prend toute sa part dans le second, au point d’être quelque fois déroutante. Occasion d’être définitivement fixé sur l’immense influence de Ahmadou Kourouma sur la jeune génération, qui fructifie davantage le métissage du français, au point de le marier, comme le fait Ousmane Diarra, dans une même expression aux parlers locaux. Locuteurs étrangers, à vos imaginations !

Ce viol textuel du français se déroule ici, dans les deux récits, à l’intérieur d’une fresque sociale habillée d’épique, qui fait que la simple histoire d’amour entre Sakira et vieux lézard n’est possible que dans le décor d’une société habillée de ses bouleversements, de sa dynamique et de ses contradictions. De. la même façon, ce sont ces nuances chatoyantes qui déteignent, à plus forte raison, sur le style de Pagne de femme, une chronique de la double agression d’une nation nègre par le jihad et un régime dictatorial. C’est dans cette atmosphère où tout va de travers qu’explosent, grâce aux mots et aux tournures, toutes les imperfections, les tares mais aussi les potentialités de la gent humaine et du groupe social.

Si donc le parler local acquiert, à l’intérieur de la même phrase, la même dignité que le français, attendons de savoir ce qu’il en sera de ce laboratoire dans les oeuvres à venir, tant il défie la contrainte de la nécessaire normalisation en ces temps de mondialisation.

Quant à la nature des oeuvres de Diarra, nous avions noté le caractère quelque peu insulaire, ou sinon singulier de Vieux lézard par rapport à la tradition des devanciers. Le récit entre un homme de chair et une djinn est assez connu dans les contes du terroir pour situer un auteur dans une école. Mais après tout, c’est le conte qui a fait la renommée de Birago Diop en pleine littérature engagée.

Or concernant le thème de l’engagement, non seulement Page de femme en est un bel exemple, mais il semble, tous comptes faits, que la cible de la jeune génération, c’est l’Afrique elle même qui exaspère tant de ne pas relever ses défis. Ce qu’illustre ce récit foisonnant. La jeunesse d’Ousmane Diarra promet des textes encore plus accomplis dans le futur. Bon vent, jeune confrère !

Pascal Baba Couloubaly Ecrivain

24 avril 2007.