Le Mouvement démocratique malien, après avoir joué son rôle essentiel dans la lutte contre la dictature et pour l’avènement de la démocratie, s’est disloqué dans les conditions normales.
La dislocation du Mouvement démocratique est consécutive à la baisse de synergie des forces qui ont scellé, à un moment donné du processus démocratique, des liens politiques qui devaient se solder par la rupture entre les composantes d’un groupe jadis rationnel ayant au départ des projets et ambitions communs.
Le Mouvement démocratique dont les bases constitutives existent à présent, mais n’ont plus la même philosophie politique, les mêmes ambitions pour le Mali, et leurs priorités par rapport à la gestion des affaires publiques, n’est plus le même en janvier/mars 1991.
D’ailleurs, on constate depuis quelques années que les partenaires d’hier sont nombreux aujourd’hui à être des ennemis intimes. Autrement dit, il est impossible pour eux de faire ensemble des projets communs.
En effet, la cohésion du Mouvement démocratique originel est fortement ébranlée. Après l’accomplissement de sa mission fondamentale, chacune de ses composantes a choisi sa voie. Et au fur et à mesure du processus démocratique, les divisions se sont amplifiées entre les différentes parties.
Les acteurs politiques de sensibilités différentes ont tenté de faire ressusciter le Mouvement démocratique malien, d’inciter à des rapprochements entre les acteurs politiques qui ont été des compagnons de lutte, en particulier pendant les périodes de turbulences qui ont abouti à la victoire de la révolution.
A ce sujet, des débats ont été organisés en plusieurs endroits, mais n’ont pas permis aux initiateurs d’arriver à leur fin.
Il est difficile d’affirmer que ces alliances électorales ont été toutes scellées à partir des considérations d’appartenance au Mouvement démocratique.
Le processus démocratique malien est très dynamique et c’est cela qui amène les uns et les autres à envisager des alliances avec ceux qui, selon eux, semblent leur donner plus de chance de succès aux différentes compétitions électorales.
Qu’à cela ne tienne ! Il est imaginaire aujourd’hui de vouloir ressusciter le Mouvement démocratique qui n’était, en fait qu’une union de circonstances. Déjà, avant même la fin de la lutte pour l’ouverture démocratique, il y a eu des divergences de vues et d’approches stratégiques qui ont fortement ébranlé la cohésion du Mouvement démocratique.
Ainsi, le processus démocratique même nous impose le dépassement du Mouvement démocratique, en tant qu’évolution positive susceptible de le consolider.
Malgré les divergences de points de vue, certains militants du processus démocratique estiment que les objectifs du Mouvement démocratique qui sont, entre autres, le développement, demeurent valables.
Anne-Marie Kéita
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Me Drissa Traoré batonnier en mars 1991 : » Le Mouvement démocratique est né le vendredi noir »
Le Mouvement démocratique qui a fait effondrer le régime totalitaire de Moussa Traoré est né, selon Me Drissa Traoré, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Mali en mars 1991 le 22 mars 1991, un vendredi plus connu sous le nom de « vendredi noir » en référence aux massacres qui ont eu lieu ce jour-là.
Dans la chronologie, le 26 mars 1991 et le Mouvement démocratique sont l’aboutissement d’un long processus historique, raconte Me Drissa Traoré ancien bâtonnier du Mali. A sa connaissance, le Mouvement démocratique, c’est-à-dire la coordination dont les efforts conjugués ont abouti à la chute du régime de Moussa Traoré est né le 22 mars 1991.
» Je me souviens, ce jour-là, un avocat, en l’occurrence Me Sidibé m’a appelé. Il m’a dit : Me, si vous ne faites pas quelque chose, les enfants sont en train d’être tués par les militaires. Je vais dans la salle des avocats et là je demande à Me Youssouf Diallo de me transporter sur sa moto pour aller à l’hôpital Gabriel Touré.
A l’hôpital, il y avait des responsables de l’AEEM qui m’ont conduit dans des salles où il y avait des morts et des blessés. Après je me suis rendu au ministère de la Justice où je trouvais les locaux vides. Mais le ministre Sambou Soumaré était dans son bureau. Je lui ai fait le point de la situation.
