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Demain s’ouvrira par le premier ministre l’un des trois principaux fronts essentiels à la réalisation du projet présidentiel de développement économique et social. Il s’agit des états généraux de la lutte contre la corruption et la délinquance financière, un volet particulièrement sensible et qui inquiète plus d’un.

La lettre de cadrage remise par le président de la République au chef du gouvernement instruit à Modibo Sidibé, entre autres, de s’attaquer à la résolution des grandes questions auxquelles le pays est confronté depuis des lustres. Il s’agit notamment de la pénurie alimentaire, de la crise du système éducatif et du fléau social que constitue la corruption.

Dans les trois cas, la volonté du premier ministre de trouver des solutions durables a été perçue, par les adeptes de la politique trash, comme l’expression d’ambitions personnelles pour la présidence de la République.

A plus de trois années de l’échéance électorale, occultant la nécessité de trouver des réponses adéquates et rapides aux maux qui rongent la société, la classe politique, majorité et ceux qui s’opposent à elle, s’est installée dans un débat inattendu et pour le moins ambigu.

Pourquoi craint-elle que le président de la République et son chef de gouvernement s’intéressent de trop près à ces questions ? Qu’a-t-elle à y perdre ?

Sur le premier point, les politiques n’ont plus rien à y redire. Après avoir longtemps gesticulé et pesté inutilement, ils se sont rendus à l’évidence : l’Initiative riz s’est révélée un succès, au-delà même des prévisions.

Mais que les pourfendeurs d’hier, pour en avoir perdu leur si cher latin, aient l’élégance, l’honnêteté et la courtoisie de reconnaître que le Mali est débloqué, que la patrie a évité le danger de la famine, que la démocratie est dépannée, est une autre paire de manches.

S’agissant de l’école, deuxième point, si le forum national sur l’éducation s’est tenu en présence de tous les acteurs, le rapport est toujours attendu d’être connu du grand public. Mais déjà, il serait bon de souligner que le système éducatif gagnerait beaucoup à voir l’application concrète et effective des résolutions issues des travaux.

Mais cela, contrairement à ce que prétendent les pourfendeurs, n’est pas seulement l’affaire du président de la République et du premier ministre. En premier lieu, il est impératif que l’école soit délestée des considérations politiciennes.

Ces dernières années, l’expérience a démontré que les syndicats d’enseignants et les associations scolaires et estudiantines se sont laissés manipuler et instrumentaliser par la classe politique. Ils ont, à plusieurs reprises, cédé à la tentation de se substituer au pouvoir, en posant des revendications démesurées et guidées par le souci de déstabiliser les autorités, au lieu de remplir leur mission de contre pouvoir beaucoup plus à leur portée.

Ainsi, malgré les maladresses de l’actuel ministre en charge des enseignements secondaire et supérieur et la surenchère des syndicats enseignants, les récentes empoignades auraient pu être évitées.

Concernant la gestion scolaire, les parents d’élèves ont trop souvent perdu de vue la raison pédagogique au bénéfice de passions politiciennes. Difficile dès lors de ne pas voir la main de la classe politique, prompte à la division, derrière différents bras de fer.

La preuve ? Depuis 1990, la seule accalmie qu’a connue l’école se situe fort opportunément dans la période au cours de laquelle le ministère de l’éducation (alors seul département en charge de tous les ordres d’enseignement, donc plus difficile à gérer) était dirigé par un politique « professionnel », avisé et très au courant des pratiques fractionnelles, le prof. Mamadou Lamine Traoré. Beaucoup l’ont d’ailleurs accusé d’avoir divisé pour régner.

Pour en revenir au forum, tous les aspects de toutes les questions y ont été débattus en présence de tous les acteurs concernés. La bonne application des résolutions ne dépend plus que de la bonne foi des uns et des autres, mais également de la réelle volonté des autorités à respecter leurs engagements propres.

Le troisième point concerne l’épineuse question de la lutte contre la corruption et la délinquance à col blanc. Si certains s’étonnent de la tenue de telles assises qu’ils jugent inutiles, beaucoup d’autres se demandent pourquoi le président a si tardé à donner le feu vert à son chef de gouvernement. Cette question, en effet, a toujours préoccupé Amadou Toumani Touré qui, déjà, dès 1991, quelques semaines après sa prise de pouvoir l’avait inscrite à son agenda. Qu’on se rappelle le fameux « kokadjè » de l’époque.

L’initiative a tourné court après l’installation de la troisième République. Parmi les nombreux reproches faits à l’ancien régime figuraient en bonne place la corruption et la délinquance financière. Pourtant, c’est sous la troisième République que les pratiques de corruption et de délinquance financière, qui n’étaient l’apanage que d’un groupuscule proche de l’ancien chef d’Etat, Moussa Traoré, en sont venues à se généraliser et à affecter tous les rouages de l’administration.

A ce jour, le citoyen lambda se demande comment, seulement en dix ans, de 1992 à 2002, les nouveaux dirigeants, enseignants ou d’autres professions peu rémunérées pour la plupart, se sont trouvés subitement, comme par miracle, roulant dans de grosses cylindrées, habitants des villas cossues, disposant de colossaux fonds dans plusieurs comptes bancaires.

Il veut comprendre, ce citoyen lambda, comment les hauts commis de l’Etat se sont reconvertis en entrepreneurs ou se cachent derrière de grands opérateurs économiques qui raflent tous les juteux marchés publics. Comprendre comment ces mêmes hauts fonctionnaires se retrouvent actionnaires de sociétés et entreprises d’Etat qu’ils avaient auparavant coulées puis bradées.

Comprendre enfin comment les délinquants à col blanc sont rarement inquiétés par la justice. A rappeler également que, démocratisation aidant, le Mali a reçu au cours de la décennie Konaré des millions de milliards de dollars, à titre de prêts, subventions et dons, sans que jamais aucun audit n’ait été fait sur l’emploi et l’utilisation de ces fonds. Pouvait-il en être autrement ?

L’une des résolutions des présents états généraux doit se pencher sur la question. Est-ce cela que craignent les politiques ? Il faut le croire. Parce que ceux qui s’agitent le plus sont justement ceux qui étaient aux affaires au moment des faits. C’est-à-dire l’Adema et associés.

Qui sont ces derniers ? Il faut rappeler que pendant de longues années, les principaux acteurs politiques, qu’ils soient actuellement de la majorité ou de la supposée opposition, ont cheminé ensemble. Le PASJ a donné naissance au RPM, le CNID au Parena, au Bara et à la Sadi.

Tous les responsables de ces partis ont participé à la gestion effective des affaires, notamment lors du premier quinquennat Konaré, au moment du cafouillage (période propice à l’enrichissement rapide et sans garde-fou) qui a suivi la transition.

Normal donc que les politiques voient derrière les états généraux de la lutte contre la corruption et la délinquance financière la main inquisitrice et justicière du policier chef de gouvernement. Lequel n’aspire qu’à répondre à la légitime question du peuple de savoir comment une simple infection est devenue une gangrène.

Cheick Tandina

24 Novembre 2008