«Rien ne justifie qu’on impose un permis de conduire aux motocyclistes. Rares sont les parents qui vont se hasarder à payer des motos à leurs enfants ou des maris qui vont en offrir à leurs épouses alors qu’ils ne savent pas conduire», souligne un inspecteur de police ayant requis l’anonymat.
Il ajoute, «je pense qu’il faut surtout insister sur le port du casque et renforcer la sensibilisation voire la répression des excès de vitesse qui cause beaucoup plus d’accidents mortels que la méconnaissance du code de la route».
«Autant imposer un permis de conduite aux piétons, aux charretiers et pourquoi pas aux piétons qui ignorent tous le code de la route et sont aussi à l’origine de beaucoup d’accidents dans la ville», plaisante l’un de ses agents. «Ce qui est sûr, c’est que personne ne voit le bien fondé de l’imposition d’un permis de conduire aux motocyclistes, en tout cas pas «avec nos petites cylindrées».
«C’est évident que le port de casque va beaucoup gêner les femmes et les filles à cause de nos modes de coiffures. Mais, nous sommes prêtes à le porter si cela doit nous préserver de la mort en cas d’accident», souligne Mme Soumaré, laborantine de son état et propriétaire d’une Yamaha 90.
Même résignation de la part de l’étudiante Christine Somboro et de ses camardes. «Rien ne vaut la vie humaine. Nous sommes prêtes à renoncer à nos belles coiffures pour porter les casques. Tant pis si nous ne sommes plus séduisantes ! L’essentiel c’est de rester en vie en attendant d’avoir une voiture pour séduire les mecs», dit-elle avant d’enfourcher sa Jakarta sous les regards admirateurs de ses copines.
Le casque accepté, le permis rejeté
Nos investigations font ressortir qu’une grande majorité d’usagers pense que le port du casque est «un sacrifice nécessaire».
Autant ils sont prêts à se plier à cette nouvelle expérience sécuritaire déjà expérimentée dans le pays durant les années de dictature, autant ils sont révoltés par la décision de la DNTM de leur imposer un permis de conduire et une plaque minéralogique.
«C’est une farce !», commente un jeune confrère. «Décidément, les autorités ne savent plus ce qu’elles doivent faire pour renflouer les caisses du Trésor ou pour assurer la sécurité des citoyens», ajoute-t-il.
«Les vignettes ne leur suffisent plus ! Il faut maintenant que nous nous ruinons pour assoupir leur phobie sécuritaire», indique Amara Doumbia, mécanicien. «Je ne sais pas où ils ont exhumé cette législation désuète pour venir nous compliquer la vie et s’enrichir davantage dans un nouveau trafic», s’interroge Michel Sanou, agent d’ONG.
«Si nous acceptons aujourd’hui les permis de conduire, ils vont bientôt nous imposer la visite technique», prévient Aïssata Coulibaly, commerçante à Korofina Nord.
«S’ils s’inquiétaient réellement de la sécurité de nos enfants, on allait plus assister tous les jeudis et dimanches à des Safaris dans nos villes. Combien de jeunes ou d’adolescents sont aujourd’hui au cimetière ou handicapés pour la vie parce que les autorités ne peuvent pas s’assumer pour interdire les cortèges ? Combien de gens innocents ont perdu la vie à cause de cette conduite folle et irresponsable sur nos artères et dans nos rues ?»,s’interroge une responsable communale de la CAFO
«C’est l’idée la plus saugrenue que les décideurs ont adopté depuis l’avènement de la démocratie. Même le régime dictatorial n’avait osé imposer cela au peuple. Je ne vois aucune utilité du permis pour les motocyclistes, donc aucune nécessité de l’imposer aux motocyclistes qui connaissent souvent mieux le code de la route que des chauffeurs. Les associations de consommateurs ne doivent jamais accepter l’application d’une telle mesure», souligne un cadre de parti politique.
«L’insécurité routière est beaucoup plus liée à l’impunité qui entoure les violations du code de la route et non à leur méconnaissance. A Bamako par exemple, tout le monde conduit comme il veut sous le regard amusé et complaisant des citoyens et des forces de sécurité. Je pense par exemple qu’une répression rigoureuse des excès de vitesse permettra de mieux circonscrire les accidents de la circulation que l’imposition d’un permis de conduire aux conducteurs de moto», reconnaît discrètement un agent de la DNTM qui n’adhère pas à cette décision de sa direction.
Combattre d’abord l’incivisme et l’impunité
«Ils sont toujours pressés de nous appliquer les réalités d’autres pays sans compter de nos spécificités socioculturelles. Si en France on accepte de prendre le permis pour conduire les motos, cela n’est pas possible chez nous compte tenu du rôle social et économique des engins à deux roues.
Combien de travailleurs vont au travail grâce à la moto ? Combien d’élèves et d’étudiants n’ont de soucis de déplacement aujourd’hui parce que disposant d’un engin à deux roues ? Imaginez que ces gens laborieux sont prêts à renoncer à ce moyen de déplacement sous prétexte qu’ils n’ont pas pu passer un permis ?», s’interroge Moussa Magassa, un professeur de philosophie et d’ECM dans certains lycées privés du district.