C’est ce même vendredi après-midi que toutes les associations AEEM, UNTM, Adéma, Cnid, Adide ainsi que d’autres organisations se sont retrouvées à la Bourse du travail pour rédiger la lettre demandant la démission de Moussa Traoré.
Cette lettre, après avoir été lue devant la foule, a été acheminée à Koulouba par les cinq personnes suivantes : Me Demba Diallo, Bakary Karanbé, Me Amidou Diabaté, Moussa Balla Diakité et moi-même Me Drissa Traoré. A mon avis, c’est à partir de ce moment qu’est né un mouvement homogène, c’est-à-dire la coordination des associations pour une unité d’action.
L’historique du Mouvement démocratique ne commence pas cependant, selon d’autres acteurs par ce « vendredi noir », car il faut reconnaître que bien avant le 26 mars 1991, il y a eu beaucoup d’autres événements qu’il serait fastidieux de raconter. Il existait avant mars 1991 des associations notamment l’Adéma, le Cnid, l’AJDP et même des partis clandestins comme le Parti malien pour la révolution démocratique (PMRD).
Les origines du Mouvement démocratique sont à rechercher dans l’interdiction de toute forme de protestation, l’oppression du peuple, la dictature du régime ».
Denis Koné
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Micro-trottoir : Des Bamakois parlent du Mouvement démocratique
Avec la démission des acteurs du Mouvement démocratique, la démocratie malienne est en train d’aller à vau-l’eau. C’est ce qui ressort du micro trottoir ci-dessous. Réactions.
Dramane Diakité (enseignant à la retraite) :
» Ceux qui ont lutté pour l’avènement de la démocratie au Mali ont actuellement démissionné. Les acteurs du Mouvement démocratique ne sont plus actifs. Ce qui fait qu’aujourd’hui notre démocratie va à vau-l’eau ».
Bamba Kanouté (partant volontaire à la retraite) :
» Pour moi, le Mouvement démocratique n’est plus alors qu’il doit être continuel. Il y a beaucoup de choses qui manquent à notre démocratie. On ne doit pas baisser les bras. Le Mali, c’est nous ».
Amadou Coulibaly (retraité) :
» Le Mouvement démocratique a échoué. La démocratie a échoué, car après les événements de mars 91, les gens ont mal compris la démocratie ».
Oumou Sylla (comptable) :
» C’est grâce au Mouvement démocratique que notre pays a connu la démocratie. Sans ce Mouvement, notre démocratie perd ses repères. Le Mouvement démocratique doit renaître de ses cendres ».
Propos recueillis par
Sidiki Doumbia
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Conquête de la Démocratie au Mali :La lutte aura été dure
La période 1990-1991 au Mali a été marquée par la contestation du parti unique et les revendications du multipartisme et de la démocratie.
Les 28 et 29 mai 1990, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) tient son conseil central extraordinaire et déclare : « Considérant que le parti unique constitutionnel et institutionnel ne répond plus aux aspirations démocratiques du peuple malien, le conseil central extraordinaire rejette en bloc le dirigisme politique qui entrave le développement de la démocratie au Mali, opte pour l’instauration du multipartisme et du pluralisme démocratique… »
Alors que les partis politiques sont toujours interdits, plusieurs associations vont être créées. Il s’agit tout d’abord de l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP), née le 15 octobre 1990. Le Congrès national d’initiative démocratique (Cnid) est créé le 18 octobre 1990. Le 25 octobre 1990, l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma) voit le jour. Présidée par Abdrahamane Baba Touré, elle regroupe des militants de plusieurs partis clandestins (US-RDA, PMDR, PMT, FDPM), opposés au régime autoritaire de Moussa Traoré.
A partir de décembre 1990, les associations mobilisent la population. Le Cnid organise une manifestation pacifique qui réunit près de 10 000 personnes à Bamako le 10 décembre 1990, puis, avec l’Adéma, une nouvelle manifestation, unitaire, le 30 décembre 1990, rassemble entre 30 000 et 50 000 personnes dans les rues de Bamako.
