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Depuis 1960 la visite d’un ministre français de l’Intérieur – ils ne furent pas nombreux à venir – au Mali constitue en elle-même un événement, le plus souvent sur le mode majeur. La présence de nombreux ressortissants Maliens dans ce pays donne aux visites des dirigeants français une tournure qu’elles ne prennent pas dans d’autres pays.

Dans cette affaire, c’est la France, la première, qui fut demandeuse de main-d’œuvre bon marché à partir de 1945 pour sa reconstruction et les Maliens, aussi bien que beaucoup d’autres Africains, y ont répondu nombreux. Mais à partir de 1974-1975, peut être même avant, estimant sa reconstruction terminée, la France, unilatéralement, décida de verrouiller ses frontières et, pire, de renvoyer chez eux certains des nombreux Maliens qui s’y trouvaient.

Pendant ce temps, d’autres, gueulant leur faim et leur soif pour cause de sous-emploi et de chômage, demandaient à rentrer en France et à y rester coûte que coûte, d’où la chanson de Salif Kéita « Nous pas bouger » qui fit un tabac dans la sous-région. Depuis cette période, la France entretient avec ce pays des relations diplomatiques difficiles dues essentiellement aux traitements inhumains quotidiennement infligés par les autorités françaises à nos compatriotes résidant dans ce pays.

Déjà sous Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) on eut droit à quelques expulsions spectaculaires qui ne firent pleurer que les seules familles des expulsés. Des Maliens, ramassés dans les rues, d’autres pris par la police française dans les cafés, ont été jetés dans les avions de fortune, dans les conditions indescriptibles, en partance pour l’Afrique et ramenés presque manu militari au pays.

Les dirigeants Maliens eurent beau protester à la violation des accords de coopération liant les deux pays, on les prit pour des imams fainéants prêchant dans le désert. Même le long règne des socialistes français (1981-1995) n’épargna pas les immigrés Maliens. Non seulement les autorités françaises filtrèrent sévèrement les entrées, mais avec démagogie continuèrent d’expulser.

Pire, il fut demandé aux responsables maliens de récupérer certains de leurs enfants nés sur le sol français et appelés pour cette raison les immigrés de la 2e génération ou les enfants issus de l’immigration. Les dirigeants socialistes firent néanmoins un effort en inventant, pour freiner les flux migratoires en direction de leur pays, la notion de co-développement, mais ce ne fut qu’un enfant mort né parce que, aussi bien ses concepteurs que ceux qu’elle était censée aider, ne s’en préoccupèrent guère.

Revenue au pouvoir dans les années 1995-1996, la droite française estima le pays archi-plein de nègres – de Maliens donc – et qu’il fallait en mettre dehors pour permettre aux Français de bien respirer l’air de la Méditerranée. Depuis, c’est la chasse aux nègres dans les pays de France et de Navarre. Les ministres de l’Intérieur ne sont maintenus en fonction que quand le dossier de l’immigration est bien tenu par eux et qu’au moins par trimestre un avion atterrit à Bamako rempli de sans papiers. L’on dit chez nous que « si tu veux que ton bien ne soit pas volé, confie le à un voleur ».

L’actuel ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, enfant issu lui-même de l’immigration – ses parents sont d’anciens ressortissants d’un des pays d’Europe de l’Est – est chargé de pister les nègres et au besoin de les casser. Naturellement, deux pique-assiettes ne pouvant, autour de la même table, se souffrir, il fait du zèle, lui le moins Français de la bande de Chirac. D’où sa formule fumeuse de l’immigration choisie qui pue à pleins gaz de la xénophobie et qui, sortie de la bouche d’un Jean-Marie Le Pen, eût été mieux comprise, mais pas de la sienne à lui, l’enfant des Balkans. Mais en matière de politique d’immigration, les dirigeants français, qu’ils soient de gauche ou de droite, se retrouvent d’accord autour de la même table et se reconduisent comme bonnet blanc et blanc bonnet.