Il rejoint l’agent de la DNTM en soulignant que, «les accidents sont beaucoup plus du fait de l’incivisme et de l’impunité que de le méconnaissance des règles de la circulation par les motocyclistes».
«Aujourd’hui, au moins 60 % de la population travaillent à l’aide de la moto. Cela est une donne non négligeable dans la prise de toute décision politique. Contrairement à l’Europe voire même à l’Occident ils sont presque des loisirs, les engins à deux roues se sont imposés dans nos sociétés. Ils ont donc un rôle socioéconomique indéniable et bien ancré. Je pense que la décision d’assujettir leur conduite à l’obtention d’un permis n’est pas bien réfléchie. Elle ne répond objectivement à aucune considération sécuritaire sinon autant demander à tous les usagers de route de prendre un permis», analyse un sociologue.
A son avis, il n’est pas exclu que l’application de cette mesure puisse susciter des remous sociaux. «Le permis est banalisé dans nos pays. Ce n’est plus une garantie de la bonne conduite dans la circulation. 90 % des accidents de voitures sont causés par des gens qui ont un permis de conduire qu’on peut obtenir de toutes les façons. Les autorités ne sont jamais parvenues à assainir l’obtention de ce sésame parce que c’est un réseau qui a ses ramifications dans les services de la DNTM. Et l’imposition de permis pour les motos va plus profiter à ce réseau qu’à la sécurisation des usagers», poursuit-il.
Pour lui, les engins à deux roues sont plus nombreux à Ouagadougou qu’à Bamako. Mais, ils y font moins de mort parce que l’Etat sait se faire respecter en imposant le civisme à tous. Mieux, de nos jours, rarement les motos et les voitures empruntent la même voie dans la capitale burkinabé. «C’est une expérience qui aurait dû inspirer nos autorités», suggère une commerçante.
Prêts à en découdre
C’est surtout au niveau des élèves et étudiants que la révolte est inquiétante. «Nous sommes prêts à en découdre lorsqu’ils se décideront à mettre en pratique leurs fausses mesures de sécurité», nous dit un groupe de lycéens.
«Nous avons enterré nos revendications et accepter d’étudier dans la sérénité. Mais, apparemment, les autorités n’aiment pas la paix sociale dans ce pays sinon elles ne joueraient pas à nous provoquer. Nous avons sensibilisé nos camarades dans le sens du port du casque. Mais, nous sommes farouchement contre le permis parce que cela n’est pas raisonnable dans un pays comme le Mali où la majorité des gens roule à moto», prévient un responsable de l’AEEM.
«S’ils parviennent à imposer le permis et les plaques d’identification aux porteurs d’uniformes, nous allons les suivre. Dans le cas contraire, ils doivent se préparer à mater une révolte sociale», indique Siaka Diaby, étudiant à la FSJE.
Son pote, Mohamed est plus catégorique. «Nous ne prendrons jamais le permis et gare à ceux qui vont oser confisquer nos motos à cause de cela», avertit-il.
“J’ai l’impression que ces gens veulent volontairement susciter des remous sociaux pour compliquer la tâche à ATT. Constamment humiliés par les difficultés quotidiennes, les Maliens méritent qu’on leur foute la paix”, souligne un étudiant en socio anthropologie à la FLASH.
La présumée sécurité routière vaut-elle qu’on y sacrifie la paix sociale ?
Moussa Bolly
Déjà la spéculation
Le port du casque risque bientôt de se heurter à un obstacle sérieux : le prix ! Malheureusement, les craintes des usagers sont en train de se confirmer. Entre supercherie et spéculation, des commerçants ne lésinent plus sur les moyens malhonnêtes pour tirer le maximum de profit de cette obligation du port du casque.
«Avant la campagne d’information et de sensibilisation qui passe présentement sur l’ORTM, le casque se vendait entre 5000 et 7 500 CFA. Mais, aujourd’hui, il faut débourser entre 10 000 et 12 500 FCFA. Et il faut s’attendre à ce que les prix doublent d’ici un mois», s’offusque un usager.
Et ils ne sont pas au bout de leurs peines puisque certains vendeurs font de la rétention de marchandises afin de créer une rupture volontaire sur le marché et s’enrichir davantage.
Il y a peu de temps, on rencontrait certains vendeurs même à des carrefours. Aujourd’hui, il faut se rendre au marché pour pouvoir payer un casque. Et même là, il faut souvent faire le tour des boutiques avant d’en trouver.
«Les grossistes nous disent qu’ils n’ont plus de casques et que leurs commandes ne sont pas encore arrivées à Bamako. Mais, au même moment, nous voyons des cartons de casques sortir au compte goûte pour être vendus plus cher que d’habitude», se plaint un vendeur ambulant.
Pour que sa nouvelle mesure soit efficace et puisse atteindre ses objectifs, la DNTM doit réguler la vente des casques. Quitte à lancer un appel d’offres pour approvisionner les marchés et à imposer un prix unique. Cela aura le mérite de mettre fin à la spéculation qui s’installe et surtout de mettre à la disposition des usagers des produits de qualité répondant aux normes sécuritaires recherchées.
M.B
07 mars 2006.