Le 6 janvier 1991, comme il fallait s’y attendre, une marche de soutien à Moussa Traoré (la contre marche) est organisée par l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) et presque tous les membres du bureau exécutif central (BEC) et du gouvernement par solidarité ont pris part à cette marche. Elle marque la volonté de l’UDPM de ne plus laisser le champ libre à l’Adéma et au Cnid, deux organisations créées pour revendiquer la démocratie pluraliste.
Les manifestations se poursuivent au début de l’année 1991 : le 18 janvier 1991 à Bamako et le 19 janvier 1991 à Ségou. Le 3 mars 1991, une nouvelle marche est organisée par les deux associations rejointes par l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP) et la Jeunesse libre et démocratique (JLD).
Le 17 mars 1991, l’Adéma, le Cnid et l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) organisent une marche silencieuse en souvenir d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, leader étudiant assassiné le 17 mars 1980.
Le 22 mars 1991, le Comité de coordination des associations et des organisations démocratiques, communément appelé Mouvement démocratique, est créé et rassemble le Cnid, l’Adéma, l’AJDP, la JLD, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), l’AEEM, le Barreau et plusieurs autres associations.
Le 26 mars 1991, alors que des manifestations violemment réprimées se succèdent, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré arrête Moussa Traoré. Un Comité de transition pour le salut du peuple est créé auquel participent des militaires et des représentants des associations. Une conférence nationale établit une nouvelle Constitution et écrit une charte des partis politiques.
Idrissa Sako
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Me Demba Diallo :Une vie de combats
L’avocat Demba Diallo, malgré les vicissitudes de la vie politique, a été d’un apport considérable dans l’instauration de la démocratie au Mali. Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Premier président de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), Me Demba Diallo (paix à son âme) a joué un rôle capital dans l’avènement de la démocratie en mars 1991 au Mali. Alors que peu de gens osaient contester ouvertement le régime militaire, l’avocat émérite a profité des prétoires pour asséner ses convictions et secouer ainsi le cocotier du Comité militaire de libération nationale (CMLN) puis de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM).
Harangueur hors pair, il sera naturellement le porte-parole du Mouvement démocratique, qui avait fait de la Bourse du travail l’épicentre de la contestation lors des journées chaudes de janvier-mars 1991. C’est que malgré une relative petite taille, l’homme au regard d’acier en imposait. Ses mots d’ordre étaient presque paroles d’Evangile pour les manifestants.
Me Demba Diallo a fait preuve de beaucoup de courage et sa détermination explique en partie l’aboutissement de la lutte.
A preuve, il faisait partie de la délégation des associations et mouvements démocratiques qui était montée au palais de Koulouba pour demander au président de la République de démissionner dans un contexte de radicalisation des positions. C’était à quelques jours du 26 mars quand le pays brûlait et l’État à terre après la répression sanglante des manifestations. Qui ne se souvient des échanges peu amènes qu’il a eus avec l’ancien président lors du procès des crimes de sang reprochés à ce dernier ?
Né en 1925 à Koulikoro, Demba Diallo aurait pu se contenter du minimum comme beaucoup de Maliens à l’époque, qui étaient (avouons-le) à leur corps défendant contraints de prendre tôt la relève de leurs parents. Mais avide de connaissances, celui qui vivait presque d’expédients, s’en ira en Occident approfondir le droit. Les rigueurs de l’hiver et le racisme ambiant n’auront aucune prise sur sa volonté d’aider l’Afrique à se libérer du joug de la colonisation.
La fin de ses études coïncidera avec un bouillonnement politique sans précédent en Afrique. Militant de la cause du Tiers-monde, il jouera un rôle essentiel dans l’éveil des consciences et se mettra dans un premier temps au service de la Guinée devenue indépendante le 28 septembre 1958. Il sera le premier directeur de cabinet du président Ahmed Sékou Touré et, à ce titre, un de ceux qui aideront ce pays à fonctionner comme un État souverain.