Facoh Donki Diarra
(ISH Bamako)

MOUSSA WANGARA

Une victime pantelante de la loi sur l’immigration

Ce n’est pas de gaieté de cœur que les Maliens vont à l’étranger. La nécessité faisant monter le singe sur l’arbre épineux, ils s’y établissent afin d’aider les parents à s’affranchir de la dictature de la pauvreté et par voie de conséquence à sortir le pays du sous-développement. C’est pourquoi ils acceptent d’être toisés du regard, de subir toutes sortes de brimades… jusqu’à leur expulsion sans ménagement. L’odyssée de Moussa Wangara, une victime de fraîche date de Nicolas Sarkozy.

Du haut de ses 182 cm, Moussa Wangara, ressortissant de la région de Kayes avait choisi la France pour lutter contre la pauvreté ambiante dans laquelle lui et les siens vivent depuis des années. Arrivé à Montreuil en 2002, il élut domicile, rue Bara, dans un foyer d’émigrés en France.

Volontaire et déterminé à travailler dur pour aider sa famille et partant son village pour un mieux-être, M. Wangara, un colosse de 32 ans n’avait pas d’autre choix : travailler honnêtement pour se faire beaucoup d’argent et retourner au bercail.

Sans qualification, il a œuvré dans le secteur des BTP précisément dans le démolissage de vieux bâtiments. Avec un revenu mensuel de 615 euros, soit environ 402 000 F CFA, quatre ans de labeur lui avaient suffi pour arriver à payer les impôts de sa famille, à éponger les dettes contractées par son père pour faire face aux dépenses quotidiennes, à acheter quelques bœufs et à participer à la construction d’une maternité et d’une école de trois classes dans son village natal.

Sans papier, donc en situation irrégulière, Wangara vivait en France la peur au ventre. « Tous les jours je priais Dieu pour qu’on ne me prenne pas », dit-il ajoutant qu’il a fait quatre années sans jamais avoir d’accros avec qui que ce soit. « Il fallait tout accepter, même les injures », témoigne-t-il.

Sympathique et peu bavard, M. Wangara impute son expulsion, il y a 2 mois de cela à son nouveau patron qui n’autorisait jamais les musulmans à prier aux heures de travail. « On se cachait, un à un, on priait sans qu’il ne se rende compte. Un jour, il m’a surpris en train d’accomplir ma prière d’Al Asr. Il a piqué une colère vive et m’a qualifié de terroriste. Et depuis ce jour une mésentente s’est installée entre nous », dit-il les larmes aux yeux.

Espoir brisé

Dans la nuit de jeudi 2 mars dernier vers 20 h ,au moment où il s’apprêtait à emprunter le métro, Wangara a été apostrophé par deux flics qui l’attendaient vraisemblablement. Il fut arrêté et embarqué manu militari, menottes aux mains comme un vulgaire voleur.

« La terre s’écroulait sous mes pieds », raconte-t-il ajoutant que des Français n’ont aucun respect pour les Africains. « Dix jours après on m’embarqua dans un avion pour Bamako. Je n’ai même pas eu droit d’aller rechercher mes bagages ».

Il ne récupérera ses bagages que grâce à la solidarité malienne. De plus, ses « frères » ont cotisé pour lui envoyer l’équivalent de deux mois de salaire.

Wangara garde un mauvais souvenir de la France à cause de la loi sur l’immigration initiée par Nicolas Sarkozy qui, à ses dires, n’est pas Français d’origine. « Les autorités françaises se servent de lui. La France n’est pas reconnaissante à l’Afrique qui lui a tout donné. Sarkozy finira comme Edouard Balladur, Pierre Bérégovoy et autres Charles Pasqua ».

Entreprenant et courageux et en bon Soninké, Wangara ambitionne aujourd’hui de rentrer aux USA pour, dit-il, continuer son combat contre le sous-développement dans son pays.


Idrissa Sako

OUMAR MAIGA, SG DU HCME A PROPOS DE SARKOZY

« Qu’il dise ce qu’il pense et à nous de lui cracher la vérité »

Le secrétaire général du Haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME), Oumar Maïga, s’élevant contre le projet de loi sur l’immigration « choisie » soumise par Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale française, a indiqué que ledit projet aura des conséquences sur l’économie malienne.