Revenu au bercail, il optera pour la profession d’avocat pour mieux défendre la cause des opprimés et participer à l’affirmation des droits de l’Homme. Président de l’AMDH, il ne pouvait que s’engager pour le triomphe des idéaux de paix, d’égalité et de justice sociale, condensé des revendications du Mouvement démocratique.
Membre du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP, une fusion du Conseil de réconciliation nationale – CRN – et des associations démocratiques à la chute du régime de l’UDPM), il participera activement à l’élaboration de la Constitution du 12 février 1991 et à la renaissance de la vie politique.
Un livre pour la postérité
Mais, alors que le peuple s’apprêtait à lui tresser les lauriers de « Sage de la République », Me Demba Diallo, le battant de tous les temps, démissionnera de l’instance dirigeante de la transition pour se soumettre à la sanction des électeurs.
Candidat de l’Union des forces démocratiques (UFD, un parti politique qu’il avait créé) à la présidence de la République, il sera recalé au 1er tour de ce scrutin, remporté par le candidat de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma/PASJ), Alpha Oumar Konaré face au candidat de l’US-RDA, Mamadou Tiéoulé Konaté (paix à son âme).
C’est alors que débutera sa traversée du désert. N’ayant pas de députés élus à l’Assemblée nationale, l’UFD ne pouvait revendiquer qu’une poignée de conseillers municipaux.
Tant et si bien que le poids politique de l’avocat ne lui permettait pas de ravir le rôle de porte-voix de l’opposition au Congrès national d’initiative démocratique (Cnid/Fyt), dirigé par un autre avocat, Me Mountaga Tall, pas plus qu’au Bloc démocratique pour l’intégration africaine (Bdia/Faso jigi) du challenger du premier président démocratiquement élu, réputé brillant économiste.
Me Demba perdra donc un peu de son influence et ne devra son retour sur la scène qu’à la volonté du pouvoir d’alors de récompenser les mérites.
Nommé Médiateur de la République en 1997, Me Demba Diallo s’acquittera de cette tâche à la satisfaction de nombreux usagers, victimes des dysfonctionnements de l’administration publique. Il mourra en 2002 des suites de maladie. « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle », a dit Amadou Hampaté Bah. Pour ne pas être totalement consumé par La Faucheuse, Me Demba Diallo a laissé à la postérité, grâce à la magie de l’encre, le récit d’une bonne partie de son passage terrestre.
Préfaçant son livre posthume, intitulé « l’Odyssée d’un militant du Tiers-monde », paru à Cauris Editions, le président Alpha Oumar Konaré écrit ceci : « Je me suis régalé en savourant ce passionnant récit véridique, qui est aussi une belle chronique historique, sociale et culturelle de notre société, écrite dans un style coloré où l’humour a sa place, un humour irrésistible.
J’ai souvent profité de mes nombreux voyages pour lire le manuscrit entre deux avions. Je me souviens d’avoir un jour, oubliant où j’étais, ri aux éclats au grand étonnement des autres passagers. Me Demba remémore avec bonheur son enfance à Koulikoro, village historique situé à 60 km de Bamako. Il dépeint sa famille avec tendresse. Il narre son passage à l’école coranique et à l’école française en nous faisant rire des gags des cancres de sa classe.
L’auteur parle aussi de sa jeunesse studieuse, souvent turbulente, de sa vie d’étudiant et d’avocat stagiaire au Barreau de Paris dont il évoque les grandes figures. Il rappelle les péripéties de sa brève carrière de magistrat colonial au Sénégal et en Guinée, où il fut le directeur de cabinet d’Ahmed Sékou Touré pendant la période transitoire de la Loi-cadre dite loi Defferre.
Enfin Me Demba Diallo révèle, en connaissance de cause, les dessous de l’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali, avant de brosser les épisodes du destin tragique de Patrice Lumumba, dont il fut un des conseillers.
Je souhaite vivement que le témoignage de Me Demba Diallo, servi par une mémoire exceptionnelle, puisse redonner confiance, non seulement aux générations montantes, mais également à tous ceux qui ont lutté et luttent encore pour la réalisation, en ce monde troublé, de l’idéal de l’unité de la race humaine ».
Un témoignage on ne peut plus éloquent sur Me « Ça Goloba ». Regret éternel !
A. M. T.
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Avènement de la Démocratie au Mali :Le rôle incontestable de la société civile
Pour Mamady Tounkara, professeur d’histoire, le mouvement de contestation de l’autorité militaire a été mené uniquement dans le milieu intellectuel, politique et syndical. Les militaires ont, selon lui, peu participé au renversement du régime militaire.
Selon Mamady Tounkara, le mouvement était constitué de deux tendances : ceux qui voulaient transformer le mouvement démocratique en parti politique et ceux qui ont opté pour la poursuite de la lutte dans la clandestinité.
» Très vite, la première tendance a déchanté face à la détermination du régime à garder le pouvoir par tous les moyens », rappelle l’historien, qui ajoute que cela a laissé place à des contestateurs clandestins à poursuivre la lutte tout en faisant des concessions aux militaires.
Dans le processus de la révolution démocratique, il y a certains qui sont restés au pays. Par contre, d’autres ont fait le choix de l’exil. Selon notre interlocuteur, cette réalité fait que le Mouvement démocratique au Mali a été mené par des hommes et des femmes sur le plan national et aussi à l’étranger.
» C’est dans ces conditions que le Mouvement s’est retrouvé structuré à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur ». Mais, il faut retenir que c’est à partir de l’arrestation en 1978 des éléments « durs » du régime militaire que les leaders du Mouvement démocratique commencent à se manifester publiquement et de façon ouverte.
Cette manifestation s’est concrétisée par la diffusion du tract de 1974 contre le referendum sur la Constitution. La lutte contre le régime de Moussa Traoré vient d’être déclenchée véritablement.
A en croire M. Tounkara, des structures de lutte mises en place à l’étranger comme le Comité de défense pour l’ouverture démocratique au Mali (CDODM) créé par des Maliens de France a donné, sur le plan international, un tonus au mouvement.
Le Mouvement démocratique atteint son paroxysme à partir du moment où les hommes politiques réunis au sein des associations (Cnid, Adéma), l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) affrontent, par la multiplication des marches de protestation, le régime militaire.
Cette époque à la base du renversement du régime de Moussa Traoré fait renaître chez l’historien le souvenir d’acteurs comme Me Demba Diallo et Bakary Karambé qui ont fait partie de la délégation qui a remis à Moussa Traoré la lettre exigeant sa démission.
Fort de ces réalités que nul ne doit ignorer, Mamady Tounkara conclut que les militaires n’ont joué qu’un rôle de second couteau dans le renversement du régime de GMT.
Amadou Waïgalo
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Déclaration de Dakar
Nous, soussignés, patriotes et démocrates maliens résidants à Dakar, répondant à l’appel de la Somase (Solidarité malienne au Sénégal) pour débattre de la démocratie et du multipartisme au Mali, produisons le document suivant à l’adresse du peuple malien des villes et des campagnes ; à l’adresse de toutes les associations et organisations démocratiques, politiques et syndicales au Mali et de part le monde ; à l’adresse enfin des pouvoirs politiques en place.
Notre espoir, en rédigeant la présente déclaration est qu’elle suscite le débat, la réflexion et prépare l’action.
Nous prenons ici, à témoin toutes les organisations humanitaires, démocratiques et de défense des droits de l’Homme qui ont eu à aider le peuple malien dans les moments difficiles. Nous prenons ici, à témoin toutes les chancelleries du monde entier qui ont eu à observer l’évolution politique de notre pays.
Nous prenons ici, à témoin, tous les hommes épris de justice, de paix et de liberté, et nous déclarons :
La lutte pour le progrès, la liberté et la dignité des peuples est irréversible et irrépressible.
Si, en quelques périodes de l’histoire, l’injustice, la barbarie et la dictature déjouent l’espoir, de par leur fait, elles galvanisent toujours les énergies, réorganisent le combat et propulsent la lutte vers des victoires plus certaines.