La France abrite près de 50 000 migrants maliens qui sont, pour la plupart, des ressortissants de la première région du Mali (Kayes). L’économie de cette région est sensiblement dépendante des transferts de fonds opérés depuis l’Hexagone par ces migrants, en moyenne 45 milliards F CFA par an.

Ces fonds destinés à leurs parents et autres organisations, associations et organismes de développement sont investis dans la réalisation de projets et micros projets de développement ; à savoir : la construction de centres de santé, d’écoles, de forage, de routes entre autres.

Le projet de loi sur l’immigration « choisie » initié par le ministre français de l’Intérieur est une manière, pour l’Etat français, de s’accaparer l’intelligentsia africaine, juge M. Maïga.

« Un sac à problèmes »

« Ils veulent prendre aux Etats étrangers ceux qui peuvent apporter quelque chose à leur économie. Nous pensions que ce projet de loi pouvait nous apporter quelque chose. Mais il est dépassé. Il sera ressenti dans l’économie nationale », poursuit le secrétaire général du HCME, qui constate que sur le sujet, M. Sarkozy et ses compatriotes français ne parlent pas le même langage. Beaucoup de citoyens français sont opposés à l’approbation de cette loi.

Personnellement, le secrétaire général du HCME voit en M. Sarkozy un véritable sac à problèmes. « Au lieu de se focaliser sur la question de l’immigration, il devrait plutôt se consacrer aux problèmes internes dans lesquels son nom est cité (l’affaire Cleanstream, Ndlr). Nos gouvernants devront profiter de sa visite pour le rappeler à l’ordre », indique M. Maïga.

« Il est bon qu’il vienne nous dire ce qu’il pense, et à nous aussi de lui cracher notre vérité ». M. Maïga rend hommage aux nombreux Maliens qui, malgré les conditions difficiles de séjour en France, participent au développement de la nation.

Amadou Sidibé


IMMIGRATION « CHOISIE » EN FRANCE

Des étudiants maliens se prononcent

Suite à l’arrivée annoncée du ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, au Mali, notre reporter a recueilli l’avis de quelques étudiants maliens sur sa nouvelle loi sur l’immigration.

Alou Badra Diallo (étudiant à la Flash) :« La nouvelle loi de Nicolas Sarkozy, « l’immigration choisie », se fera forcément aux détriments des populations africaines surtout de ceux qui veulent émigrer, mais qui n’ont pas de bagage intellectuel. Si les Maliens acceptent cette politique, ça jouera négativement sur notre économie, parce que les immigrés apportent beaucoup à l’économie nationale. Il faudrait que le gouvernement malien fasse quelque chose pour empêcher le vote de cette loi ».

Aboubacar Diakité (étudiant à la Flash) :« Je trouve que « l’immigration choisie » va accentuer la fuite de cerveaux de l’Afrique. L’avenir d’un pays, c’est sa jeunesse. Si la France ne veut que la partie brillante de cette jeunesse, c’est-à-dire les savants, les intellectuels formés par nos Etats, qui va alors contribuer au développement de notre continent ? Cette loi de Sarkozy est une tentative d’assassinat de notre continent. Ce projet de loi est à notre défaveur, il n’arrange que la France. Je veux que la France donne la chance à tous ceux qui veulent partir là-bas ».

Issa Bagayoko (étudiant à la FSJE) :« L’immigration ne doit pas concerner les seuls intellectuels et savants. Quand on va à la source même de l’immigration, on trouve que c’est une pratique qui a commencé depuis le temps des grands empires. On a entendu parler du commerce triangulaire. Ceux qui ont émigré au début, ils ont travaillé et sont revenus riches au pays. La France doit laisser les pauvres qui veulent tenter leur chance en France ».

Propos recueillis par
Sidiki Doumbia
(stagiaire)

16 mai 2006.