L’année 1990, par une convergence exceptionnelle de situations donne au monde de sérieux motifs d’espérer. Partout, des peuples hier muselés, mystifiés, humiliés, reprennent l’initiative historique et affirment leur droit à la liberté et à la démocratie.
En cette période d’effervescence extrême, nous avons conscience des pièges, des défis accrus, des nouveaux intérêts qui s’affrontent mais nous disons que la bataille dans la liberté est préférable à la fausse quiétude dans l’impuissance.
Cette période de quête, d’exigence de transparence que réclament les peuples interpelle à plus d’un titre l’Afrique. Trente ans après les indépendances, elle fait le constat de sa désunion, de sa faiblesse et finalement de sa domination. La responsabilité en incombe indiscutablement aux dirigeants qui, depuis trente ans, refusent aux peuples africains leur droit fondamental de regard et de contrôle dans les affaires de l’État.
Ce refus systématique érigé en principe de gouvernement, les Maliens en ont fait les frais depuis 22 ans qu’une junte militaire a renversé, par la violence, le régime civil de la Ire République. Depuis, cette junte, infidèle à son serment et à ses professions de foi a eu recours à la liquidation physique, au chantage moral, à la corruption, au truquage politique pour se maintenir, coûte que coûte, au pouvoir, déclenchant, par son obstination, des réactions déterminées du peuple pour arracher sa liberté.
C’est le lieu de rappeler et de saluer les grèves, les protestations et les révoltes courageuses et incessantes de plusieurs générations de patriotes et de démocrates qui, du fait de leur seule opposition, ont payé et payent encore de leur carrière, de leur crédit, de leur vie, de l’exil.
C’est le lieu de rendre hommage aux travailleurs maliens dans leur ensemble et à leurs familles qui, du fait de l’incapacité de l’État de payer les salaires à temps échus, ont souffert et souffrent encore dans leur chair et dans leur dignité.
C’est le lieu de rendre hommage aux milliers de femmes et d’hommes, héros sans nom et sans visage qui sont morts et meurent encore dans leur conviction, victimes de l’arrogance, de l’intolérance de l’arbitraire et de la violence.
Hier fier et déterminé,présent sur tous les fronts de la lutte et du progrès en Afrique et dans le monde, le Malien a été réduit par 22 ans de dictature militaire à la pauvreté, à l’exil, à la mendicité, au désespoir et soumis à l’humiliation.
Or, alors que le régime en place aurait dû, depuis longtemps, tirer leçon de son incapacité à diriger, au moment même où partout ailleurs, l’étau se desserre, nous savons que Moussa Traoré mène, urbi et orbi, campagne contre le multipartisme et la liberté, brandissant le spectre de prétendues désunions du passé et caressant, en tout état de cause, l’espoir d’un référendum où se trouvait son seul salut, et qui pourtant, ne trompe plus personne.
Nous, patriotes et démocrates maliens résidant à Dakar, disons avec fermeté qu’il ne saurait être question de retarder, par quelque processus que ce soit, la marche inéluctable du Mali vers un multipartisme et une démocratie véritables puisés aux richesses et valeurs originales de notre pays. Un manifeste suivra la présente déclaration qui précisera dans ses grandes lignes, nos propositions en ce sens.
Convaincus que le Mali ne saurait trouver de parade à la situation économique, politique, sociale et culturelle catastrophique qui est aujourd’hui la sienne, que dans l’expression plurielle de toutes les sensibilités et de toutes les compétences ; convaincus que la liberté ne saurait être octroyée ; convaincus du courage, de la détermination et de l’espoir qui habitent, tous les patriotes, toutes les associations et organisations démocratiques à l’intérieur et en dehors du territoire national ; nous patriotes et démocrates maliens résidant à Dakar, lançons un appel à tous pour enclencher, ensemble, le processus irréversible vers l’instauration immédiate d’un paysage politique démocratique et multipartisan, processus axé notamment sur les points suivants :
1. la convocation et la tenue à Bamako, dans les meilleurs délais, d’une conférence nationale des forces patriotiques et démocratiques chargée de produire la charte d’orientation d’une nouvelle politique nationale.
2. la démission des responsables du régime actuel et la constitution d’un gouvernement démocratique de transition chargé de convoquer sans délai, une assemblée constituante.
3. l’abrogation de la Constitution du 2 juin 1974 que remplacerait une Constitution conforme, en tous points, à l’idéal démocratique réclamé par les forces vives de la nation.
Nous redisons notre foi inébranlable en avenir de notre pays.
Dakar le 26 mai 1990
Les signatures :
Moussa Baba Coulibaly, étudiant CESTI, Dakar
Alexis Kalamby, étudiant CESTI, Dakar
Oumar Sow, ex-travailleur BATA, Dakar
Sima Diatta, comptable, Dakar
Modibo Diarra, étudiant en droit, Dakar
Pascal Baba Coulibaly, écrivain, chercheur IFAN, (Somase)
Mariama Traoré, analyste-informaticiennne (Somase)
Victor B. Sy, professeur de physique à Dakar
Cheikh Abdel Kader Koné, étudiant en droit, Dakar
Amadou Tiéoulé Diarra, assistant fac-droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Somase)
Eloi Diarra, maître de conférence agrégé, faculté des sciences juridiques et économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Somase)
Karamoko Djiré, travailleur, Zone industrielle, Dakar
Awa Traoré (bâtiment), (Somase)
Demba Diarra, travailleur, Zone industrielle, Dakar
Kader Diop, étudiant en droit, Dakar
Tata Coulibaly, ménagère, Dakar
Massitan Diallo, enseignante (Somase)
Fatoumata Soucko, cadre-assurances, Dakar
P. S : les signatures continuent d’être reçues par la commission à l’adresse suivante : Eloi Diarra (Somase) fac-sciences juridiques et économiques Dakar – Sénégal.
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Épilogue : Le compte à rebours pour l’autocratie
Les problèmes de la décolonisation ont poussé la France des IVe et Ve Républiques à entreprendre des réformes et à voter des lois pour transformer positivement l’ordre colonial jusque-là fait de vitesse, d’arbitraire et d’exploitation économique.
En plus de la loi mettant fin aux travaux forcés et celle accordant la nationalité française à tous les sujets de l’Empire français, la Constitution de 1958, celle de la Ve République, reconnut aux colonisés africains le droit de former des associations, des partis politiques et des syndicats.
Cette situation représentait vraiment une avancée par rapport à la période précédente parce que l’ordre antérieur considérait comme un délit ou même un crime, selon les colonies, certaines de ces droits, notamment celui de se regrouper en association.
L’effervescence politique ainsi créée prévoit d’aller à l’indépendance politique à partir des réformes décidées par la métropole, mais le plus souvent sur les conseils des élus africains. En application de la Constitution de 1958 fondant la Ve République française, l’Assemblée nationale fit voter en 1959 une loi qui autorisait les colonisés à se regrouper dans des associations politiques, syndicales et professionnelles pour bien défendre leurs intérêts.
Il faut dire tout de suite que cette loi n’avait rien de révolutionnaire parce que le canevas avait déjà été creusé par la Constitution de 1964 et que la situation politique avait beaucoup évolué entre 1946 et 1959, ne tolérant plus certains excès qui étaient courants dans la période antérieure. Cette loi de 1959 sur les associations n’a jamais été abrogée et resta en vigueur sous la Ire République, le CMLN, l’UDPM, jusqu’aux événements de mars 1991.
Si l’US-RDA ne l’abrogea pas, elle ne fit rien non plus pour la rendre applicable effectivement en raison de l’orientation politique et idéologique du régime, le socialisme, quelque peu hostile au pluralisme politique et syndical et notamment méfiant des associations même apolitiques et à but non lucratif.
En revanche, le régime militaire, du CMLN à l’UDPM, l’ignora carrément par inculture politique, c’est-à-dire qu’aucun membre du CMLN et aucun théoricien ou idéologue de l’UDPM ne soupçonna son existence qui pouvait nuire à l’existence même du régime. Il est presque certain que vu la nature totalitaire du régime, s’il l’avait su, il l’aurait abrogé purement et simplement, ou l’aurait rendue caduque de quelque manière que ce fût, pour éviter son éventuelle exploitation par les opposants.
On peut tout aussi penser que vu le temps écoulé, au moins une vingtaine d’années, les opposants furent de même dans l’ignorance de la même loi et qu’ils ne la découvrirent qu’au tournant de la conférence de La Baule en 1989 lorsque sauta aux yeux de tous l’incapacité des partis uniques à assurer le développement de leur pays.
La découverte de cette loi fit faire rapidement au Mouvement démocratique des progrès importants à une période où Moussa Traoré cherchait la consécration au plan continental et ne tenait nullement à être gêné dans cette dynamique.
Le changement de régime intervenu après 1978 suivi de la mise en œuvre de l’UDPM, dans l’esprit des dirigeants de l’époque, devait permettre au régime de sortir de la zone des dictatures tropicales et aller vers celle des régimes démocratiques ou en tout cas fréquentables par la communauté internationale.
Moussa apparaissait, après 1978, comme un chef d’Etat respectable auquel des responsabilités pouvaient être confiées à l’échelle continentale.
Dans cet esprit, succédant au Zambien Kenneth Kaunda le 26 mai 1988 à la tête de l’OUA lors de son 24e sommet à Addis-Abeba, il avait obtenu la reconnaissance de ses pairs, honneur qu’il avait cherché pendant des années sans jamais l’atteindre. A travers lui, le peuple malien se réjouit de cette nomination (ou élection) sans songer, tout comme les dignitaires du régime, que cette occurrence pouvait être utilisée autrement à leurs dépens.
La présidence de l’OUA fut judicieusement exploitée par l’opposition et le Mouvement démocratique implanté à l’intérieur et à l’extérieur, convaincus que le chef de l’État, vu le contexte international et la posture qu’il occupait au plan continental, avait les mains liées. Au Sommet mondial de l’enfance tenu les 29 et 30 septembre 1990 à New York, Moussa Traoré co-présida cette importante rencontre avec le président américain, G. Bush, ce qui ajouta encore à son auréole internationale.
Ces différentes reconnaissances internationales mirent Moussa Traoré et son régime dans l’impossibilité de réagir violemment comme à leur habitude aux contestations de leur régime, surtout que ceux-ci, après la réponse exécrable de Moussa Traoré à Mitterrand à la conférence de La Baule, bénéficiaient du soutien de Paris. Le chef de l’État malien, dans un excès de colère incompréhensible pour le contexte, avait en effet déclaré que son pays n’avait de leçon de démocratie à recevoir de quiconque.
Dans le même, la situation intérieure empirait. Elle était périodiquement coupée de grèves scolaires et des travailleurs, suivies de terribles représailles. Exploitant la loi de 1959, le Mouvement démocratique créa, sans que le parti et le gouvernement puissent les interdire, des associations qui en principe étaient apolitiques, mais fonctionnaient comme de véritables partis politiques réclamant le multipartisme.
Le Cnid fut la 1re association à voir le jour, elle fut vite rejointe par l’Adéma qui visait le même objectif, mais préconisait des méthodes de lutte différentes. Moussa Traoré et son régime ne comprirent que très tardivement qu’ils avaient en face d’eux, non pas de simples associations, mais de véritables partis politiques organisés et bénéficiant du soutien de certains pays occidentaux hostiles aux régimes dictatoriaux.
La marche vers la démocratie fut lente et progressive au Mali de 1968 à 1991. Elle fut le fait bien sûr du Mouvement démocratique soutenu par les scolaires, mais bénéficia aussi de l’évolution de la situation internationale qui jouait de plus en plus en défaveur des dictatures et des pouvoirs personnels.
Facoh Donki Diarra
Les Échos du 09 Avril 2010.